We Love Green, les Eurockéennes, Solidays... Comment le rap s'est imposé dans les grands festivals

Ce week-end marque le lancement de We Love Green, l'un des événements musicaux les plus attendus du printemps. Et pour la première journée de son édition 2024, le festival francilien a décidé de mettre en avant les rappeurs Ninho, Hamza et Shay en tête d'affiche.

Forts de leurs chiffres de ventes vertigineux, les artistes de rap sont dorénavant devenus des incontournables des festivals. Ainsi, comme We Love Green, 8 des 10 plus gros événements musicaux cet été en France ont fait le choix de programmer des rappeurs en tête d'affiche de leur festival.

Résultat, le Cabaret Vert consacre 30% de sa programmation à des artistes rap contre 23% pour les Eurockéennes de Belfort, 18% pour Solidays et plus de 12% pour les Vieilles Charrues et Garorock. Une belle revanche pour un genre relativement boudé au départ par les festivals.

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Débuts difficiles

Si 70% des festivals de musique qui existent actuellement sont nés après les années 2000, selon le ministère de la Culture, certains d'entre eux, à l'instar des Eurockéennes de Belfort (1989), des Vieilles Charrues (1992), du Printemps de Bourges (1977) ou des Francofolies de la Rochelle (1985) sont nés dans les années 80-90.

À l'époque, ces événements sont à dominante rock. Ainsi, seuls quelques artistes rap français tels que NTM, IAM ou MC Solaar parviennent à tirer leur épingle du jeu et à se produire en festival à la fin des années 90.

"NTM ou Assassin tournent, parce qu’ils ont cette énergie rock sur scène. MC Solaar aussi, ou les artistes affiliés à la Scred Connexion, parce que les textes plaisent aux programmateurs. Mais sinon c'est le vide sidéral", confiait Eric Bellamy, tourneur de rap français et fondateur de Nouëva Productions, à Streetpress en 2023.

"Il y a 20 ans, il n'y avait quasiment pas de rap français dans les festivals", abonde auprès de BFMTV.com Vivien Becle, en charge de la programmation musicale du Cabaret Vert et créateur du festival 100% rap Golden Coast.

"Le genre a mis beaucoup de temps à arriver parce que beaucoup de rappeurs ne tournaient quasiment pas sur scène et que les festivals n’étaient pas du tout une cible pour eux", ajoute-t-il.

Bascule dans les années 2010

Considérés également comme des rockstars, les rappeurs américains font toutefois office d'exception dans certains rendez-vous musicaux de l'époque. Ludovic Larbodie, directeur et fondateur du festival Garorock se souvient ainsi des concerts de Public Enemy (2007) ou de Method Man et Redman (2008) sur la grande scène de du festival du sud-ouest.

"Au départ on était 100% rock et le hip-hop est arrivé après 3-4 ans d'existence. Là, on a commencé à faire tourner des artistes hip-hop essentiellement américains", précise le directeur de Garorock à BFMTV.com.

Le rap français reste, lui, assez confidentiel. Mais au début des années 2010, la tendance évolue notamment grâce à l'émergence d'une vague d'artistes davantage pop, comme Sexion d’Assaut, Stromae ou Diam's.

Cette nouvelle génération de rappeurs va ouvrir la voie à d'autres artistes hybrides tels qu'Orelsan, 1995, L’Entourage, Lomepal ou Roméo Elvis, qui vont exploser dans l'industrie musicale, portée par l'avènement du streaming en 2016.

Désormais, le rap français est à la première place des tops albums et single et il fait vendre. Les programmateurs deviennent donc beaucoup moins frileux à l'idée de faire appel aux artistes du genre dans leurs festivals.

"Ces dernières années, les artistes rap sont beaucoup plus visibles dans les programmations parce qu'il y a un intérêt plus marqué sur l'urbain de la part des médias et du grand public", indique à BFMTV.com Hylda Gbenou, directrice artistique du festival Solidays.

"On ne s'est pas spécialement intéressé au rap en 2022. En 2012 on avait déjà Orelsan, 1995, Youssoupha, Joey Starr... C'est extrêmement important pour un festival généraliste d'assurer une diversité dans la proposition musicale", poursuit-elle.

"Maintenant les rappeurs sont sur les grandes scènes"

Si le rap français s'est donc désormais installé depuis une dizaine d'années dans les festivals, beaucoup de professionnels du milieu observent aujourd'hui une évolution dans l'importance accordée à ces artistes, qui deviennent dorénavant des incontournables dans les programmations.

