Attention, rien ne prouve à ce jour l'efficacité des médicaments promus par Mel Gibson contre les cancers

Les cancers sont la première cause de mortalité prématurée en France chez les hommes et la deuxième chez les femmes. Alors que près de 10 millions de personnes dans le monde meurent chaque année des suites de cette maladie, de nombreux internautes partagent une interview de l'acteur américain Mel Gibson dans laquelle il affirme que plusieurs de ses amis ont vaincu un cancer grâce à de l'ivermectine, du fenbendazole, du dioxyde de chlore et du bleu de méthylène. Mais ces médicaments ne sont pas des remèdes au cancer, affirment des experts interrogés par l'AFP, ajoutant que certains peuvent d'ailleurs être nocifs.

"Le cancer se guérit !" : Sur les réseaux sociaux (1, 2, 3, 4), de nombreux internautes partagent depuis début janvier une interview de l'acteur américain Mel Gibson pour le podcast de l’animateur conservateur, soutien de Donald Trump, et conspirationniste Joe Rogan, "The Joe Rogan Experience".

Très populaire, cette émission relaie régulièrement des théories du complot et des fausses affirmations que ce soit par la voix de Joe Rogan lui-même ou de ses invités, et qui ont déjà fait l'objet d’articles de vérification comme ici ou ici.

Dans la vidéo que nous examinons, Mel Gibson raconte : "J'ai trois amis. Tous les trois avaient un cancer de stade 4. Tous les trois n'ont plus de cancer en ce moment."

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Interrogé par Joe Rogan sur quels moyens ils ont utilisé pour se soigner, l'acteur américain répond : "Ils ont pris ce que vous avez entendu qu'ils ont pris", avant de mentionner l'ivermectine, le fenbendazole, le dioxyde de chlore et le bleu de méthylène.

Une vidéo qui a également été largement partagée en anglais et en espagnol.

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Capture d'écran d'une publication sur X, réalisée le 20/01/2025.

Cependant, les déclarations de l'acteur ne reposent sur aucun argument scientifique et sont réfutées par des experts interrogés par l'AFP. 

Dioxyde de chlore

Le dioxyde de chlore est "un gaz (ou un liquide au-dessous de 11 °C) de couleur jaune-verte à rouge-brun, d'odeur âcre", comme expliqué dans cette fiche toxicologique de l'Institut national de recherche et de sécurité (lien archivé ici) qui souligne que le produit est "toxique" pour l'homme et l'environnement.

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En effet, il s'agit d'un composé chimique issu de la combinaison de chlorite de sodium et d'acide chlorhydrique, parfois fabriqué de manière artisanale.

Il est souvent utilisé "pour désinfecter l'eau potable", indique ici l'Agence américaine pour le registre des substances toxiques et des maladies (lien archivé ici).

Contrairement aux propos tenus par Mel Gibson, Matías Norte, de la division de chirurgie oncologique de l'hôpital de Clínicas à Buenos Aires, a affirmé à l'AFP qu'il n'existe aucune étude montrant que le dioxyde de chlore pourrait guérir le cancer.

"Il s'agit d'un antiseptique, un désinfectant de surface. Si l'on place une cellule ou un microbe sur une surface et que l'on fait passer du dioxyde de chlore dessus, bien sûr la cellule mourra. Mais cela ne signifie pas que la même chose se produira à l’intérieur du corps", explique le spécialiste.

Plusieurs organisations telles que l'Administration nationale des médicaments, des produits alimentaires et de la technologie médicale d'Argentine (Anmat) et l'agence suisse des médicaments Swissmedic ont recommandé de s'abstenir de consommer du dioxyde de chlore, également connu sous le nom de "MMS" pour "Solution Minérale Miracle", car son utilisation n'a pas été approuvée comme médicament.

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Ingurgiter du dioxyde de chlore peut d'ailleurs entraîner des problèmes de santé, tels que des douleurs abdominales, des nausées, des vomissements, de la diarrhée, une insuffisance respiratoire et même la mort.

