Comment Tiktok a relancé la fascination pour la détection de métaux... au grand dam des archéologues

Comment Tiktok a relancé la fascination pour la détection de métaux... au grand dam des archéologues

On les appelle les "détectoristes". Munis de leur détecteur de métaux, ils peuvent prêter à sourire lorsqu'ils sillonnent les plages ou les champs avec leur poêle à frire, à la recherche d'un trésor enfoui dans le sable ou la terre. Pourtant plus de 120.000 personnes s'adonnent à cette passion en France, selon le président de la Fédération française de métaux Marc Méreaux.

"Les réseaux sociaux ont réussi à démocratiser la pratique", s'enthousiasme Frédéric Lefevre, président de la Maison de la détection, boutique de référence dans le 15e arrondissement de Paris.

Boulanger le jour, Arnaud passe ses soirées et ses week-ends à passer les plages de Gironde au peigne fin, dans l'espoir de mettre la main sur quelques bouts de ferraille, des pièces ou de petits bijoux. À chaque sortie, cet homme de 51 ans se lance dans des sessions en direct de plusieurs heures pour partager à ses plus de 140.000 abonnés sur Tiktok ses trouvailles et ses conseils.

Une "activité physique et solitaire"

Tout comme Arnaud, ce n'est pas "l'appât du gain" qui motive Sébastien à parcourir les plages de Loire-Atlantique, mais plutôt "l'amour des grands espaces" et "la communion avec la nature". La détection est pour lui comme "un bol d'air frais qui lui permet de se vider la tête".

"Le charme du truc, c'est que vous ne savez jamais sur quoi vous allez tomber", résume Frédéric Lefevre. "On a quand même 3000 ans d'histoire métallique en France. Vous êtes comme une machine à remonter le temps: les forêts ou les champs d'aujourd'hui étaient peut-être des places de marché ou des lieux de passage hier."

"95% du temps, on tombe sur des débris", note Sébastien. "Des capsules, des plombs de pêche, de l'accastillage de bateau, des dériveurs ou des morceaux de filet", explique cet agent de sécurité de 49 ans, qui se voit un peu comme un "dépollueur".

Lors de ses jours de chance, il lui arrive de mettre la main sur d'anciens francs ou des bijoux contemporains. "Mais c'est rare, et ça s'arrête là", insiste ce passionné, qui se retreint aux plages dans ses recherches.

"C'est à la fois une activité physique et solitaire, un peu comme la cueillette de champignon", complète Sébastien. "Mais le fait d'être en live permet de faire partager mon émotion à d'autres qui aiment ça, comme moi. Ils voient mes réactions en direct. Un peu comme les unboxing où les gens se filment en train d'ouvrir des cadeaux ou des paquets."

Passionnés ou pilleurs?

Mais contrairement à lui, tous les détectoristes ne se limitent pas aux plages - et c'est bien le problème pour les archéologues, qui dénoncent des "pillages", parfois jusque sur des sites antiques et médiévaux. "On en voit se balader sur les chantiers archéologiques ou sur des sites classés quand on n'est pas là", assure Guillaume Decoq, archéologue à l'INRAP, responsable d'opérations en Île-de-France.

Ces personnes "mettent à mal notre patrimoine historique en creusant n'importe comment, sans prendre de précaution particulière", dénonce-t-il.

"Ils malmènent les objets qu'ils trouvent avec leurs outils, ou en essayant de leur donner une seconde vie en les trempant dans des substances très corrosives comme du Coca Cola", poursuit cet expert. Selon lui, une partie de ces chercheurs en herbe "s'approprient les objets qu'ils trouvent, sans les déclarer". "C'est du vol, purement et simplement, insiste-t-il. "Parfois, ils alimentent même un marché noir en les revendant ici et là."

Elisa Parmentier dénonce une "réputation injuste". À 44 ans, cette coursière en laboratoire médical explore depuis une vingtaine d'années près de Saintes (Charente-Maritime). Si elle fouille "sur terre" en milieu rural, à savoir dans les champs, jardins privés et autres forêts, elle estime "ne faire de mal à personne" et n'avoir "aucune intention archéologique".

Quand cette mère de famille part à l'aventure, seule et équipée, ses proches savent à quoi s'en tenir. "Quand je me lance, je suis partie pour plusieurs heures et seules la nuit ou la pluie peuvent m'arrêter". "C'est mon moment à moi, où je me promène, je m'évade et pendant lequel je ne vois pas le temps passer."

Une pratique très réglementée en France

Consciente que la pratique est très encadrée en France, elle assure veiller à respecter la législation de près. Avant chacune de ses sorties, elle demande ainsi l'autorisation à la mairie ou aux propriétaires des lieux pour pouvoir écumer le terrain. Elle sait aussi pertinemment qu'en cas de découverte d'un objet antérieur à 1875 ou en lien avec les deux conflits mondiaux, elle devra déclarer ses trouvailles sous peine de poursuites pour "pillage archéologique".

"Il y a des règles à respecter, et personnellement je joue le jeu", défend Elisa Parmentier.

"Je ne vais pas aller très loin avec ce que je trouve de toute façon", insiste-t-elle. "En général ça se limite à des boutons, briquets, canettes, des rondelles... J'ai déjà trouvé quelques pièces savo (une monnaie très usée et illisible), des bijoux de pacotille, et des fourchettes aussi."

Pour les détectoristes moins regardants sur la législation, la récolte peut pourtant se révéler lucrative. Parti en croisade contre ce fléau, l'archéologue Gérard Beneteau expliquait à BFMTV en octobre dernier qu'il menait des rondes dans une commune de Vendée.

Le président du groupement départemental de sauvegarde du patrimoine archéologique essaie de protéger comme il peut un site gallo-romain classé du 1er siècle après J.C situé à Le Bernard, où ont été découvertes des petites statuettes de bronze et de bois de l'époque gaulloise d'une valeur de "6.000 à 7.000 euros la pièce". "Forcément que les pillards s'intéressent à tout ça..."

Article original publié sur BFMTV.com