Avec "Adieu les cons", Albert Dupontel dénonce "un système qui nous rend tous cons"

Albert Dupontel dans
Albert Dupontel dans

Quand Terry Gilliam a lu le scénario d'Adieu les cons de son ami Albert Dupontel, l'ex-Monty Python a été vivement ému par cette comédie humaine où un employé de bureau suicidaire, une malade en phase terminale à la recherche de son enfant né sous X, et un aveugle effrayé par la police s'allient contre "un système qui nous rend tous cons": "Ton histoire est aussi improbable que la réalité", lui a-t-il soufflé.

En salles ce mercredi 21 octobre, Adieu les cons est un film important pour Albert Dupontel. Ce punk fou du cinéma français, dont il s'est toujours tenu à l'écart, est désormais une institution. Après les énormes succès de Neuf mois ferme et d'Au revoir là-haut (2 millions d'entrées chacun), et après avoir décroché le César du meilleur réalisateur en 2018, Dupontel revient avec un film aussi fougueux que Bernie, mais aussi plus tendre, dédié à l'ex Mony-Python Terry Jones, son maître à penser, disparu en début d'année.

Adieu le passé

En découvrant Adieu les cons, dont l'action se déroule quasiment intégralement de nuit, dans des environnements nimbés d'un orange crépusculaire, le public pourra avoir l'impression d'assister au chant du cygne d'Albert Dupontel, tant ce film est un condensé de son univers et multiplie les références à Bernie, comme pour boucler la boucle. "C’est plus une redondance d’auteur qui raconte un peu toujours la même histoire que des adieux", se contente-t-il de commenter.

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Ces redondances ont un sens. Pour les besoins d'une scène, Albert Dupontel est retourné sur les lieux du tournage d'Enfermé dehors, sa comédie de 2006 sur un sans-abri qui découvre un uniforme de police et sème la zizanie dans sa ville. En quinze ans, tout a changé. Dans une séquence émouvante d'Adieu les cons, Dupontel évoque avec amertume le temps qui passe et le destin des bourgades moyennes défigurées par une urbanisation à outrance. Face à ses souvenirs transformés, Dupontel filme pour ne rien oublier.

"Notre pire ennemi est le temps", dit-il en citant son copain Gaspar Noé. "J'assume les redondances que vous voyez sans forcément les rechercher à l’écriture. Je trouve que cette histoire ressemble furieusement à celle de Bernie. La différence, c’est qu'on s'identifie beaucoup plus aux personnages d'Adieu les cons qu'à Bernie - qui est quand même quelqu’un qui se met à distance de nous et de la réalité."

Adieu le clown

Pour la seconde fois de sa carrière de réalisateur, Albert Dupontel a renoncé à jouer le personnage burlesque, qu'il trimbale depuis Bernie - et qu'il a depuis réutilisé dans Enfermés dehors et 9 mois ferme. Dans Adieu les cons, celui qui s'est spécialisé dans les rôles de marginaux incarne un homme du système, qui veut bien faire et se retrouve sur la touche, avant de faire une tentative de suicide. Un changement conscient, lié à l'expérience d'Au revoir là-haut, où il s'était déjà délesté de son personnage:

"Je n’ai plus besoin de passer par un clown. Et Dieu sait si le clown était une façon de me cacher, une protection. Depuis Au revoir là-haut, le réalisme d’interprétation me fait beaucoup moins peur."

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Autre nouveauté pour l'acteur: il n'est plus seul au centre du film et doit partager l'affiche avec Virginie Efira, bouleversante en mère condamnée par la maladie, et Nicolas Marié, truculent en aveugle effrayé par la police. Le rôle de l'aveugle devait être tenu à l'origine par un jeune comédien. Dupontel a préféré faire appel à un vétéran, Nicolas Marié, un de ses acteurs fétiches avec qui il a tourné tous ses films à l'exception d'Au revoir là-haut:

"J’ai fini par comprendre qu’un aveugle jeune était plus triste que drôle", confie Dupontel, qui a envisagé pour le rôle Kyan Khojandi et le duo du Palmashow, Grégoire Ludig et David Marsais: "Ils ont travaillé le personnage, mais ça ne fonctionnait pas. On ne retrouvait pas sa légèreté, son irresponsabilité. On était à six semaines du projet, je ne m’en sortais pas et j’ai appelé Nicolas. Tout de suite, il a adopté ce côté irréfléchi et burlesque du personnage. Ça m’a beaucoup aidé à rendre probable ce rôle improbable."