En France, l'Agence nationale du médicament (ANSM) mettait déjà en garde contre ce produit en 2010 à la "suite de cas d’intoxication signalés par des centres antipoison et de toxicovigilance".

"Ce produit 'Solution minérale miracle' en vente sur différents sites internet, est présenté comme 'une découverte qui peut sauver la vie' et 'la réponse au SIDA, aux hépatites A B et C, au paludisme, à l'herpès, à la tuberculose, à la plupart des cancers et à beaucoup d'autres des pires maladies'. Il s’agit en fait d’une solution de chlorite de sodium à 28% qui, selon l’utilisation préconisée sur Internet, doit être mélangée avec un kit d’activation (de l’acide citrique à 10%) pour produire du dioxyde de chlore. C’est à ce produit final que sont associées les allégations médicales citées plus haut", écrivaient la Direction générale de la Santé, l’Institut de veille sanitaire (devenu depuis Santé Publique France) et l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (aujourd'hui l'ANSM).

"Le dioxyde de chlore est normalement utilisé en tant que biocide pour la désinfection de l’eau courante. Aucune efficacité médicale de ce produit n’est avérée", ajoutait l'avertissement au public.

Des condamnations ont d'ailleurs été prononcées dans plusieurs pays contre des promoteurs de ces produits, aux Etats-Unis ou au Canada par exemple.

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Il ne s'agit donc pas de la première fois que le dioxyde de chlore est faussement présenté comme un remède à plusieurs maladies.

L'AFP a déjà vérifié plusieurs affirmations soutenant que ce produit serait efficace contre le Covid-19, la sclérose en plaques, ou même l'hépatite.

Ivermectine

L'ivermectine est un médicament antiparasitaire généralement utilisé chez les animaux.

Chez l'homme, le médicament peut être utilisé contre des parasites comme la gale ou les poux.

Ce médicament fait régulièrement l'objet de fausses affirmations, le présentant comme "remède miracle", notamment contre le Covid-19 (1, 2, 3).

L'ivermectine a été testé dès le début de la pandémie pour voir si ce médicament pouvait être efficace contre le virus. Cependant, les résultats obtenus n'ont jamais démontré son efficacité.

Plusieurs études sont actuellement menées afin d'étudier si l'association de l'ivermectine avec d'autres traitements pourrait être efficace pour lutter contre certains cancers - comme déjà expliqué en mai 2023 dans cet article de l'AFP.

Pour l'instant, les recherches sont toujours en cours, et il s'agit de tester l'ivermectine en combinaison avec d'autres médicaments, et non de manière isolée.

Interrogé par l'AFP, le Dr Matías Norte affirme ainsi que l'ivermectine "n'est en aucun cas utilisée pour le traitement du cancer", soulignant qu'il n'existe jusqu'ici aucune preuve scientifique pour soutenir son efficacité contre cette maladie.

"On pense qu'il pourrait atteindre le niveau de glycolyse, c'est-à-dire qu'il empêcherait le glucose de pénétrer dans la cellule cancéreuse, mais cela ne provoquerait en aucun cas la mort de la cellule cancéreuse ", ajoute le spécialiste.

L'administration américaine chargée de la surveillance des produits denrées alimentaires et des médicaments (FDA) précise d'ailleurs qu'un surdosage d'ivermectine "peut provoquer des nausées, des vomissements, de la diarrhée, une hypotension (hypotension artérielle), des réactions allergiques (démangeaisons et urticaire), des étourdissements, une ataxie (problèmes d'équilibre), des convulsions, le coma et même la mort" (lien archivé ici).

Fenbendazole

Le fenbendazole est un anthelminthique (antiparasitaire) utilisé pour traiter les parasites chez les animaux.

Des études solides ont examiné ce médicament et d’autres de la même catégorie comme traitements anticancéreux potentiels (1, 2)  mais n’ont pas trouvé suffisamment de preuves pour confirmer qu’ils peuvent guérir le cancer chez l’homme. (archives ici : 1, 2).

