Comment la "Bande à Fifi" a détrôné Dany Boon

Assiste-t-on à un point de bascule dans l'histoire de la comédie française? Alors que la "Bande à Fifi" cartonne toujours plus en salles avec Alibi.com 2 (4,2 millions d'entrées) et 3 jours max (1,6 million), Dany Boon, Nakache et Toledano et Albert Dupontel, les poids lourds de la comédie française de la dernière décennie, voient leur cote d'amour s'éroder auprès d'une partie du public.

Sorti en avril dernier, La Vie pour de vrai de Dany Boon n'a séduit que 812.281 spectateurs. Il s'agit de son pire score en tant que réalisateur. Depuis Bienvenue chez les Ch'tis, chacun de ses films avait attiré plus d'un million de spectateurs en première semaine. Après l'échec de sa précédente réalisation (8, rue de l'humanité) pour Netflix, et de ses dernières comédies en tant qu'acteur (Le Lion, Le Dindon), c'est la fin d'une époque pour Dany Boon.

Habitué à des budgets gargantuesques, il va devoir revoir ses ambitions à la baisse et surtout repenser sa manière de raconter des histoires, estime Éric Marti, directeur général de Comscore Movies: "Dany Boon doit se poser les mêmes questions que Les Tuche ou Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu? qui connaissent une forme d'usure. Il doit renouveler ses canevas. Mais ça ne veut pas dire qu'il ne va pas rebondir."

La volatilité du public

Même constat pour Nakache et Toledano. Habitués à tutoyer les sommets du box-office depuis Intouchables (19,4 millions) avec Samba (3,1 millions), Le Sens de la fête (3 millions) et Hors normes (2,1 millions), ils dépasseront péniblement le million avec Une année difficile, sorti le 18 octobre dernier. Cette comédie sociale, n'a attiré que 867.278 spectateurs, le plus mauvais score du duo depuis Tellement proches (796.719 entrées en 2009).

Après trois films de suite au-delà des deux millions d'entrées (9 mois ferme, Au revoir là-haut, Adieu les cons), Albert Dupontel n'est plus en veine non plus. Second tour, comédie satirique sur le milieu de la politique, a divisé la presse et séduit un public relativement limité: avec seulement 864.805 entrées, le film devrait égaler le score du Vilain (947.260 entrées en 2009) sans pour autant dépasser le million.

S'ils ne sont pas déshonorants, les scores de Dany Boon, Nakache et Toledano et Albert Dupontel font pâle figure face à ceux de la "Bande à Fifi". Avec plus de 22 millions d’entrées depuis le succès surprise de Babysitting en 2014, ils sont les nouveaux rois incontestés du box-office. Leur seul rival est pour l'heure Franck Gastambide, installé sur les plateformes où son succès est devenu international avec Validé puis Medellin.

"C’est moins une époque charnière que la volatilité du public", analyse le journaliste Daniel Andreyev, spécialiste de la comédie française, qui en établit le classement annuel sur Slate depuis une dizaine d'années. "Avant, les gens se déplaçaient pour voir des têtes d'affiche: Louis de Funès, Gad Elmaleh, Kad Merad, Michaël Youn… Maintenant, le public va voir les films au cas par cas."

Un marché en berne

Nakache et Toledano et Albert Dupontel, d'ailleurs, ont moins été ringardisés par la "Bande à Fifi" que victimes d'un marché en berne, estime Éric Marti: "Ils avaient besoin d'un marché un peu porteur, mais en octobre celui-ci n'était pas aussi haut qu'on l'espérait à cette période. Il a démarré avec quinze jours de retard - ce qui a correspondu au moment où ces films sont sortis."

"Après c'était trop tard: ce qu'on ne fait pas la première ou la deuxième semaine, c'est difficile de le rattraper", poursuit le spécialiste. "Comme le marché était faible, les films de Nakache et Toledano et de Dupontel se sont adressés à la même cible. Il y a eu un phénomène de cannibalisation. Les gens sont allés voir l'un ou l'autre et non pas l'un et l'autre."

Sorti le même jour que Second tour, 3 jours max a bénéficié inversement du succès d'Alibi.com 2 en février dernier: "Il y avait une érosion des films de la 'Bande à Fifi' les années précédentes (Super-héros malgré lui a attiré "seulement" 1,8 million de spectateurs, NDLR) puis le très gros succès d'Alibi.com 2 - le plus gros de leur carrière - a ragaillardi les fans et ravivé l'intérêt pour eux."

Pour Daniel Andreyev, il faut aussi considérer un autre phénomène, lié aux nouveaux modes de consommation du cinéma: "Comme tous les autres genres de films, la comédie est en train de quitter le débat public. Aujourd’hui, si tu n'as pas vu la dernière comédie qui marche, personne ne va t'en vouloir, car ça se rattrape trois mois plus tard en VOD. Alors qu'avant, c'était des films qu’il fallait avoir vus."

