"Aucune bille": les stages en entreprise pour les élèves de seconde, une nouveauté toujours bien floue

"Je n'ai encore rien dit aux familles. Ni réunion d'information, ni communication", regrette pour BFMTV.com Florent Martin, proviseur de lycée à Argelès-sur-Mer (Pyrénées-Orientales) et secrétaire académique du Syndicat national des personnels de direction de l'Éducation nationale (Snpden). "Certaines familles nous posent des questions et c'est tout à fait légitime."

"Mais je ne peux pas leur répondre."

Alors que les élèves de secondes générales et technologique devront effectuer pour la première fois un stage en milieu professionnel au mois de juin prochain, les chefs d'établissement du second degré s'inquiètent du flou qui demeure autour de cette initiative annoncée fin septembre par Gabriel Attal, alors ministre de l'Éducation nationale et devenu depuis Premier ministre.

Concrètement, les quelque 550.000 lycéens pourront effectuer leur stage de deux semaines dans une entreprise, une association ou un service public, indique le décret publié fin novembre. Un stage d'observation qui se tiendra du 17 au 28 juin prochains, précise le ministère.

Mais beaucoup de questions restent encore sans réponse. Car le décret précise que "les modalités d'application" ainsi que "les catégories d'élèves pouvant être dispensés" de ce stage seront précisées par le ministère de l'Éducation nationale. Mais ces précisions n'ont pas encore été communiquées.

"On n'a aucune bille, rien"

Qui sera en charge d'encadrer ces stages? Les établissements auront-ils l'obligation d'accueillir les élèves sans entreprise? "Tout est encore très vague", dénonce pour BFMTV.com Yann Massina, proviseur de lycée à Chartres (Eure-et-Loir) et représentant du Sgen-CFDT Orléans-Tours. "Et devront-ils rédiger un rapport de stage?" comme cela se fait au collège lors des stages de 3e, s'interroge également pour BFMTV.com Laurent Kaufmann, secrétaire fédéral du Sgen-CFDT.

Un point qui interpelle Yann Massina. "Les enseignants seront mobilisés par le bac, ensuite ce sera les vacances d'été. Qui sera en charge de corriger le rapport? La restitution du rapport pourrait-elle être repoussée à la rentrée de septembre?" se questionne ce proviseur.

"On n'a aucune bille, rien. On est très embarrassé."

Le groupe d'électronique Thales, engagé dans l'opération et qui proposera 500 places de stage, indique à BFMTV.com que les élèves devront bel et bien produire et rendre à leur établissement "un petit rapport d'étonnement" sur ce que ces derniers auront observé et donner une "recommandation d'amélioration". Un rapport qui fait partie des consignes du ministère, nous assure Thales.

Des informations qui n'ont été communiquées ni aux chefs d'établissement, ni aux enseignants. "On ne sait pas quel sera le rôle du professeur principal, ce qu'on devra faire en terme de préparation ou de suivi, c'est le grand flou", pointe pour BFMTV.com Sophie Vénétitay, secrétaire générale et porte-parole du Snes-FSU, le premier syndicat enseignant du second degré.

Contacté par BFMTV.com et interrogé sur ces différents points, le ministère a simplement répondu qu'une note de service devrait être publiée "dans les semaines à venir".

Un stage rémunéré?

Et pour quels attendus pédagogiques? C'est ce que cherche à comprendre Florent Martin, le représentant du Snpden. "Qu'attend-on exactement des élèves et comment prendre en compte ce stage? Faudra-t-il valoriser ceux qui l'auront effectué, a contrario pénaliser les autres?" Il dresse la comparaison avec la filière professionnelle: les périodes en entreprise sont notées et comptent pour l'obtention du diplôme.

Par ailleurs, ce stage sera-t-il rémunéré? C'est la question que se pose Rachel Paul, vice-présidente de la Fidl, une organisation lycéenne. Car les élèves de la filière professionnelle sont gratifiés -l'indemnité varie de 50 euros par semaine de stage à 100 euros en terminale. "Cela risque de créer une forme de concurrence entre les élèves des voies générale et technologique ou professionnelle", craint-elle pour BFMTV.com.

Quant à la temporalité: pas au meilleur moment, estiment les chefs d'établissement. Soit la fin de l'année scolaire, avec l'organisation des examens et la préparation de la rentrée de septembre. "J'ai 480 élèves de seconde", recense Yann Massina. "Mais je n'ai aucun moyen humain pour s'occuper de la logistique. Ce qui signifie que je serai seul."

Conventions de stage, vérifications des organismes accueillant les lycéens... "Envoyer des élèves de seconde en entreprise, c'est une responsabilité qui implique du travail", pointe Laurent Kaufmann, du Sgen-CFDT. "Il arrive qu'il y ait des problèmes, tous les employeurs ne se conduisent pas forcément bien, tous les élèves non plus."