"Les résultats prometteurs obtenus à partir de cellules cancéreuses ne sont qu'un début", a déclaré à l'AFP en 2023 la directrice du Centre de découverte en recherche sur le cancer de l'Université McMaster, Sheila Singh (lien archivé ici).

"Mais affirmer qu'il pourrait guérir le cancer n'est tout simplement pas scientifique, car il n'existe aucune donnée pour étayer cette affirmation", a-t-elle ajouté.

Certains des mécanismes qui animent les parasites sont également actifs dans les cellules cancéreuses, a expliqué Sheila Singh, ce qui fait des antiparasitaires un traitement anticancéreux possible, mais le chemin entre les preuves précliniques et un traitement éprouvé peut prendre jusqu'à 25 ans, comme déjà expliqué dans cet article de vérification de l'AFP.

De son côté, Matías Norte précise également qu'un médicament "ne peut pas être généralisé à un, deux ou trois cas, il doit disposer d'un échantillon statistiquement représentatif".

Bleu de méthylène

Le bleu de méthylène, ou chlorure de méthylthioninium, est un composé chimique principalement utilisé pour traiter la méthémoglobinémie, une maladie du sang, indique le site du dictionnaire médical Vidal (lien archivé ici).

Il est également utilisé en chirurgie comme colorant pour teindre certaines parties du corps et possède des propriétés antiseptiques et cicatrisantes.

En dehors du domaine médical, le bleu de méthylène est utilisé dans l'industrie textile pour teindre les tissus et en chimie comme indicateur dans les réactions d'oxydoréduction.

Interrogée sur une utilisation du bleu de méthylène en lien avec un cancer, l'oncologue clinicienne Victoria Costanzo a expliqué à l'AFP que celui-ci est "parfois" utilisé dans la chirurgie du cancer, mais aussi "dans d'autres domaines" (lien archivé ici).

Toutefois, Matias Norte précise : "Récemment, nous avons découvert que le bleu de méthylène pourrait avoir des avantages pour le traitement du glaucome, mais rien de plus. En réalité, il a plus de toxicité que d'avantages."

Ce composé chimique peut en effet provoquer des vertiges, des sueurs et une décoloration de la peau. Il ne doit donc pas être utilisé sans surveillance médicale.

Victoria Costanzo a également affirmé qu'il n'existait aucune preuve scientifique soutenant l'utilisation du bleu de méthylène, du fenbendazole, de l'ivermectine ou du dioxyde de chlore dans le traitement du cancer. "Pour l'instant, il s'agit d'expérimentations ou de fantasmes", a-t-elle déclaré.

"Je ne recommanderais à personne, et encore moins aux patients diagnostiqués d'un cancer, de consommer l'un de ces médicaments sans le contrôle strict de leur médecin", a ajouté la professionnelle.

Cancers et fausses informations

En 2022, près de 10 millions de personnes dans le monde sont décédées des suites d'un cancer.

En France, la fréquence des cancers a doublé un une trentaine d'années, atteignant plus de 433.000 nouveaux cas diagnostiqués en métropole en 2023.

L'AFP Factuel a publié de nombreux articles décortiquant des infox sur des traitements du cancer ici ou ici.

Les oncologues redoutent que la diffusion de fausses informations sur les traitements des cancers ne mènent à l'abandon des soins par les personnes, comme expliqué dans cet article de l'AFP.

L'acteur américain Mel Gibson, également irlandais et qui a grandi en Australie, a été accusé d'antisémitisme, de racisme, d'homophobie, d'alcoolisme et de violence conjugale (lien archivé ici).

Avec les autres acteurs Sylvester Stallone et Jon Voight, il a été fait symboliquement "ambassadeurs" à Hollywood le 16 janvier 2025, pour être "les yeux et les oreilles" du nouveau président américain Donald Trump dans une industrie du cinéma très majoritairement prodémocrate, comme expliqué ici (lien archivé ici).