La vente de carburant à prix coûtant, nouvelle stratégie du gouvernement dont les effets seront limités

À défaut de les convaincre de vendre à perte, le gouvernement va essayer d’obtenir des distributeurs qu’ils vendent « à prix coûtant » pour alléger la facture des Français à la pompe.

La grande distribution semble plutôt réceptive. Emmanuel Macron a annoncé dimanche 24 septembre, au cours de son interview sur France 2 et TF1, qu’il encouragerait les grandes enseignes à vendre le carburant « à prix coûtant », enterrant de fait l’autorisation donnée par d’Élisabeth Borne de « vendre à perte » dans le but de faire baisser les prix à la pompe. L’opération s’annonce d’envergure avec « près de 120 000 opérations » à prix coûtant « dans 4000 stations » jusqu’à la fin de l’année, a fait savoir le gouvernement.

Afin que tous les distributeurs jouent le jeu, la Première ministre a accueilli ce mardi 26 septembre après-midi à Matignon distributeurs, raffineurs, et fédérations professionnelles pour « veiller à la modération des marges » et « demander de multiplier les opérations prix coûtant, sans exclure de légiférer le cas échéant ». « Chacun doit prendre sa part », a insisté Élisabeth Borne.

Un message qui est bien passé puisque sept grandes enseignes ont annoncé ce mardi qu’elles proposeraient dans les prochains jours du carburant à prix coûtant. C’est-à-dire sans faire de profit sur les ventes.

Comment ont réagi les grandes enseignes par rapport à cette vente à prix coûtant ? Quelles en sont les modalités ? Quelles répercussions aura cette initiative sur le porte-monnaie des automobilistes ? Le HuffPost fait le point.

Au moins sept supermarchés vont suivre le mouvement

Quelques heures avant la réunion de ce mardi à Matignon, l’enseigne E.Leclerc a annoncé qu’elle proposerait dès vendredi 29 septembre dans 750 stations-service de « l’essence à prix coûtant tous les jours ».

Sur Twitter, le président du comité stratégique du groupe de distribution E.Leclerc, Michel-Édouard Leclerc, a précisé que l’enseigne vendrait de l’essence « sans profit et tous les jours, pas seulement les week-ends comme lors de nos opérations précédentes ». Les stations Leclerc avaient en effet déjà eu recours à cette opération en août, en vendant pendant sept week-ends consécutifs son carburant à prix coûtant.

Michel-Édouard Leclerc précise aussi que « cette initiative Leclerc, construite pour durer, devrait être réévaluée ou adaptée pour tenir compte des conditions d’approvisionnement et de l’implication attendue des pétroliers ».

Plus tôt dans la matinée, le patron de Système U Dominique Schelcher avait confirmé sur BFMTV et RMC qu’il procéderait, lui, par « opérations » plutôt qu’avec une mesure permanente. « Cela ne peut pas être du prix coûtant permanent », avait-il précisé concernant son enseigne, se justifiant en évoquant des marges déjà « faibles, 2 centimes en moyenne au litre ». Système U prévoit une opération par mois pendant un week-end.

Ce mardi soir, Carrefour a emboîté le pas à ses concurrents, en annonçant sur BFMTV qu’elle proposerait à ses clients du carburant à prix coûtant à partir de vendredi 29 septembre jusqu’à la fin de l’année. Alexandre Bompard assure qu’il s’agit de « la plus grande opération de vente de carburant à prix coûtant de son histoire ».

A la sortie de la réunion à Matignon, quatre autres acteurs du secteur ont aussi accepté de vendre à prix coûtant. Casino, Cora et Intermarché ont annoncé appliquer la mesure deux week-end par mois, tandis qu’Auchan indique qu’une opération aura lieu un week-end par mois.

Prix plafonnés chez TotalEnergies

Le groupe pétrolier TotalEnergies, qui gère le tiers des stations-service en France a fait lui valoir que sa contribution « ne se limite pas à une mesure de prix coûtant ».

Le groupe souligne dans une déclaration à l’AFP que « ce n’est pas la marge de raffinage en France qui permet (ce) plafonnement » mais « la bonne santé globale de notre compagnie ». TotalEnergies indique que depuis 15 ans les marges du raffinage sont « calamiteuses », précisant avoir pour sa part essuyé plusieurs années de pertes sur cette activité, dont 400 millions d’euros en 2021.

La semaine dernière, l’entreprise pétro-gazière avait catégoriquement refusé de « vendre à perte » et de faire davantage d’effort pour faire descendre les prix. En revanche, elle avait annoncé que le plafond fixé à 1,99 euro par litre de carburant dans ses 3 400 stations essence perdurerait « tant que les prix sont élevés ».

« 1,99, c’est un plafond, la politique de TotalEnergies sera assurée (...) Je ne descendrai pas plus bas. C’est déjà un effort important », avait expliqué le patron du géant pétrolier Patrick Pouyanné, interrogé par un journaliste de l’émission Quotidien.

Peu de bénéfices pour le consommateur

Les opérations de vente à prix coûtant sont loin d’être nouvelles. En juillet dernier, la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, avait déjà demandé aux distributeurs de faire des efforts alors que le prix à la pompe dépassait les deux euros dans de nombreuses stations. Les groupes Casino, Intermarché, ou encore Leclerc avaient ainsi mis en place dès opérations de vente à prix coûtant cet été, parfois pendant plusieurs semaines.

Malheureusement, cette vente sans profit pour les grandes enseignes a des effets très limités sur le porte-monnaie des consommateurs. « L’écart de prix lors de nos opérations à prix coûtant n’est pas bien grand pour le consommateur, 1 ou 2 centimes tout au plus », avait déjà rappelé en juillet Dominique Schelcher, le PDG de Système U, alors invité sur France inter. « Au moment où les prix d’achat sont en train d’augmenter, je rajoute les taxes et je vais moi-même me retrouver à plus de 2 euros le litre », avait-il précisé. Et pour cause : 60 % du prix du carburant en France est composé de taxes.

L’impact de la vente à prix coûtant risque donc d’être « assez marginal », d’autant qu’elle est déjà pratiquée par les enseignes et que la grande distribution vend les carburants avec des marges de « quelques centimes » seulement. Une mesure loin donc d’annuler la hausse des derniers mois, abonde à l’AFP Patrice Geoffron, professeur à l’Université Paris-Dauphine et directeur de l’équipe énergie-climat.

La réunion de ce jeudi à Matignon, au lendemain de la présentation par Emmanuel Macron de sa planification écologique, illustre une nouvelle fois la difficulté de l’exécutif à concilier réduction des émissions polluantes et préservation d’un pouvoir d’achat grevé par la flambée des prix des carburants fossiles. Le prochain rendez-vous entre le gouvernement et les acteurs du secteur aura lieu début décembre pour faire le point sur la stratégie entreprise.

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