Au Sénat, pour la réforme des retraites, l’article 38 est agité à droite et à gauche mais pas pour la même raison

Le 2 mars dans l’hémicycle du Sénat, le chef du groupe socialiste Patrick Kanner s’exprime au premier jour de l’examen de la réforme des retraites.
Le 2 mars dans l’hémicycle du Sénat, le chef du groupe socialiste Patrick Kanner s’exprime au premier jour de l’examen de la réforme des retraites.

POLITIQUE - À chaque Palais ses petites particularités et ses outils - diversement appréciés. Alors que l’examen de la réforme des retraites vient de débuter au Sénat, les élus de droite comme de gauche regardent du coin de l’œil l’article 38 de leur règlement, jamais utilisé à ce jour.

Ce dernier, qui tient en trois alinéas, permet de mettre un terme aux débats sur « l’ensemble d’un article ou dans les explications de vote portant sur un amendement, un article ou l’ensemble du texte en discussion ». Cette procédure dite « de clôture » a été modifiée une première fois en 2009, puis à nouveau en 2015 car, « en raison peut-être de sa lourdeur, elle n’a jamais été mise en œuvre », soulignait dans son rapport l’ancien sénateur UMP Jean-Jacques Hyest.

La procédure actuelle se veut donc simplifiée. L’article 38 autorise le président de séance, un président de groupe ou le président de la commission saisie à proposer la clôture de la discussion en cours, « lorsqu’au moins deux orateurs d’avis contraire sont intervenus dans la discussion générale d’un texte ». Un sénateur de chaque groupe et un sénateur non-inscrit sont ensuite invités à prendre la parole, avant un vote à main levée. S’il y a doute sur le résultat, un nouveau vote a lieu, cette fois « par assis et levés ». « Si le doute persiste, la discussion continue. Si la proposition est adoptée, la clôture prend effet immédiatement », est-il écrit dans le règlement. Voilà pour la théorie.

Aller « au bout du débat »

Concrètement, cet article permet donc d’accélérer les discussions au sein de la chambre haute. Dans le cadre de l’examen de la réforme des retraites, l’enjeu est crucial. Alors que l’Assemblée nationale n’a pas réussi à aller au-delà de l’article 2, le président du Sénat Gérard Larcher entend bien aller « au bout du débat ». « Le Sénat doit aux citoyens et aux partenaires sociaux un débat sur l’ensemble du texte. (...) S’il devait y avoir une obstruction, on utilisera tout simplement les moyens constitutionnels et ceux de notre règlement », a-t-il mis en garde dans Le Figaro à la veille du début de l’examen. Une façon d’agiter, sans le dire explicitement, ce recours possible à l’article 38.

Plus de 4 000 amendements ont été déposés par les sénateurs de tous bords. Et à ce stade, plusieurs chefs de groupes ont clairement dit leur volonté d’aller le plus loin possible dans l’étude du texte, comme vous pouvez le voir dans notre vidéo ci-dessous. « Nous pensons que les articles suivants l’article 7 (sur le recul de l’âge légal de départ, NDLR) méritent beaucoup plus de débat que ce qui nous est annoncé », martèle à nouveau le président du groupe socialiste Patrick Kanner ce vendredi 3 mars sur Public Sénat.

L’article 38, une fausse bonne idée pour la gauche

Gage néanmoins que la gauche n’exclut pas d’être confrontée à ce cas de figure, « des amendements individuels ont été déposés en prévention de l’utilisation du fameux article 38 pour nous permettre de nous exprimer quand même », explique Patrick Kanner. Sa consoeur, la sénatrice PS Marie-Pierre de La Gontrie, assure, elle, ne pas « s’en inquiéter », et elle a quelques arguments.

Tout d’abord parce que lancer cette procédure imposerait des temps de parole sur l’utilisation de l’article, reléguant de fait au second plan les discussions sur la réforme. Une position que la gauche juge compliquée à tenir, au vu du calendrier imposé et alors que la droite sénatoriale martèle sa volonté de débattre de l’ensemble du texte.

Ensuite, la sénatrice de Paris évoque un risque d’inconstitutionnalité. « Le Conseil Constitutionnel précise que, lors d’un débat parlementaire, tous les groupes d’opposition doivent pouvoir s’exprimer s’ils le demandent. Ce qui évidemment ne serait pas possible dans ce cas », fait-elle valoir sur Twitter.

En tout, 110 heures de discussion sont prévues au Palais du Luxembourg pour venir à bout des vingt articles que comporte le PLFRSS. L’ultimatum est fixé au 12 mars, à minuit. Et le compte à rebours est déjà déclenché.

À voir également sur Le HuffPost :

Réforme des retraites au Sénat : le discours de Dussopt n’avait pas grand-chose à voir avec celui de l’Assemblée

Sur les pensions à 1 200 euros, Karl Olive reconnaît des erreurs « d’explication de texte »