Arbitrage: le dilemme de Diallo

Il n’est pas question de faire de l’ingérence mais il faut que ça change. Le message des pros envoyé mercredi à Philippe Diallo a été clair. Après le licenciement de Stéphane Lannoy (ex-directeur délégué de l’arbitrage en charge du secteur professionnel), jugé brutal par certains présidents de club pro et face aux très nombreuses polémiques d’arbitrage actuelles, ils souhaitent un changement de fond dans l’organisation de l’arbitrage. Leur cible: la commission fédérale de l’arbitrage (CFA), organe politique de la FFF qui gère l’arbitrage, et notamment son président Eric Borghini. Selon eux, en s’appuyant sur certaines conclusions du rapport Laurent, du nom de cette conseillère d’Etat mandatée par Diallo il y a un an pour auditer l’organisation de l’arbitrage français, trop de collusions et de copinage sont liés à cette commission dans laquelle certains responsables n’ont pas assez de légitimité, selon eux, pour diriger l’arbitrage. Des dysfonctionnements qu’il jugent trop nombreux et préjudiciables vu la médiocrité des prestations actuelles des hommes en noir et coût de l’arbitrage pour le monde pro : 17 millions d’euros.

CFA: Borghini a prévu de quitter la présidence à la fin de l’année

Philippe Diallo a poliment écouté leur griefs et ses décisions sont maintenant attendues avec impatience par les clubs professionnels. D’abord, il leur a confirmé qu’Antony Gautier allait bien assurer l’intérim jusqu’à la fin de saison. La lettre ouverte du collège de Ligue 1 réclamant la démission du Directeur de l’Arbitrage restera donc lettre morte. Ensuite, le comité de liaison va se réunir dans une quinzaine de jours. Il réunira, pour la première fois, Eric Borghini (président de la CFA), Antony Gautier (DTA), Jean-Pierre Caillot (président du collège de L1), Jean-Pierre Rivère (vice-président du collège de L1) et Bernard Joannin (président collège de Ligue 2). L’occasion pour les deux camps de se parler franchement et directement.

Créée en 2012 à la demande de Noël Le Graët, président de la FFF de l’époque, la Commission Fédérale de l’Arbitrage est dirigée depuis sa création par Eric Borghini, ancien arbitre amateur, président de la Ligue Méditerranée et également membre du Comité Exécutif de la FFF. A l’époque, l’arbitrage français est médiocre, symbolisé par l’absence de sifflet tricolore au Mondial brésilien en 2014. Une première depuis 1974 vécue comme une humiliation au sein de la fédération. Depuis, le niveau de l’arbitrage français a bien progressé. La professionnalisation des arbitres, largement soutenue financièrement par le monde pro, a porté ses fruits. Ces dernières années, la Direction technique de l’arbitrage (DTA) et la CFA ont réussi à travailler ensemble pour faire émerger des arbitres reconnus à l’international (Turpin, Frappart, Letexier). Mais ce mode de gouvernance semble aujourd’hui s’user avec des visions pas toujours alignées entre CFA et DTA, des luttes récurrentes de pouvoir entre les deux entités (la CFA étant censée surveiller le travail de la DTA) et des arbitres parfois perdus dans cette organisation alors que leur métier se complexifie avec l’usage de la VAR qui crispe beaucoup d’acteurs du foot ces derniers temps.

Plusieurs possibilités pour Diallo mais pas sans risques

Comme il l’avait déjà annoncé dès 2021 devant l’Assemblée Fédérale, Eric Borghini a prévu de quitter la présidence de la CFA à la fin de l’année 2024 au moment des élections. Il reste au soutien de Philippe Diallo et souhaiterait conserver son siège au Comex s’il est réélu président de la Ligue Méditerranée. Vu que Borghini irrite les pros, Diallo pourrait-il lui demander de quitter la CFA dès cet été pour faire un pas vers eux ? Ce n’est pas impossible mais cela supposerait de lui proposer de nouvelles responsabilités ailleurs pour ne pas l’humilier après toutes ces années au service du football et des arbitres. Diallo pourrait-il proposer des changements de fond dans l’organisation de l’arbitrage avant la saison prochaine ? Il faudrait trouver une nouvelle organisation plus efficace, la faire accepter par les collèges de district et de Ligue avant une validation à la majorité (63% des voix aux amateurs, 37% aux pros) par l’Assemblée Fédérale ordinaire du mois de juin. Au-delà du timing qui semble très serré, cela s’apparenterait à une sérieuse prise de risque politique de Diallo puisque cette réforme impacterait les pros et les amateurs. A six mois des élections, cela parait osé de la part d’un homme qui aime rechercher le consensus. Autre possibilité peut-être plus simple en pratique et plus commode politiquement : remplacer poste pour poste Stéphane Lannoy par un profil pros-compatible et pourquoi pas enclencher une réflexion sur la position d’Antony Gautier que certains arbitres décrient en coulisses.

Les choses pourraient avancer le 18 avril prochain. A l’issue du Comité Exécutif de la FFF, Philippe Diallo va réunir plusieurs responsables fédéraux pour discuter de l’évolution de l’organisation de l’arbitrage. Le rapport Laurent sera posé sur table et ses recommandations seront débattues. Peut-être qu’une piste de réforme émergera mais rien n’est moins sûr car ce rapport fait largement débat. Les clubs pros aimerait voir ses conclusions mises en application. La CFA, en partie pointée du doigt dans le rapport, voudra se défendre et montrer qu’elle n’est pas le problème de l’arbitrage français. Le dossier de l’arbitrage devrait donc rester encore de longs mois en bonne place sur le bureau du président Diallo qui va devoir montrer sa capacité de décision pour arranger les choses.

Article original publié sur RMC Sport