"Un vrai problème de signalement": face aux maltraitances d'enfants, l'importance de prévenir les autorités

"Un enfant ne peut pas se protéger lui-même". Ce mercredi se tient à Reims le procès en appel de Jonathan L. pour non-dénonciation de mauvais traitements. L'homme habitait à côté d'un petit garçon de trois ans qui est mort sous les coups de son beau-père en 2016. Ce dernier a été condamné à 20 ans de prison, une condamnation de laquelle le parquet a fait appel.

Après la mort du petit garçon, Jonathan L. avait déclaré avoir entendu à plusieurs reprises les maltraitances faites au petit garçon, sans avoir toutefois prévenu les autorités.

Le procès d'un témoin pour non-signalement de mauvais traitements est extrêmement rare en France. Pourtant, les associations de protection de l'enfance assurent auprès de BFMTV.com que les témoins, directs ou indirects, de violences n'alertent pas systématiquement les services dédiés.

"On a un vrai problème de signalement", confirme auprès de BFMTV.com Charlotte Caubel, secrétaire d’État chargée de l'Enfance. Qu'il s'agisse de la famille, de professionnels au contact d'enfants ou de témoins dans la rue, "le signalement ne se fait pas de façon spontanée".

Or "on ne peut pas demander aux enfants d'avoir la responsabilité de signaler les violences qu'ils subissent", continue-t-elle, c'est "aux adultes de les signaler".

Il existe pourtant en France une obligation légale de dénoncer un crime ou un délit. L'article 434-3 du Code Pénal punit en effet "le fait, pour quiconque ayant connaissance de privations, de mauvais traitements ou d'agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur" et n'en informant pas les autorités, de "trois ans d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende."

"Les gens ont peur de se tromper"

Mais "quand vous décortiquez un fait divers, régulièrement des gens disent: 'on s'en doutait', il y avait une suspicion", déplore Michèle Créoff, vice-Présidente de l'Union pour l'Enfance, qui rappelle qu'un "enfant ne peut pas se protéger lui-même".

Alors qu'est-ce qui retient d'appeler les autorités? Souvent, "les gens ont peur de se tromper" ou ne se sentent pas légitimes pour intervenir, déclare Isabelle Debré, présidente de l'Association l'Enfant Bleu.

Jonathan L. avait ainsi déclaré au cours de son procès ne pas avoir prévenu la police parce qu'il "n'avait pas la certitude de ce qui se passait là-haut et parce que c'était inconcevable d'imaginer des choses comme ça", rapportait Le Point en 2021. "Je ne peux pas voir à travers les murs", avait-il dit.

Mais même "quand on voit une maltraitance, on a tendance à se dire que c'est une fois, pas tout le temps, on minimise", explique Lucile Hervouet, sociologue, spécialiste des violences intrafamiliales. "On ne se dit pas que l'enfant peut un jour décéder sous les coups."

Michèle Créoff martèle de son côté que le doute doit profiter à l'enfant, et qu'il faut donc alerter dès lors que "vous êtes inquiets, que la situation ne vous semble pas normale". Pour rappel, en France, un enfant meurt tous les cinq jours de violences intrafamiliales et "400.000 enfants vivent encore aujourd'hui dans un foyer où s'exercent des violences intrafamiliales", écrit le site officiel Vie Publique.

"Il vaut mieux alerter et se tromper plutôt que d'avoir un enfant qui meurt sous les coups", abonde Isabelle Debré.

Pour aider sur ce sujet, le site de la ville de Paris a par exemple dressé une liste des comportements qui peuvent alerter et entraîner un appel au 119, numéro vert d'appel pour les enfants victimes de violences: "peurs inexpliquées", "fugues répétitives", "désordres alimentaires" ou encore "accidents domestiques à répétition" sont listés.

"Montrer l'impact positif d'un signalement"

Parmi les freins aux signalements de maltraitances, il existe également une vraie crainte d'appeler les autorités d'après les personnes interrogées. Certains ont par exemple peur que l'agresseur se retourne ensuite contre eux. "J'ai failli vous appeler, mais ça allait faire des histoires, il était violent", avait ainsi déclaré la femme de Jonathan L. (décédée d'un cancer depuis), rapportait France 3 en 2020.

