Cannabis, cocaïne... Les enfants de plus en plus victimes d'intoxications accidentelles à la drogue

À quelques jours de Pâques, c'est une publicité dont Ferrero se serait bien passé. Une fillette de deux ans a ingéré un morceau de résine de cannabis. Ses parents l'avaient caché dans la fameuse boîte jaune des Kinder surprise. Ne voyant pas l'état de santé de leur enfant décliner immédiatement, le couple ne s'est pas inquiété sur le moment. C'est lorsqu'ils ont retrouvé leur petite fille inconsciente dans son lit le lendemain matin qu'ils l'ont amenée à l'hôpital de Pau. L'enfant est rapidement sortie du coma et est, aujourd'hui, hors de danger.

Quelques mois plus tôt, ce sont des gendarmes qui sont intervenus à Vigan, dans le Gard, après l'ingestion par un enfant d'un an d'une boulette de cannabis oubliée sur un coin de table. À 300 kilomètres de là, un nourrisson d’à peine 18 mois a été pris en charge en juillet 2023 par les pompiers près de Grenoble. Après avoir ingéré du cannabis lors d’une soirée à laquelle participait son père, il s'est retrouvé en urgence absolue. Autre cas de figure, plus tragique, en Charente-Maritime. Au début du mois de mars, un nourrisson de trois semaines est décédé à Rochefort. L'autopsie a révélé la présence de cocaïne dans son sang, avec comme hypothèse privilégiée un empoisonnement via l'allaitement maternel.

Depuis plusieurs mois, les affaires d'empoisonnements accidentels d'enfants à cause de la drogue se multiplient, renforçant l'inquiétude déjà existante des professionnels.

Les intoxications au cannabis sont les plus fréquentes

Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Parmi les admissions pour intoxication à la drogue, celles liées au cannabis sont les plus fréquentes chez les enfants, selon les données des autorités sanitaires. Elles sont même la première cause des admissions en réanimation (23 %), admissions qui ont doublé chez les moins de 6 ans entre 2014 et 2019. Elles ont conduit à l’hospitalisation de près de 280 enfants de moins de 6 ans en moyenne chaque année, selon l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES).

Les derniers chiffres communiqués par les autorités confirment cette tendance à la hausse. Après une petite inflexion en 2021, le nombre d’hospitalisations et d'admissions en réanimation pour intoxication au cannabis chez les jeunes enfants âgés de moins de 6 ans a augmenté en 2022 et 2023. Les admissions en réanimation ont été de 35 et 42 par an chez les moins de 6 ans. Elles concernent surtout le nourrisson de moins de 2 ans.

L'autre constat des professionnels est la multiplication des intoxications à la cocaïne. Une étude baptisée CocaKid a été publiée en avril 2023 dans la revue scientifique Clinical Toxicology. Elle a été menée avec 24 services d'urgences pédiatriques français sur l'exposition accidentelle à la cocaïne chez les enfants de moins de 15 ans pour la période 2010-2020. Les résultats font état d'une multiplication par huit du nombre d'enfants admis aux urgences pour une intoxication accidentelle à la cocaïne. Les enfants de moins de 6 ans représentent près de la moitié des cas.

Plus il y a de consommateurs, plus il y a d'accidents

"Dans les familles dont les enfants arrivent chez nous, il y a au moins l'un des deux parents qui est consommateur de drogue", constate le professeur Isabelle Claudet, cheffe des urgences pédiatriques au CHU de Toulouse, qui alerte sur les risques d'intoxication accidentelle notamment chez les tout petits.

En France, le nombre de consommateurs de cannabis est estimé à environ 5 millions. Selon la dernière étude sur la consommation des adultes de l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), l'âge moyen du consommateur est de près de 33 ans. Les 25-35 ans sont les plus gros fumeurs, soit l'âge des jeunes parents.

Les autorités estiment qu'il y a entre 400.000 et 600.00 consommateurs de cocaïne en France par an. Une banalisation de la consommation de la poudre blanche dans toutes les couches de la société et dans tous les territoires qui augmentent les risques d'ingestion accidentelle de la drogue par les enfants. "C'est mécanique, plus vous avez de consommateurs, plus les cas d'accidents pédiatriques augmentent", confirme Jérôme Langrand, toxicologue et chef de service du centre antipoison de Paris.

Et le fait d'être consommateur de drogue est souvent "un frein à l'appel" aux services d'urgence note le chef du centre antipoison de Paris. "Quand il y a une intoxication à la drogue, certains vont nous le dire d'emblée, d'autres vont faire de l'entre-deux", nous explique celui dont le centre antipoison reçoit les appels des particuliers après l'ingestion d'un produit qui va du détergent à la drogue.

Le professeur Isabelle Claudet détaille des versions souvent similaires: "'On était chez des amis, certains consommaient du cannabis' ou alors 'nos voisins sont venus dîner à la maison', ou encore 'une boulette de cannabis a atterri sur notre balcon'". "Certains parents devraient pourtant prendre le risque de nous appeler", insiste Jérôme Langrand. "On sait que les gens consomment chez eux, autant être responsables."

