"Bronze de la discorde": l'Italie marque un point contre un musée américain

La "Statue de la Jeunesse victorieuse", exposée au Musée Getty à Los Angeles, le 13 décembre 2018 (Mario TAMA)
La "Statue de la Jeunesse victorieuse", exposée au Musée Getty à Los Angeles, le 13 décembre 2018 (Mario TAMA)

Elle a plus de 2.000 ans mais continue à faire des vagues: la "Statue de la jeunesse victorieuse", découverte au large de l'Italie en 1964, n'aurait pas dû être acquise par un musée américain, a tranché jeudi la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).

Rome tente depuis des décennies de récupérer cette splendide statue en bronze, entre saisie d'Interpol et démarches diplomatiques. Mais le musée Getty de Los Angeles, qui a acquis l'oeuvre en 1977, a toujours refusé de la rendre.

La Fondation Getty avait saisi la cour de Strasbourg pour faire annuler une décision de "confiscation" prise par la justice italienne. Mal lui en a pris: les juges ont donné raison à Rome dans un arrêt rendu jeudi.

"Nous avons travaillé d'arrache-pied" pour obtenir le retour de la statue, a réagi le ministre italien de la Culture, Gennaro Sangiuliano, rappelant avoir interdit tout prêt d'oeuvres à des musées en bisbille avec son pays.

De son côté, le musée a dit dans un communiqué envisager de faire appel de cette décision devant la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l'Homme.

Egalement connue sous le nom "d'Athlète de Fano", la statue, du IVe siècle avant notre ère, a été découverte il y a 60 ans dans la mer Adriatique par des pêcheurs italiens au large de Fano (centre-est de l'Italie). Elle aurait été vendue immédiatement, changeant à plusieurs reprises de mains avant que l'Etat italien puisse exercer son droit de préemption.

L'oeuvre, qui représente un athlète nu (ou le prince macédonien Démétrios Poliorcète selon certains), avait refait surface sur le marché de l'art en 1974 puis avait été acquise à Munich par le Musée J. Paul Getty pour 3,9 millions de dollars de l'époque.

Attribuée au sculpteur grec Lysippe, elle est aujourd'hui exposée à la Villa Getty, sur les hauteurs du quartier ultra-chic de Pacific Palisades.

- "Découverte accidentelle" -

La Fondation Getty avait saisi la CEDH en 2019 pour contester la décision de confiscation prise en 2010 par la justice italienne, estimant entre autres que la statue grecque ne relevait pas du patrimoine italien.

"La statue ne fait pas partie du patrimoine culturel italien et n'en a jamais fait partie", déclarait en 2018 une responsable de la Fondation, estimant que "la découverte accidentelle de cette statue par des ressortissants italiens n'en fait pas une oeuvre italienne".

Mais dans son arrêt, la cour européenne a rejeté la requête du musée américain, estimant que "les autorités italiennes ont démontré de manière raisonnable que la statue faisait partie du patrimoine culturel italien".

En 2019, la Cour de cassation italienne, saisie par Getty, avait fait valoir qu'il "existait une continuité entre la civilisation grecque, qui s'était étendue en territoire italien, et l'expérience culturelle romaine subséquente".

- "Mauvaise foi" -

Devant la CEDH, le musée américain estimait que la confiscation prononcée par Rome contrevenait à l'article 1 du protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l'homme, qui protège le droit à la propriété.

Mais "l'acquéreur d'un bien doit vérifier soigneusement l'origine de celui-ci pour éviter d'éventuelles mesures de confiscation", rappellent les juges.

Or, "en achetant la statue en l'absence de toute preuve que sa provenance fût légitime et en parfaite connaissance des prétentions formulées par les autorités italiennes à son égard", la Fondation Getty a "méconnu les exigences légales, à tout le moins par négligence, ou peut-être par mauvaise foi".

Les juges rappellent en outre que plusieurs instruments internationaux soulignent l'importance de la protection des biens culturels contre l'exportation illicite, notamment une Convention de l'Unesco de 1970.

Les Etats-Unis ont signé cette convention, mais ne sont pas membres de la CEDH, émanation du Conseil de l'Europe qui compte 46 Etats membres.

Le contentieux entre l'Italie et Getty est ancien. En août 2007, le musée et l'Italie avaient annoncé un accord sur la restitution de 42 antiquités dont Rome affirmait qu'elles avaient été volées puis illégalement exportées.

Fondé par le milliardaire du pétrole John Paul Getty, le Getty Museum s'adosse à la fondation d'art la plus riche du monde, dont les avoirs sont évalués à plusieurs milliards de dollars. Ses collections comprennent de nombreux chefs-d'oeuvre de la peinture occidentale, des primitifs italiens aux impressionnistes français.

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