Pas peur du ridicule

Avec leur profusion de gags potaches et de caméos de stars, les films de la "Bande à Fifi" sont peut-être les seules comédies françaises à bénéficier encore actuellement de cette aura. Contrairement à Dany Boon ou Nakache et Toledano, le public a davantage l'impression qu'il sera surpris en regardant une production de Philippe Lacheau ou Tarek Boudali. Car dans leurs films, ils semblent ne s'imposer aucune limite.

"Ils n’ont pas peur du ridicule. Ils aiment se tremper à tour de rôle dans le caca. Il y a aussi beaucoup de gags dans les fesses chez eux", acquiesce Daniel Andreyev. "Ils ont une certaine maîtrise même si c'est une petite usine à gags déjà vus qu’ils te présentent comme si c'était du neuf." Souvent très courts (une heure et demie max), leurs films sont extrêmement rythmés, avec souvent un gag toutes les cinq secondes.

"Je les crois très sincères. Je ne crois pas qu'il y ait de calcul à part l'envie de faire rire", poursuit le spécialiste. "Il y a aussi quelque chose qui me semble très important dans leur succès: le respect des anciens. Dans tous leurs films, on retrouve de vieux acteurs: Arielle Dombasle, Christian Clavier, Gérard Jugnot, Nathalie Baye, Didier Bourdon, Chantal Ladesou, Jean-Hugues Anglade, Marie-Anne Chazel… Ils ne veulent pas se distancier de cet héritage."

Cette sincérité serait moins détectable dans Une année difficile et de Second Tour, estime le critique: "Depuis Samba, Nakache et Toledano ont l'impression d'être de grands auteurs. Ils se sont habitués à croire qu'ils avaient un public exigeant. En fait, ce n’est pas si vrai. Dupontel a de son côté un étrange modèle de communication. Il dit être seul contre tous alors que ce n’est pas si vrai: il est invité partout pour parler de son film! Il fait partie du système autant que les autres." Des postures qui peuvent agacer.

Combler un manque

La "Bande à Fifi" vient surtout combler un manque: la disparition des troupes comiques au cinéma. Ils ont pris la succession du Splendid, des Inconnus et des Nuls. "Ils tournent chacun dans les films des autres. Ça apporte un renouvellement et un côté sympathique", indique Éric Marti. "Ce qui fonctionne, c'est quand la complicité de la troupe se ressent à l'écran." Cette connivence est réelle au sein de la "Bande à Fifi":

"Ils relisent leurs scénarios, ils se conseillent entre eux. Après Philippe Lacheau et Tarek Boudali, on attend Julien Arruti à la réalisation!", ironise Daniel Andreyev.

Si leurs succès les moins importants (Nicky Larson, Super héros malgré lui) sont des pastiches d'animés ou de super-héros, ils doivent leurs plus gros succès (Babysitting, Alibi.com) justement à cette dynamique de troupe. Le public qui les porte aux nues les préfère quand ils mettent en scène des "coups de crasse", des vacheries entre potes. Un humour qui leur permet une certaine proximité avec le public:.

"Ils sont malins", note Daniel Andreyev. "Ils sont présents sur les plateformes avec LOL et dans Les Enfoirés. Ils sont très actifs sur les réseaux sociaux. Ils font des tournées d’avant-premières qui durent trois mois avec une grande majorité de l'équipe à chaque séance. Ils font des photos avec tout le monde. Ils sont accessibles. Pour des nouveaux millionnaires, ils ont l'air très accessibles."

2024, l'année de tous les défis

2024 sera malgré tout une année charnière pour la "Bande à Fifi". Ils tourneront leur projet le plus ambitieux: une adaptation du Marsupilami, d'après la BD de Franquin "C'était évident qu’ils allaient faire Le Marsupilami. S’ils ne faisaient pas ça, ils faisaient Astérix. Tu ne peux pas dire non à une grosse licence comme ça. Si Alain Chabat n’a pas dit non à Marsupilami, Lacheau ne va pas dire non", lance Daniel Andreyev.

En février, Philippe Lacheau sera aussi la star de Chat et chien de Reem Kherici. Il y donnera la réplique à Franck Dubosc. La promesse d'un cartoon en live action avec son lot de gags burlesques devrait plaire au public. "La dernière fois qu'ils ont eu recours à beaucoup d'effets spéciaux, c'était Nicky Larson, qui reste leur plus bas score", alerte Éric Marti. "La question est: où le public les attend et jusqu'où il peut les suivre."

Existe-t-il des challengers capables de les détrôner? Nouveaux riches, dernier succès en date de Neflix, est un sérieux candidat. En salles, Les Segpa et Les Déguns, deux succès surprises partis des régions, sont encore loin d'égaler leurs scores. "Ce sont de nouvelles formules qui permettent à de nouveaux talents d'émerger", conclut Éric Marti. "À un moment ou à un autre, un de ceux-là gagnera une dimension nationale."

Article original publié sur BFMTV.com