"On ne se contente pas d'envoyer les élèves en entreprise, il faut aussi les accompagner."

"Ça va commencer à devenir serré"

Des questions qu'il faudrait se poser dès maintenant, juge Laurent Le Drezen, proviseur de lycée à Hyères (Var) et commissaire paritaire national pour le Sgen-CFDT. "Ce n'est pas au dernier moment qu'il faudra trouver les réponses", avertit-il pour BFMTV.com. Même mise en garde de la part de Sophie Vénétitay, secrétaire générale et porte-parole du Snes-FSU, le premier syndicat enseignant du second degré.

"C'est maintenant qu'il faut entrer dans le dur", estime-t-elle pour BFMTV.com. "Ce n'est pas au mois de mars qu'il faudra annoncer aux entreprises qu'elles sont censées accueillir des élèves de seconde pour un stage de deux semaines."

"Ça va commencer à devenir serré en terme de timing."

"Sur le principe, pourquoi pas proposer un stage en seconde", ajoute Laurent Kaufmann, du Sgen-CFDT. "Mais pourquoi dès cette année, alors que l'année scolaire est entamée, qu'il va falloir trouver des stages dans l'urgence et qu'on va se retrouver dans la précipitation."

Le décret précise par ailleurs que certains élèves, "au regard des autres services ou mobilités accomplis ou de l'orientation choisie", pourraient être exemptés de ce stage. Pourrait-il s'agir de ceux qui partiraient en séjour linguistique? Des lycéens avec un job d'été? Ou même des volontaires du Service national universel? Parmi les séjours cohésion, l'une des périodes est fixée du 17 au 28 juin.

"Ça va se télescoper avec le SNU", alerte Laurent Kaufmann. Pour Yann Massina, le proviseur de Chartres, ce ne serait pas anodin. "Quinze jours de stage d'observation, c'est long. On peut se demander si le fin mot du stage, ce ne serait pas de renforcer l'attractivité du SNU."

"Très compliqué"

Pourtant, l'objectif annoncé de l'opération est clair: reconquérir le mois de juin. "On ne va rien reconquérir du tout", balaie Yann Massina. "Je suis convaincu de l'intérêt des stages en entreprise, mais dans cette configuration et avec cette précipitation, si c'est juste pour gagner du temps, quel est le sens?"

Au-delà des ces interrogations logistiques et pédagogiques, l'autre point noir, c'est tout simplement l'offre de stages. Le ministère de l'Économie a annoncé 200.000 offres de stages lors du lancement de l'opération. Il précise à BFMTV.com que ces offres de stage seront consultables sur la plateforme "1 jeune 1 solution" "en ce début d'année", sans être en mesure de communiquer la date.

Du côté des entreprises, le Medef assure à BFMTV.com inviter ses adhérents "à signer une convention de coopération avec le ministère". Stéphane Heit, le vice-président en charge de la formation et de l'éducation de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), est également enthousiaste à l'idée d'accueillir des élèves de seconde. "Tout ce qui participe au rapprochement éducation-entreprise va dans le bon sens", salue-t-il pour BFMTV.com. "On veut y croire."

Insuffisant, estiment les chefs d'établissement interrogés qui s'alarment de la disponibilité des entreprises, notamment dans les quartiers prioritaires ou les villes de taille moyenne.

"On nous a annoncé une banque de stage, mais ça ne va rien résoudre", redoute Florent Martin.

"C'est déjà difficile de trouver un stage de 3e"

Car les élèves de seconde seront en stage au même moment que ceux de la filière professionnelle, les CAP, première année de BTS... "Dans une ville de taille moyenne, on peut avoir plusieurs lycées; public, privé sous contrat, agricole. Ce qui peut potentiellement représenter 1500 à 2000 supports de stage à trouver", dénombre Laurent Le Drezen, le proviseur de Hyères.

"Ça va être très compliqué, voire quasiment impossible."

Des inquiétudes que partagent les lycéens et lycéennes. "C'est déjà difficile de trouver un stage de 3e", assure Rachel Paul, en classe de terminale et vice-présidente de la Fidl. "Les élèves qui ont un réseau personnel ou familial seront favorisés. Mais comment vont faire les autres?"

Une même journée, neuf élèves de seconde de Sophie Vénétitay, la représentante du Snes-FSU également professeure de sciences économiques et sociales dans l'Essonne, sont venus l'interroger sur le sujet. "Ils se demandaient ce qu'il se passerait s'ils ne trouvaient pas de stage, s'ils pouvaient aller à Paris s'ils ne trouvaient rien autour de chez eux."

Lors des réunions parents-professeurs de fin de premier trimestre, certaines familles l'ont ainsi interpellée. "Ils m'ont demandé si c'était vrai, comment ça allait se passer. Mais on n'a pas les réponses." D'autres n'étaient même pas au courant.

Article original publié sur BFMTV.com