Adieu la politique

Devenu aveugle après avoir reçu une flash-ball dans les yeux, ce personnage est le seul à voir clairement les abus dont sont responsables les policiers. "Ils en veulent à tout le monde”, dit-il. Une phrase qui résonne particulièrement dans le contexte actuel. Dupontel se défend cependant d'avoir voulu réaliser un brûlot politique: "Le film a été écrit il y a deux ans. Il se trouve qu'en ce moment ça tombe mal, il y en a. Donc forcément on croit que... Croyez bien qu'il n’y a aucune volonté de ma part de dénoncer qui que ce soit. J’ai beaucoup d’empathie, même pour mes pseudo méchants."

La thématique de l'ordre et des marginaux victimes de la société est pourtant au centre de son œuvre depuis Bernie: "Oui et non", modère Albert Dupontel. "Ce sont plus des individus qui se retrouvent heurtés à des institutions et ces institutions sont souvent aveugles et sourdes. La police fait parfois des choses admirables, prodigieuses et héroïques. Dans le film, les policiers sont présents en tant qu’institution - avec ce que ça suppose de surdité et de myopie. L’institution s’adresse à la masse et pas à l’individu. L'objet de ce film - si tant est qu'il ait un manifeste - est que je crois définitivement à l’individu, mais faut-il encore qu’il ait une chance de s’exprimer. À partir du moment où le dialogue s’établit, tout est possible", déclare Albert Dupontel, qui se dit également très méfiant à l'égard de "la consommation frénétique pour laquelle on est sollicité 24h/24":

"On nous rend crétin. Les institutions perpétuent ce système-là. Et ça, ça me fait peur. Je ne suis même pas énervé. Ce sont ces gens-là qui me font peur depuis Bernie. Bernie, quand on voit son histoire, c’est un individu tout à fait aimable qui cherche juste un bisou. Je ne suis pas le porte-parole d’un énervement lambda. Je le répète, je n’ai aucun militantisme dans mes films. Je parle juste de la difficulté de s’aimer dans un monde anxiogène. Mais ce n’est pas moi qui ai inventé ce monde. Je ne fais que le commenter. Je ne le dénonce pas. Il était là bien avant et il sera là bien après. 'Adieu les cons', c’est vous, c’est moi, c’est tout le monde. C’est un système qui nous rend tous cons. C’est de ça dont je parle dans le film, mais je ne pointe personne du doigt, soyez-en sûr."

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Adieu le jeu

La suite de sa carrière, Albert Dupontel l'envisage de manière plus apaisée. Il n'a plus envie de faire l'acteur chez d'autres réalisateurs et veut se consacrer à ses films. "Quand j’ai du temps, j’aime bien ne rien faire et contempler", complète-t-il. "A mon âge c’est indispensable. Si on ne le fait pas à mon âge, on a vraiment tout raté. Ma paresse est occupée."

Un nouveau projet commence cependant déjà à "hanter [ses] nuits". Il porte sur "la tentative d’accession au pouvoir d’un individu altruiste, humaniste, soucieux d’intérêt général": "Il est évident que des gens ne vont pas le laisser faire..." Ce film sera très différent de ce que le réalisateur a fait jusqu'à présent:

"À chaque fois je me dis ça, mais on se reverra dans trois ans si on est toujours vivant et vous me direz que ça ressemble furieusement à Bernie. Je n’en sortirai pas de moi-même! Je suis un peu esclave de moi", s'amuse le réalisateur. "J’essaye de trouver dans ma cage mentale un nouveau recoin à filmer. J’ai l’impression que ce nouveau film peut être une histoire très rythmée, très spectaculaire et très émouvante."

Article original publié sur BFMTV.com