LA VÉRIF - Cabinet Occurrence, police, organisateurs: comment décompte-t-on les manifestants?

Des manifestants le 21 janvier 2023 à Paris.  - Thomas Samson
Des manifestants le 21 janvier 2023 à Paris. - Thomas Samson

Des milliers de jeunes - soutenus par les insoumis et diverses personnalités de gauche - ont défilé contre le projet de réforme des retraites voulu par le gouvernement ce samedi à Paris. Plus précisément, ils étaient 150.000 à descendre depuis la Place de la Bastille jusqu'à celle de la Nation, selon les organisations de jeunes et la France insoumise. Euh non, 12.000 d'après une source policière à BFMTV. Plutôt 14.045, assure enfin Occurrence, un cabinet indépendant qui a compté les manifestants pour un collectif de médias, parmi lesquels BFMTV.

Cette "marche pour nos retraites" a en effet débouché sur le même tableau arithmétique très contrasté qui clôture habituellement les manifestations: selon qu'on écoute les organisateurs, la police ou un observateur extérieur les ordres de grandeur de la mobilisation se démultiplient, ou se contractent de manière spectaculaire. Il faut dire que les méthodologies employées différent largement d'un acteur à l'autre.

• Cabinet Occurrence: hauteur, algorithme et vidéos

C'est donc la source désormais privilégiée par les médias faisant appel ponctuellement à ses services pour recenser les marcheurs d'un cortège: le cabinet d'étude et de conseil Occurrence. Assaël Adary, qui en est le cofondateur et le président, a expliqué le principe mis en oeuvre par sa société sur BFMTV.

Un savoir-faire qui s'appuie sur la technologie: "C’est un capteur qui est un système de comptage, qui crée un champ comme une ligne d’arrivée et tous ceux qui la croisent sont comptés. C’est de l’IA (intelligence artificielle, NDLR), un algorithme. C’est de l’analyse des images."

Il en a détaillé la provenance: "C’est une technologie qui nous vient d’un besoin sécuritaire à la base. Ces technologies sont en place dans les musées, les aéroports, les magasins." "On ne les a donc pas inventées, simplement on les utilise dans un usage un peu détourné, à l’extérieur, depuis un étage élevé pour couvrir une rue ou un boulevard", a-t-il ajouté.

Cette question de la hauteur est cruciale. Plus précisément, les équipes d'Occurrence prennent idéalement position à huit mètres de hauteur au-dessus du défilé. En plus de la technique décrite ci-dessous, Occurrence demande à son personnel de procéder à des mini-comptages en appoint. Enfin, Occurrence procède à un recomptage en se fondant sur les enregistrements vidéos.

• Surplomb, "compteurs" et revisionnage: le schéma de la police

Traditionnellement, les chiffres de la police sont particulièrement attendus. Or, ce samedi, celle-ci n'a livré aucune statistique officielle. "La marche pour nos retraites", bien que menée à l'appel des organisations de jeunesse, a été déclarée en préfecture par La France insoumise, et la Préfecture de police de Paris a pour coutume de ne pas quantifier les manifestations de nature politique. Une source policière a pourtant évalué l'affluence du jour à "12.000 personnes". Une estimation qui résulte d'un schéma canonique.

D'abord, les policiers positionnent des agents en surplomb de la manifestation, à un ou deux endroits selon son importance. Le premier est situé quelques centaines de mètres en aval de son point de départ. Le second est situé à mi-parcours. Les équipes dévolues à ce travail estiment alors le nombre des manifestants par ligne, calculant en fonction de la largeur de la chaussée. Pour les aider dans leur tâche, ils disposent d'un accessoire, un compteur, qu'ils actionnent manuellement.

Une fois l'événement terminé, les policiers confrontent leurs chiffres. Afin de pallier la marge d'erreur, ceux-ci sont majorés de 10%. Surtout, les policiers recomptent ensuite l'ensemble une fois de plus en consultant les enregistrements vidéos.

• Des bilans relativement proches entre la police et Occurrence

Position surélevée, accès aux enregistrements: ces points communs entre les méthodologie de la police et celle du cabinet Occurrence peut expliquer la proximité de leurs bilans.

Outre ce samedi - où une source issue de la première a décompté 12.000 personnes, et la seconde 14.045 - on peut relever ainsi que lors d'une manifestation parisienne tenue le 19 avril 2018 à Paris, la police avait chiffré 11.500 manifestants, et Occurrence 15.300. Le 17 décembre 2019, Occurrence évoquait 72.500 personnes, et la police 76.000. Les syndicats voyaient dans le même temps les choses différemment, avec des estimations respectives de 50.000 et 350.000 marcheurs selon la CGT. Et rappelons que ce samedi, les organisateurs ont égrené 150.000 personnes.

• Trains et bus affrétés, décompte à hauteur d'homme: la méthode des organisateurs

Cet écart à la hausse est encore une question de méthode. Si la mobilisation des jeunes contre le projet de réforme des retraites de ce samedi n'était pas du fait des syndicats mais d'organisations de jeunesse, avec le soutien de la France insoumise, il convient tout de même de se pencher sur les usages syndicaux en la matière.

Dans un premier temps, les syndicats enregistrent le nombre de trains et de bus réservés par les participants pour se rendre à la manifestation. Puis, ils échelonnent des "compteurs" à différents points de passage du cortège: par "compteurs", il faut cette fois entendre des militants qui notent la succession des marcheurs, ligne à ligne là encore. Aux syndicats ensuite de compiler leurs évaluations, de les croiser avant de produire les estimations qu'ils communiqueront aux médias dans la foulée.

• Des chiffres toujours sujets à caution

Il va sans dire que ces fossés entre les données livrées par les uns et les autres font l'objet de contestations, parfois vives. Pour prendre un seul exemple, ce samedi, Jean-Luc Mélenchon, figure de la France insoumise, a dénoncé séchement la copie rendue par Occurrence, remettant en cause la réalité de son indépendance.

"La manipulatrice agence macroniste "occurence" ridiculisée par tous les spécialistes, après s’être trompée de rue, nous serions 14045 à défiler ce 21 janvier. Mais non rigolos à gage ! Nous étions 3,5 !! Autant que vous pour compter", a-t-il tweeté.

Quelques années en amont de cette querelle, en 2015, un rapport de la Commission de réflexion sur la mesure du nombre des participants aux manifestations de rue avait prétendu arbitrer le match entre partenaires sociaux et policiers. "La seule méthode possible est, comme le fait la préfecture de police, de visionner l’ensemble de la manifestation", pouvait-on notamment y lire.

Sauf que... sauf qu'il arrive que sous la poussée de la foule, la manifestation adopte une forme brouillant les repères. Ainsi, jeudi, les syndicats, rejetant l'affirmation policière selon laquelle seuls 80.000 personnes avaient défilé à Paris contre leur propre panorama de 400.000 individus, ont souligné que l'affluence avait conduit à séparer le cortège en deux parcours. Un second itinéraire qui a effectivement bouleversé la donne au point qu'Occurrence a préféré s'abstenir de publier un résultat.

Article original publié sur BFMTV.com