"Je vais mourir maman": les dernières minutes de la vie d'Adèle livrées au procès de l'incendie de la rue Erlanger

L'incendie dans l'immeuble situé au 17 bis de la rue Erlanger à Paris a fait 10 morts dans la nuit du 4 au 5 février 2019. - Benoît Moser / BSPP - Brigade de sapeurs-pompiers de Paris
L'incendie dans l'immeuble situé au 17 bis de la rue Erlanger à Paris a fait 10 morts dans la nuit du 4 au 5 février 2019. - Benoît Moser / BSPP - Brigade de sapeurs-pompiers de Paris

Ce sont les 49 dernières minutes de la vie d'Adèle Gorgatchev qui ont été exposées devant la cour d'assises de Paris. Pendant 49 minutes cette jeune femme, habitante du 17 bis rue Erlanger, est restée au téléphone avec sa mère Pascale et un pompier du centre d'appel. Pendant 49 minutes, elle a cherché un moyen de survivre à cet incendie allumé cinq étages plus bas par Essia B. En vain.

"Bonjour monsieur, il y a le feu chez ma fille", débute l'avocate de la famille Gorgatchev reprenant les paroles prononcées par Pascale, la mère, cette nuit du 4 au 5 février 2019. C'est elle qui va reprendre dans sa voix cet échange qui va glacer l'ensemble de la salle d'audience. "Qu’est-ce que je lui dis?", demande Pascale Gorgatchev qui vient d'être alerté qu'un feu sévit dans l'immeuble de sa fille. "On va l’appeler. Faut qu’elle reste chez elle, on va l’appeler", répond le pompier.

"Je vais mourir"

À partir de ce moment-là, c'est une conversation à trois. "Il y a toutes les fenêtres qui pètent chez moi", détaille Adèle Gorgatchev. La jeune femme, brillante clerc de commissaire-priseur, habite l'appartement 90 au 8e étage. Son studio de 35 m² est le dernier au fond d'un long couloir. Les flammes ont rapidement envahi les parties communes sa seule échappatoire est son grand balcon.

"Vous pensez pas qu’elle craindrait moins si elle montait sur le toit", suggère Pascale Gogartchev, arrivée sur place alors qu'elle habite "à sept minutes à pied" de l'appartement de sa fille.

Jusqu'à la fin, le pompier du centre d'appel lui conseille de se réfugier sur son balcon, de ne pas tenter de monter sur le toit. "Restez sur le balcon, restez sur le balcon et protégez vous avec le drap, lui intime le secouriste. Madame, protégez-vous avec le drap. Protégez-vous le visage avec la couverture."

- "Là je vais mourir, je vais mourir, il y a le feu, je suis bloquée", assure Adèle Gorgatchev. - "Madame vous n’allez pas mourir, je vous promets", lui rétorque le pompier.

"Au secours, aidez-moi", supplie la jeune femme. Dans son appartement, les flammes avancent. Le faux plafond s'effondre. Réfugiée sur son balcon, entourée d'un drap, l'un de ses trois chats avec elle, elle entend ses deux autres félins hurler. Adèle Gorgatchev pense à leur survie. Elle oscille entre des moments de panique et de parfaite lucidité. "Je suis désolée pour toi maman, c’est fini pour moi, c’est pas grave maman, j’étais très heureuse", souffle-t-elle à sa maman.

- "Mais non, ils sont là", espère au téléphone Pascale Gorgatchev. - C’est pas grave maman, j’ai vécu ce que je voulais vivre..." - "Chérie non, reste en ligne ma puce, reste en ligne, ma chérie je t’en supplie."

Adèle Gorgatchev restera en ligne jusqu'au dernier moment, le pompier lui affirmant toujours que ses collègues se trouvent derrière sa porte. "Maman il faut qu’ils viennent me chercher maintenant je vais mourir, maman je prends feu, je prends feu." Sa mère l'entend hurler, pousser des cris stridents, crier à plein poumon. Dans le box, l'accusée écoute attentivement, visiblement sonnée parce qu'elle vient d'entendre.

"Les flammes sont arrivées sur elle"

Les voisins d'Adèle ont eux aussi entendu ces cris. Laurent est le premier habitant du 17 bis rue Erlanger à se réfugier sur le toit. Il va aider sa voisine, elle aussi une habitante du 8e étage, à grimper. "Nous étions au-dessus de l’appartement d'Adèle, elle est restée au niveau du balcon enroulée dans une couverture, en PLS, elle n’a pas voulu bouger", a-t-il confié pendant l'instruction.

"Elle a dû perdre connaissance à cause de la fumée, elle s’est ensuite réveillée et les flammes sont arrivées sur elle", a encore témoigné Laurent.

Plus d'une centaine de pompiers ont tenté de secourir les habitants de l'immeuble en feu. "C'était impossible de sauver tout le monde", a reconnu l'un d'eux lors de la première semaine de procès.

Décrite par ses proches comme une personne "solaire", un "être de lumière", aimant les autres, Adèle Gorbatchev était également sportive, férue de sport de montagne. Trois ans avant cet incendie meurtrier, un feu s'était déclenché dans l'appartement voisin du sien. Elle avait acheté une échelle pour pouvoir se réfugier sur le toit, un lieu qu'elle fréquentait depuis régulièrement, y organisait des fêtes notamment pour assister au feu d'artifice du 14-Juillet.

La détresse d'une mère

Pourquoi cette nuit-là n'a-t-elle pas tenté de monter sur ce toit, elle qui n'avait pas le vertige, questionne l'une de ses amies venue témoigner devant la cour d'assises. "Ma fille avait une aura pour les pompiers, confie sa mère ce mercredi. Elle me disait 'ils donnent leur vie pour les autres, ils meurent dans des conditions les plus atroces qui soient'. Je suis convaincue que ça a joué un rôle absolument déterminant, elle a fait confiance à 100%."

"À aucun moment, dans la conversation, elle a douté que ce que le pompier a dit n’était pas tout à fait vrai, voire totalement faux", poursuit la mère endeuillée.

Drapée dans une impressionnante dignité, Pascale Gorbatchev revient sur cette nuit d'horreur, sur son "impuissance", elle qui a pourtant supplié plus d'un pompier d'aller sauver sa fille. "J'allais dans les camions, je les tirais par la manche", souffle-t-elle. Face aux photos de l'incendie projetées à la demande de cette mère, pour montrer comment les flammes ont envahi l'appartement de son enfant, l'accusée se prend la tête entre les mains, en larmes.

Pascale Gorbatchev assure aujourd'hui "ne pas être à la hauteur" de sa fille. "Ses hurlements, la façon dont elle est morte sur un bûcher, ça me dévaste, c’est une telle souffrance. Elle a tellement souffert, ma souffrance n'est rien à côté de la sienne."

Article original publié sur BFMTV.com