"Du rap français, il y en a depuis longtemps dans les festivals mais maintenant les rappeurs sont sur les grandes scènes", affirme Jean-Paul Roland à BFMTV.com.

Pour le directeur des Eurockéennes de Belfort, cette bascule s'est illustrée en 2017 lorsque le festival installé dans la commune de Sermamagny a accueilli le rappeur Booba sur sa scène principale.

"C'était l'un des premiers festivals généralistes dans lequel il venait. Son album n'était pas sorti, il n'avait qu'un single de dispo et pourtant les gens connaissaient déjà les paroles de ses morceaux qui venaient à peine d'émerger sur Internet", se souvient Jean-Paul Roland.

"Ce moment était très important pour le festival parce c'est la première fois qu'il y a avait autant de monde devant la scène. C'est là où on s'est rendu compte de l’impact du rap français", assure-t-il.

Un public "beaucoup plus jeune"

Selon Vivien Becle, en charge de la programmation musicale du Cabaret Vert, la place importante accordée aux artistes rap français dans les festivals découle aussi d'une forte évolution de la demande d'un public "beaucoup plus jeune" désormais présent à ces événements.

"Le rap est tellement fort en France que certains festivals qui n'en faisaient pas il y a 10 ans se retrouvent aujourd'hui un peu obligés d'en faire pour attirer ce public", explique-t-il.

"Ces jeunes se déplacent en masse pour aller voir les artistes rap en festival, ce qui n'était pas le cas il y a 10 ans, et en tant qu'organisateur, on se doit d'équilibrer la moyenne d’âge de notre public d’années en années", poursuit Vivien Becle.

Cette évolution pousse ainsi les organisateurs, comme Jean-Paul Roland, à adapter leurs programmations afin de rester pertinents et continuer à attirer un public diversifié.

"Quand un jeune pense aux Eurockéennes, on doit faire en sorte qu'il ne se dise pas ‘c’est le vieux festival de mon père'. Donc on se doit de rester attentifs aux jeunes générations de rappeurs", déclare le directeur du festival.

Si pendant longtemps les festivals ont misé sur les stars internationales pour attirer du public, Jean-Paul Roland estime que le rap francophone représente à présent une part "très importante" dans l'économie d'un festival.

"Au vue de la difficulté en termes de prix et de disponibilité de certaines têtes d’affiche internationales, le rap sauve une grande partie de l’économie des festivals en France", assure-t-il. Et d'ajouter: "Même si les prix de ces têtes d'affiche ne cessent d'augmenter, ils restent encore bien en dessous des artistes étrangers."

Le rap français a ses propres festival

En 2015, le festival belge Les Ardentes va surfer sur cette tendance. Alors que le rap belge est en plein essor avec des artistes tels que Damso ou Hamza, cet événement musical au départ plutôt rock et électro fait un virage à 180° vers le hip-hop.

"Le public n’a pas tout de suite compris et on a eu une baisse de fréquentation mais on a persévéré. On a eu encore deux ans de battement en 2016 puis en 2017, année qui a terminé la transition", détaillait Jean-Yves Dreumont, en charge de la programmation et de la communication du festival, à Booska-P en 2022.

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"On s’est alors rendus compte que tous les jeunes festivaliers venaient pour ce genre d’artistes. Notre ancien public a fini par quitter le navire, pour laisser place aux auditeurs de rap", indiquait le spécialiste. Un pari gagnant pour Les Ardentes qui a accueilli plus de 210.000 festivaliers lors de son édition 2022 à Liège.

Malgré l'exemple belge de ce festival devenu un rendez-vous incontournable du rap, en France, il n'existait pas en France de manifestation dédiée au hip hop. "Une anomalie" face à la réalité du marché musical français, selon Vivien Becle.

"La France, c'est quand même le marché numéro 2 du rap dans le monde, qu'il n'y ait pas de festival de cette ampleur-là c'était clairement une anomalie", déplore le programmateur du Cabaret Vert.

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Face à ce constat, ce passionné de rap a donc imaginé le premier festival français 100% dédié au genre. En gestation depuis plus de 10 ans, le Golden Coast va ainsi voir le jour en 2024. Cette première édition attendue à Dijon, les 13 et 14 septembre prochains, réunira des grands noms du rap francophone tels que Booba, SCH, Ninho, Lala &ce ou Zamdane.

"À l’annonce du lancement du tout le monde nous a suivi sans se poser de question et il y a eu beaucoup d'engouement autour du projet", conclut Vivien Becle. "C'est là où on se rend compte qu'on ne s'est pas trompé. Le rap français a pris sa revanche."

Article original publié sur BFMTV.com