Avortement aux États-Unis : la pilule abortive interdite par un juge fédéral

Les deux médicaments à prendre en cas d’avortement médicamenteux, la mifepristone et le misoprostol.
Les deux médicaments à prendre en cas d’avortement médicamenteux, la mifepristone et le misoprostol.

IVG - Le droit à l’avortement encore attaqué aux États-Unis. Un juge fédéral a offert vendredi 7 avril une nouvelle victoire retentissante aux opposants à l’avortement dans le pays (les « pro-life », c’est-à-dire pro-vie), en retirant l’autorisation de mise sur le marché d’une pilule abortive agréée depuis plus de 20 ans et utilisée chaque année par un demi-million d’Américaines.

« Aujourd’hui, un juge de district fédéral du Texas a statué qu’un médicament sur ordonnance disponible depuis plus de 22 ans, approuvé par la FDA [Agence américaine du médicament, ndlr] et utilisé en toute sécurité par des millions de femmes ne devrait plus être approuvé aux États-Unis », a dénoncé le président américain Joe Biden.

Selon l’institut Guttmacher, plus de la moitié des avortements (53 %) aux États-Unis en 2020 étaient médicamenteux. « Nous allons combattre cette décision », a assuré Joe Biden. La décision de ce juge intervient moins d’un mois après que le Wyoming (ouest) a interdit l’accès à la pilule abortive.

Elle arrive également dix mois après l’arrêt historique de la Cour suprême qui a rendu à chaque État américain la liberté d’interdire les interruptions de grossesse sur son sol. La décision du magistrat texan Matthew Kacsmaryk, connu pour ses vues ultraconservatrices, est censée s’appliquer à l’ensemble du pays.

Dans son jugement de 67 pages, le juge Kacsmaryk valide la plupart des arguments figurant dans la plainte déposée en novembre par une coalition de médecins et d’organisations hostiles à l’avortement contre la FDA.

Un argumentaire pro-life

Comme eux, il reprend des études sur les risques médicaux imputés à la pilule abortive, bien qu’ils soient jugés négligeables par la majorité de la communauté scientifique. Il accuse également la FDA de ne pas avoir respecté ses procédures afin de répondre à un objectif politique.

« Il y a des preuves indiquant que la FDA a fait face à d’intenses pressions politiques pour renoncer à ses précautions de sécurité afin de promouvoir l’objectif politique d’élargir l’accès à l’avortement », écrit-il notamment. Selon lui, rapporte le Huffpost US qui a eu accès au texte, la FDA « a manipulé et mal interprété » certains passages du processus d’autorisation de mise en vente des médicaments « pour donner le feu vert aux avortements chimiques à une grande échelle ».

Dans le détail, son argumentaire rappelle les pires discours des anti-IVG. Le juge estime notamment que l’IVG chimique cause « des traumas psychologiques et des troubles post-traumatiques », une référence aux pro-life qui estiment que l’avortement perturbe la santé mentale des femmes y ayant recours.

Il explique aussi pourquoi utiliser le mot « fœtus » est incorrect, contrairement aux termes « humain à naître » ou « enfant à naître », citant un livre anti-IVG appelé Embryon : La défense de la vie humaine. En 2015, Matthew Kacsmaryk, juriste au sein d’une organisation chrétienne opposée à l’avortement, regrettait déjà que les foetus « passent après les désirs érotiques » des adultes.

Le ministre de la Justice va faire appel

Après avoir rendu sa décision, un de ses confrères, situé dans l’État de Washington, a toutefois jugé que l’autorisation de mise sur le marché de la mifépristone (RU 486), qui s’utilise en combinaison avec un autre cachet, ne pouvait être retirée dans les 17 États démocrates qui l’avaient saisi. Il reviendra donc rapidement à la Cour suprême, profondément remaniée par l’ex-président républicain Donald Trump, de clarifier la situation.

La décision du juge Kacsmaryk ne s’appliquera de toute façon pas avant une semaine, le magistrat ayant choisi de laisser le temps au gouvernement fédéral de faire appel. Ce qui ne devrait pas tarder. « Le ministère de la Justice est en profond désaccord » avec la décision, « il fera appel (...) et demandera un sursis en attendant », a déclaré le ministre Merrick Garland dans un communiqué.

La pilule abortive est différente de la « pilule du lendemain ». Alors que la pilule du lendemain est prise après un rapport à risque pour éviter de tomber enceinte, la pilule abortive est prise une fois qu’une grossesse est confirmée, dans le but d’avorter.

La méthode autorisée aux États-Unis, comme dans de nombreux pays, emploie en fait deux médicaments. Le premier est la mifépristone (ou RU 486), qui permet de stopper le développement de la grossesse en agissant sur une hormone appelée progestérone. Le deuxième, le misoprostol, est pris entre un et deux jours plus tard, et déclenche les contractions et saignements.

« Une décision sans précédent »

La décision du juge texan a choqué les pro-choice (pro-choix, pour le droit à l’avortement). « C’est du jamais-vu et profondément préjudiciable », a commenté la puissante organisation de planning familial Planned Parenthood, qui gère de nombreuses cliniques pratiquant des IVG dans le pays.

La vice-présidente démocrate Kamala Harris a elle aussi fustigé « une décision sans précédent qui menace les droits des femmes dans tout le pays » et s’est inquiété des conséquences pour d’autres médicaments de lutte contre le cancer ou le diabète.

Les élus démocrates du Congrès ont pour leur part concentré leurs critiques sur le juge Kacsmaryk : « un juge extrémiste » pour leur ancienne cheffe à la Chambre des représentants Nancy Pelosi, un « juge voyou » pour son successeur Hakeem Jeffries.

Le juge Matthew Kacsmaryk nommé par Trump

Nommé par Donald Trump, Matthew Kacsmaryk fut juriste pour une organisation chrétienne avant de prendre ses fonctions à Amarillo, au Texas, où il est le seul juge fédéral. En déposant plainte dans cette ville, les opposants à l’avortement étaient certains que le dossier lui reviendrait.

Vendredi, ils n’ont pas dissimulé leur joie. Le groupe SBA Prolife America a salué « une victoire pour la santé et la sécurité des femmes et des filles ». Sa directrice des affaires politiques Katie Glenn a précisé « analyser de près » le second jugement, « mais nous avons bon espoir que le mépris dangereux pour la vie des femmes affiché depuis deux décennies par la FDA soit bientôt corrigé ».

Même si la justice suspendait in fine l’autorisation de la FDA, il faudrait sans doute plusieurs mois avant que sa décision ne s’applique. Selon des experts en droit de la santé, le régulateur du médicament doit respecter une procédure stricte avant de retirer l’autorisation d’un produit.

Les femmes et les médecins pourraient aussi se rabattre sur une seconde pilule, le misoprostol, dont l’usage se combine aujourd’hui avec la mifépristone pour une plus grande efficacité et moins de douleurs.

À voir également sur Le Huffpost :

Le pape François sans tabou dans un documentaire Disney+

Clarence Thomas, juge à la Cour suprême des États-Unis, discrédité par un scandale