TOUT COMPRENDRE - Prises d'otages, évasions, gangs... L'Équateur plongé dans un "conflit armé interne"

En ce début d'année, l'Équateur, gangréné par une guerre de gangs liés au narcotrafic, est confronté à une recrudescence des violences, poussant son président à décréter un état de "conflit armé interne".

Une crise sécuritaire sans précédent. Depuis plusieurs jours, l'Équateur est en proie à des scènes de chaos. Prises d'otages de policiers, règlements de comptes sur fond de narcotrafic, évasion de l'ennemi public numéro un... Le pays a été déclaré en état de "conflit armé interne" par le président Noboa.

Alors qu'un premier bilan fait état d'au moins 10 morts en trois jours, la communauté internationale suit la situation de très près et a déjà pris des mesures de sécurité.

• Pourquoi la violence est-elle prédominante en Équateur ?

L'Équateur, 18 millions d'habitants et naguère havre de paix, est ravagé par la violence après être devenu le principal point d'exportation de la cocaïne produite au Pérou et en Colombie voisins, vers l'Europe ou les États-Unis.

Ces bandes criminelles étaient pour la plupart de simples gangs de rues il y a encore quelques années. Elles sont désormais des acteurs sanglants du narcotrafic, profitant d'une économie dollarisée pour faciliter le blanchiment d'argent.

Les assassinats dans les rues ont augmenté de 800% entre 2018 et 2023, passant de 6 à 46 pour 100 000 habitants. En 2023, 7 800 homicides ont été comptabilisés et 220 tonnes de drogues saisies.

Le thème de l'insécurité s'est alors imposé lors des dernières élections présidentielles d'août et octobre 2023. Une campagne marquée, une dizaine de jours avant le premier tour, par l'assassinat du candidat Fernando Villavicencio - qui avait fait de la baisse des violences une priorité.

Le 15 octobre dernier, Daniel Noboa a été élu plus jeune président de l'histoire du pays à 35 ans, en promettant principalement de rétablir la sécurité.

• Depuis quand la situation s'envenime-t-elle ?

La crise sécuritaire a pris un tournant dimanche 7 janvier quand Adolfo Macias, alias "Fito", 44 ans, chef des Choneros - un gang d'environ 8 000 hommes selon les experts -, s'est enfui dimanche de la prison de Guayaquil (Sud-Ouest), une ville sous le contrôle quasi-total des narcotrafiquants.

Considéré comme l'ennemi public numéro un dans le pays, il purgeait depuis 2011 une peine de 34 ans de privation de liberté pour crime organisé, trafic de drogue et meurtre.

L'évasion a été suivie de plusieurs mutineries et prises en otage de gardiens dans diverses prisons, le tout relayé par d'effrayantes vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrant les captifs menacés par les couteaux de détenus masqués. Mardi, de nouvelles vidéos sont apparues, montrant cette fois l'exécution d'au moins deux gardiens, par arme à feu et pendaison.

Dans un communiqué, l'administration pénitentiaire (SNAI) a fait état de 139 de ses personnels actuellement toujours retenus en otage dans cinq prisons du pays. Le SNAI n'a pas commenté les vidéos d'exécution.

D'autres incidents, dont l'enlèvement de sept policiers, ont également été signalés un peu partout dans le pays.

Le dernier en date: l'irruption en direct d'hommes armés sur un plateau d'une télévision publique de Guayaquil. Plusieurs journalistes et autres employés ont été pris en otage.

Au milieu des coups de feu, la diffusion de ces images surréalistes s'est poursuivie en direct pendant de longues minutes. Jusqu'à, apparemment, l'intervention des forces de l'ordre aux cris de "Police! Police!". Personne n'a semble-t-il été tué ou blessé dans le raid et treize assaillants ont été interpellés, selon la police.

• Quelle est la réaction du gouvernement en place ?

Dès le lendemain de l'évasion de "Fito", alors qu'un autre chef de gang, Fabricio Colon Pico, lié à Los Lobos, s'est aussi évadé, le président Noboa a décrété l'état d'urgence, en ordonnant la "neutralisation" de tous ces groupes criminels, dont il a fourni une liste exhaustive, tout en soulignant la nécessité pour les forces armées d'agir "dans le respect des droits de l'Homme".

Des mesures qui ont été suivies mardi par un nouveau décret. Le président a ordonné "la mobilisation et l'intervention des forces armées et de la police nationale" pour "garantir la souveraineté et l'intégrité nationale contre le crime organisé, les organisations terroristes et les belligérants non-étatiques".

Selon lui, le pays est plongé dans un "conflit armé interne". Il a d'ailleurs reçu le soutien de son prédécesseur, le socialiste Rafael Correa, lui demandant de ne pas "céder".

"L'heure est aujourd'hui à l'unité nationale. Le crime organisé a déclaré la guerre à l'État, et l'État doit l'emporter", a-t-il ajouté dans une vidéo diffusée dans la nuit de mardi à mercredi.

• La communauté internationale s'inquiète-t-elle ?

À partir de mardi soir, le Pérou voisin a annoncé avoir déclenché l'état d'urgence le long des plus de 1.400 km de sa frontière avec l'Équateur et renforcé sa surveillance.

Mercredi, l'Espagne a dit suivre avec "inquiétude" la situation et assuré soutenir "les institutions démocratiques", par la voix de son Premier ministre Pedro Sanchez qui a affiché sa "confiance" en un "retour prochain à la normalité".

La France a recommandé à ses ressortissants de "différer" les voyages en Equateur, connu pour ses îles Galapagos. Au niveau européen, le chef de la diplomatie de l'Union européenne, Josep Borrell, s'est dit mercredi "profondément inquiet" de la flambée des violences, dénonçant une "attaque directe contre la démocratie et l'État de droit".

La Chine, qui a suspendu l'accueil du public dans son ambassade et son consulat en Équateur, "évalue la situation sécuritaire" et "soutient" l'action des autorités pour rétablir l'ordre, a déclaré une porte-parole de la diplomatie chinoise, Mao Ning.

La Russie a demandé à ses ressortissants de "tenir compte de l'instabilité de la situation en envisageant des voyages en Équateur" et "d'éviter de se rendre dans des lieux publics". Moscou a confiance dans les autorités équatoriennes pour restaurer la loi et l'ordre "par leurs propres moyens, sans interférence extérieure", a ajouté la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères Maria Zakharova.

Les États-Unis sont "extrêmement préoccupés par la violence" et "prêts à fournir de l'assistance", avait déclaré mardi le chef de la diplomatie américaine pour l'Amérique latine, Brian Nichols. Le Brésil, le Chili, la Colombie et le Pérou ont exprimé leur soutien à l'Équateur.

Article original publié sur BFMTV.com

VIDÉO - Equateur: l'armée investit les rues d'un pays "terrorisé" par la violence des gangs