"Une intoxication au cannabis peut entraîner un coma"

La présence de ces drogues dans les foyers fait courir des risques importants aux enfants, notamment ceux de moins de deux ans. "La première cause de coma chez le nourrisson de moins de deux ans sans fièvre, c'est une intoxication au cannabis", illustre le professeur Isabelle Claudet. "Il s'agit d'une véritable intoxication avec un réel tableau clinique", alerte-t-elle.

"Oui, une intoxication au cannabis peut entraîner un coma et un passage en réanimation. Oui, nous voyons des enfants dans le coma, avec une assistance respiratoire", martèle auprès le professeur Isabelle Claudet.

L'ingestion de cannabis, par un enfant, peut provoquer une somnolence, une perte d'équilibre mais aussi des convulsions et des troubles de la connaissance "qui sont très importants", souligne Jérôme Langrand. "L'ingestion de la cocaïne n'est pas la plus à risque mais contrairement à la majorité des cas d'intoxication, où nous laissons l'enfant à la maison avec des bons conseils de prévention, une intoxication à la drogue nécessite une surveillance à l'hôpital."

Les dangers des "space cake" et autres "gummies"

Les professionnels s'inquiètent aussi du taux de THC, le principe responsable des effets psychoactifs du cannabis, comme l'euphorie, qui augmente dans le produit consommé aujourd'hui. "L'évolution va vers un produit de plus en plus dosé", confirme Anne Batisse, pharmacienne et cheffe du centre d'addictovigilance de Paris. "Et les comas et le nombre d'admissions en réanimation sont corrélés avec l'augmentation de la concentration en THC", soutient la cheffe des urgences pédiatriques de Toulouse.

Au-delà de la boulette de résine laissée sur le coin d'une table, dans un cendrier, ou dans un endroit accessible, un autre type de consommation inquiète les professionnels: les space cake ou cookies au cannabis. "Les enfants ne font pas la différence avec un gâteau traditionnel", insiste le professeur Claudet.

"Ce que l'on constate également aujourd'hui, ce sont les intoxications aux gummies à base de cannabis, des bonbons aux formes très attirantes pour les enfants, c'est un véritable pousse-au-crime", déplore Jérôme Langrand, toxicologue et chef de service du centre antipoison de Paris.

Au centre d'addictovigilance de Paris, on alerte aussi sur les petits flacons de poppers ou de e-liquide pour les cigarettes électroniques qui ne sont pas équipés de bouchons sécurisés pour les enfants.

Des signalements auprès de la justice

Au tribunal de Lille, ces affaires d'intoxication accidentelle sont malheureusement bien connues. "Quand les urgences reçoivent un enfant intoxiqué, même si c'est accidentel, cela se réfère à de la négligence", relève Karolina Siejka, juge des enfants. "Le parquet va nécessairement saisir un juge des enfants." La magistrate constate elle aussi le désarroi de ces parents. "Ils sont catastrophés, eux-mêmes sont démunis car la consommation de drogue fait partie de leur quotidien, ils vivent avec, d'où la négligence."

Dans ces affaires, un placement de l'enfant en urgence est ordonné. Un placement a minima de 6 mois, le temps de l'enquête pénale mais aussi de l'enquête sociale et de voir l'évolution du comportement des parents. "L'émotion des parents ne me suffit pas pour me dire que ça va aller", poursuit Karolina Siejka.

"Les dossiers, c'est du cas par cas. On apprécie les garanties données, on apprécie le risque que l'on prend en redonnant ou non ces enfants à leur parent. Mon choix est celui de les protéger". Et la juge de donner cet exemple: "J'ai eu un dossier dans lequel le père avait laissé traîner la drogue, l'enfant a été hospitalisé, il y a eu un signalement. Deux mois plus tard, la mère avait quitté le père, les enfants ont été confiés à leur mère".

Reste alors la question de la dépénalisation du cannabis. Alors que le sujet revient régulièrement dans le débat politique, pourrait-elle avoir une incidence sur l'exposition des enfants à cette drogue? "Aux États-Unis et au Canada (où la consommation est dépénalisée, NDLR), les études montrent qu'il y a une explosion des recours aux services d'urgence pour des intoxications d'enfants", balaie le professeur Claudet pour qui "la pénalisation nous protège un peu". Pour Anne Batisse, du centre d'addictovigilance de Paris, la dépénalisation pourrait toutefois jouer en faveur d'une meilleure communication sur les risques liées à la consommation de cannabis avec des logos ou des mentions type "ne pas laisser à la portée des enfants".

"Quoiqu'il en soit, les enfants doivent rentrer le plus tard possible en contact avec une substance addictologique comme les drogues ou l'alcool", conclut la pharmacienne. "Le cerveau peut garder une trace et ammener plus tard vers une dépendance."

Article original publié sur BFMTV.com