"Tokyo Revengers": comment Ken Wakui a imaginé la fin de son manga à succès

Tokyo Revengers, c'est fini. Sorties en 2019 sans fanfare, et désormais tirées à plus de 70 millions d'exemplaires dans le monde, les aventures de Takemichi, renvoyé douze ans dans le passé pour sauver son ancienne petite amie d'un attentat commis par des yakuzas, se concluent ce mercredi 3 juillet avec la publication en France de son 31e et dernier tome.

Lorsque nous rencontrons Ken Wakui fin novembre 2023 dans les locaux de son éditeur Kōdansha, situé en plein quartier de Jimbôcho à Tokyo, le paradis des bouquinistes, la publication japonaise de Tokyo Revengers est terminée depuis un an. Tout de Balenciaga vêtu, l'auteur pénètre dans la salle d'interview suivi par son entourage, entièrement composé d'hommes tous habillés avec autant de soin que lui.

Souriant, il ne cache pas son soulagement de ne plus avoir à imaginer les aventures temporelles de Takemichi, au scénario de plus en plus complexe à concevoir. "Il y a le plaisir d'être allé jusqu'au bout d'une longue aventure. Mais aussi de la fatigue, c'est certain", résume le dessinateur, qui cache ses yeux derrière les verres fumées de ses larges lunettes de soleil.

Déception

Si Tokyo Revengers a été rythmé au fil de ses 31 tomes par les affrontements sanguinaires entre ses personnages, le manga se conclut contre tout attente par un "happy end". "C'est une idée que j'ai eue dès le départ", insiste le mangaka.

"Avant d'arriver à ce happy end, il fallait qu'il se passe des choses très dramatiques qui détonnent avec cette fin, pour qu'elle soit plus marquante."

Cette fin a pu décevoir de nombreux lecteurs - qui n'ont pas manqué de le faire savoir sur les réseaux sociaux depuis novembre 2022. Ces réactions souvent virulentes ne l'ont pas surpris: "C'était surtout des réactions liées à l'affection que chaque lecteur pouvait avoir pour les personnages. Je m'attendais à ce qu'il y ait des avis aussi tranchés et je suis très content que les gens s'expriment et donnent leur avis."

Le mangaka reste très "fier" de ce final qui a eu le mérite de surprendre ses fans. "Ce dont je suis le plus fier, c'est aussi d'avoir pu montrer dans le manga toute la persistance et le caractère de Takemichi. J'ai réussi à bien montrer ce que le personnage ressentait." Depuis le premier chapitre, il n'a cessé d'évoluer. Grâce à ses retours dans le temps, le héros tragique et pleutre s'est transformé en figure charismatique.

Finir plus tôt

Le succès a cependant contraint Ken Wakui à aménager son scénario en cours de publication: "Tokyo Revengers était publié dans un magazine hebdomadaire qui soumet chaque semaine aux lecteurs une enquête de popularité. En fonction du résultat de l’enquête, on doit faire quelques petites modifications", rappelle le mangaka.

"J'avais prévu de finir mon histoire plus tôt, mais le directeur éditorial de l’époque, M. Kurita, qui fait maintenant partie du conseil d’administration du magazine, nous a dit de prolonger l'histoire parce qu'elle marchait bien. Il ne voulait pas qu'on arrête", révèle encore le dessinateur.

"J'avais souvent entendu parler de séries qui étaient prolongées dans le Weekly Shōnen Magazine en raison de leur popularité. Je ne l'avais jamais vu en vrai. Je pensais que ça n'existait pas", révèle l'éditeur de Ken Wakui, qui confie avoir trouvé le choix de son directeur éditorial "assez surprenant".

Ken Wakui avance une seconde explication, liée aux exigences d'une publication dans un magazine: "Malheureusement, à la même période, dans le magazine, trop de mangas se terminaient et c'était compliqué d'un point de vue éditorial qu'autant de séries se terminent en même temps."

"On a discuté avec le directeur éditorial qui nous a dit que ce serait bien de prévoir une dizaine de chapitres en plus, qui pourraient être sur ce qui s'est passé après la fin de l'histoire, pour savoir ce que sont devenus les personnages, mais finalement cette idée n'a pas été retenue et on a préféré modifié un peu la fin", précise le mangaka.

"C'était très difficile"

Tout au long de l'élaboration de Tokyo Revengers, le principal défi pour Ken Wakui a été de ne pas s'emmêler les pinceaux dans les nombreux aller-retours de son héros entre le passé et le présent. "C'était très difficile", acquiesce-t-il. "Je pense que c'est probablement ce qui occupait la plupart de nos discussions quand on faisait nos réunions hebdomadaires."

"Même lorsque j'avais une bonne idée, parfois elle n'était pas exploitable en raison de la manière dont on avait géré ces aller-retours entre le passé et le présent", déplore le mangaka qui a pu compter sur son "tantô", soit son éditeur:

"Il m'a véritablement aidé à construire l'histoire. C'est plus qu'une simple aide. C'est une histoire qu'on a construite ensemble au fil de nos discussions."

Travailler sur un manga à succès comme Tokyo Revengers a été "très instructif" pour lui. "C'est ma première série longue dans un hebdomadaire. De fait, la construction d'une histoire et du récit est très différente. Produire vingt pages toutes les semaines est très compliqué. Ça l'est encore plus quand on comprend comment ça fonctionne."

"On comprend que lorsque l'on fait un chapitre on ne peut pas terminer sur une note triste, sinon les lecteurs ne vous soutiendront pas dans les votes de popularité", développe-t-il. "On doit réfléchir à la manière dont le chapitre évolue pour l'emmener à une sorte de point culminant en fin de chapitre pour que le lecteur le garde en mémoire. J'ai beaucoup appris."

Nouveau projet

Si le succès de Tokyo Revengers marque définitivement "un tournant dans sa carrière, Ken Wakui n'a pas pour autant changé sa vie. D'autant que le mangaka œuvre sous pseudonyme et montre rarement son visage. "Ça n'a pas changé ma manière de travailler. Je continue de dessiner de la même façon", se contente-t-il de dire.

Le 14 avril, Ken Wakui a lancé dans le Weekly Shōnen Jump, le concurrent historique du Weekly Young Magazine, son nouveau manga Negai no Astro. Un récit d'action fantastique sur fond de guerre de succession chez les yakuzas. Dix chapitres sont paru pour l'heure. Interrogé sur ses projets en novembre dernier, Ken Wakui s'était contenté de répondre mystérieusement: "J'ai beaucoup d'idées."

Difficile de savoir quelle direction sa carrière va désormais prendre. Ken Wakui a rempli "tous les objectifs" qu'il s'était fixés quand il a commencé la prépublication de Tokyo Revengers dans le Weekly Shōnen Magazine: "avoir un dessin animé, être au moins une fois premier dans les enquêtes de popularité. De ce point de vue là, je suis fier du parcours qui a été effectué."

Tokyo Revengers tome 31, Ken Wakui (dessin et scénario), Teddy Dumont (traduction), Glénat, 208 pages, 7,20 euros l'édition standard, 16,90 € le coffret collector.

Article original publié sur BFMTV.com