Lucile Hervouet pointe aussi du doigt la méconnaissance du système judiciaire de beaucoup de citoyens. "Appeler la police, c'est un geste dont on ne connaît pas les conséquences" et qui peut donc effrayer. "Qu'est-ce qu'il va se passer ensuite pour nous? Pour l'enfant? On a l'impression que cela va tout bouleverser".

Pascal Vigneron, directeur du 119, confirme auprès de BFMTV.com que tous les appels n'entrainent pas forcément d'interventions. Tous sont évalués par les écoutants du 119, et redirigés ensuite en fonction des besoins. Sur environ 150 appels par jour, il y a en moyenne une situation nécessitant l'intervention immédiate des services de secours, détaille-t-il.

En cas d'information jugée préoccupante, différents scénarios peuvent arriver: "plusieurs professionnels (travailleurs sociaux, puéricultrices, médecins de PMI…) peuvent intervenir auprès de la famille afin de vérifier si le mineur concerné est en danger ou en risque de l’être, et le cas échéant, de proposer l’aide appropriée (suivi de proximité, mesures administratives…)", détaille par exemple le site du 119.

Pour enrayer cette crainte, les associations de protection de l'enfance appellent à plus de pédagogie, en explicitant notamment davantage les conséquences d'un appel aux autorités: "il faut montrer qu'on est obligé de signaler, mais aussi montrer l'impact positif d'un signalement", souligne Lucile Hervouet.

"Des tas de façons de signaler, d'alerter pour sauver"

Le procès de Jonathan L. ce mercredi va mettre en exergue toutes ces interrogations et pose la question de la réponse judiciaire à apporter à ceux qui gardent le silence. Le voisin avait été relaxé en première instance, mais en 2021 le parquet général de la cour d'appel de Reims a décidé de se pourvoir en cassation, considérant que l'homme était au courant des maltraitances. En première instance, puis en appel, le ministère public avait toutefois requis une condamnation avec dispense de peine à l'encontre de Jonathan L.

En France, "je n'ai jamais vu de condamnation de ce type", déclare Michèle Créoff. Et pour elle, ce n'est pas forcément un bon message envoyé à la population: "ce n'est pas un interdit si ce n'est jamais sanctionné", alors "qu'il y a urgence" pour protéger les plus faibles, "qui ne peuvent pas se protéger eux-mêmes".

L'association L'Enfant Bleu était dans un premier temps partie civile du procès de Jonathan L.. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, car elle considère que l'homme "avait essayé de dénoncer les maltraitances". Il n'avait certes pas alerté les autorités, mais avec sa femme ils avaient par exemple placé une affiche contre les violences dans l'ascenseur rappelle-t-elle, et Jonathan L. assure avoir prévenu le bailleur de son immeuble de la situation.

"Ils ne savaient pas comment faire", déclare Isabelle Debré.

Si elle "espère que ce procès servira d'exemple", pour elle "il ne faut pas pour autant jeter l'opprobre sur ce voisin" car il y a un risque que les personnes se trouvant dans des situations similaires se sentent menacées par la suite et n'osent plus du tout alerter.

"Une prise de conscience"

La situation sur ce sujet s'améliore toutefois, notent les associations de protection de l'enfance, notamment depuis le confinement dû au Covid-19, lors duquel des campagnes pour lutter contre les violences intrafamiliales ont été menées.

"On est quand même dans un moment de prise de conscience", souligne Michèle Créoff, "on sait de plus en plus ce que des violences peuvent entraîner sur un destin d'enfant".

En 2019, le nombre d'appels pour signalements au 119 était de 35.822, il était en 2021 de 42.002. Pascal Vigneron souligne également que le nombre d'appels de voisins "a pas mal évolué depuis le confinement et tourne autour de 10%" du nombre total d'appels aujourd'hui. "Dès lors qu'il y a un doute, il faut intervenir", rappelle-t-il.

Isabelle Debré cite également la possibilité de joindre une association de protection de l'enfance, la CRIP (cellule départementale de recueil des informations préoccupantes), la police ou encore la gendarmerie: "il y a des tas de façons de signaler, d'alerter pour sauver".

Pour pallier la réticence aux signalements, Charlotte Caubel explique que son ministère travaille actuellement sur plusieurs projets, notamment une campagne de sensibilisation sur les violences sexuelles sur mineurs, mais aussi une plateforme d'écoute à destination de certains professionnels travaillant avec les enfants. Et elle le répète, en cas de doute, "il faut appeler le 119".

Article original publié sur BFMTV.com