"Elle était cramée": Élisabeth Borne quitte le gouvernement après vingt mois à Matignon
Après 20 mois à la tête de Matignon, Élisabeth Borne a quitté le gouvernement sur demande d'Emmanuel Macron. Bonne soldate, la désormais ex-Première ministre a tenu jusqu'au bout la feuille de route fixée par le Président.
"Elle n'a pas démérité mais elle paie les pots cassés après la loi immigration et une certaine lassitude dans notre camp. On avait tous envie d'autre chose", résume à grand trait un député macroniste auprès de BFMTV.com.
"Un casting un peu faiblard"
Son arrivée à Matignon en mai 2022 avait pourtant un goût historique. Pour la première fois depuis 1991, une femme succède à Édith Cresson. De quoi donner un certain relief à un début de second quinquennat plutôt poussif avec la reconduction de piliers de la macronie comme Éric Dupond-Moretti ou Gérald Darmanin.
Conscience du symbole, l'ex-préfète dédie sa nomination "à toutes les petites filles". Mais à peine nommée, celle qui a été ministre des Transports puis du Travail lors du premier mandat d'Emmanuel Macron doit très vite s'atteler à une mission à haut risque: celle de devoir composer avec une majorité relative.
Sur le papier, son profil semble bien éloigné de ceux des députés LR, au rôle clef dans une Assemblée nationale très divisée. Passée par le cabinet de Lionel Jospin, puis par la mairie de Paris sous Bertrand Delanoë et enfin par les équipes de Ségolène Royal sous François Hollande, son parcours est marqué du sceau de la gauche.
"Quand on l'a vue prendre la parole le soir du premier tour à moitié dans le noir pour dire que la majorité allait se battre pour gagner et qu'on a vu le résultat une semaine plus tard... On s'est dit qu'il nous fallait quelqu'un avec de l'ampleur, que le casting allait être faiblard", relate un collaborateur ministériel.
"Elle exécute, tout simplement"
Mais cette fan de course à pied qui ne fait pas d'ombre à Emmanuel Macron finit bien par tirer son épingle du jeu. Pendant plus d'un an, les textes passent sans encombre, de la loi sur le pouvoir d'achat en passant par les énergies renouvelables ou encore la loi de programmation militaire.
"C'est une techno. Elle fait ce qu'on lui demande. La demande de Macron est claire: des majorités texte par texte. Elle exécute, tout simplement", traduit une député Renaissance lors de ses premiers mois à Matignon.
"Ça n'a pas beaucoup de panache et c'est assez plat comme style mais elle fait le job", résume l'un de ses collègues, issu des LR.
"Elle a tenu" sur la retraite à 64 ans
Première véritable épreuve de force pour Élisabeth Borne: la réforme des retraites. En dépit de journée de grèves à répétition, la Première ministre tient et répète à de multiples reprises "assumer" le passage de l'âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans.
Entre un Président discret en la matière et un ministre du Travail qui n'imprime guère, la cheffe du gouvernement tente d'imprimer son style et multiplie pendant quelques semaines les interviews pour tenter de convaincre.
Jusqu'au bout, la Première ministre affiche la carte du dialogue et répète qu'il n'y aura pas de 49.3 pour faire passer l'allongement de l'âge de départ à la retraite. Mais pas question d'aller au vote devant l'Assemblée nationale si c'est pour perdre.
Élisabeth Borne dégaine donc cette cartouche institutionnelle pour faire adopter sans vote la retraite à 64 ans dans un hémicycle sous très haute tension.
"C'était dur de monter à la tribune, elle l'a fait, elle a tenu, elle a répondu aux récriminations. Là, on s'est tous dit qu'elle avait progressé", remarque un collaborateur ministériel.
Borne méfiante sur la loi immigration
Le vent du boulet ne passe cependant pas loin. Elle échappe à une motion de censure à neuf voix près. De quoi pousser la Première ministre à gagner en épaisseur politique. Quelques semaines plus tard, lors du dévoilement de sa feuille de route pour les "cent jours d'apaisement" promis par Emmanuel Macron, elle se paie le luxe de refuser un projet pourtant ardemment défendu par le président: la loi immigration.
"Le compte n'y est pas", explique-t-elle, estimant que le nombre d'élus LR disposés à soutenir ce texte est trop faible. Mais après les émeutes liées à la mort du jeune Nahel et un remaniement en juillet qui la met sur la sellette, Élisabeth Borne n'a plus le choix.
Si Gérald Darmanin est à la manœuvre au Sénat et parvient sans encombre à faire adopter un texte, considérablement durci, la situation se corse à l'Assemblée nationale.
"Cramée après la loi immigration"
Après un rejet surprise de la loi immigration, c'est la cheffe du gouvernement qui reprend la main. Charge à elle de convaincre la droite de conclure un accord au sein d'une réunion entre députés et sénateurs.
Rompue aux négociations de par son expérience de patronne de la RATP, elle y parvient, avant de devoir affronter une nouvelle épreuve du feu, celle du vote des députés.
Si le texte est largement adopté, il fracture profondément la majorité. Un quart des députés Renaissance votent contre ou s'abstiennent dont le président de la commission des lois à l'Assemblée nationale Sacha Houlié. Tout un symbole pour la Première ministre qui n'a eu de cesse de "défendre l'unité" de la majorité.
"Elle est restée à Matignon parce qu'elle n'était un repoussoir pour personne, ni la droite ni la majorité. À partir du moment où ça casse d'un côté, ça ne fonctionne plus. On a tous senti qu'elle s'était cramée après la loi immigration", résume un collaborateur ministériel.
Vers son retour à l'Assemblée
"On l'a sentie fatiguée aussi, usée. Quand vous affrontez plus d'une trentaine de motions de censure en deux mois, forcément, ça vous abîme", explique encore un député Horizons.
Depuis l'automne et jusqu'à la dernière séance de l'Assemblée le 21 décembre, Élisabeth Borne actionne pas moins de vingt-trois 49.3 pour faire adopter les budgets, à chaque fois suivis d'une tentative de renverser son gouvernement.
Mais l'ex préfète garde la tête haute et assure avoir "le sentiment du devoir accompli" sur la loi immigration et se dit "toujours à sa tâche, au service des Français". Sans manifestement guère convaincre Emmanuel Macron, à la recherche de neuf pour une année 2024 à haut risque avec en ligne de mire les Jeux olympiques.
Si le chef de l'État la remercie "tout particulièrement" lors de ses vœux, il promet aussi un "nouveau cap" et "une année de fiertés françaises".
Plusieurs options s'ouvrent désormais à Élisabeth Borne: siéger à l'Assemblée nationale, une première depuis son arrivée en politique, ou espérer une éventuelle nomination de prestige par le chef de l'État.