De Thomas à Mourad, ces politiques se jettent sur les faits divers pour activer « un sentiment de peur »

Louis Boyard (LFI) et Marion Maréchal (Reconquête !) ont publié une vidéo sur le réseau social X, le premier pour réagir à l’agression de Mourad, la deuxième pour s’indigner de la mort de Thomas.
Capture X Louis Boyard (LFI) et Marion Maréchal (Reconquête !) ont publié une vidéo sur le réseau social X, le premier pour réagir à l’agression de Mourad, la deuxième pour s’indigner de la mort de Thomas.

ANALYSE - Chaque fois, la même mécanique. Une tragédie survient, et une formation politique l’exploite à la seule condition qu’elle nourrisse son discours. Depuis ce dimanche 19 novembre, deux exemples particulièrement éloquents illustrent ce phénomène. Le premier concerne le meurtre du jeune Thomas, 16 ans, à la suite d’un bal à Crépol dans la Drôme, qui a immédiatement fait réagir la droite et l’extrême droite. Le deuxième concerne une attaque au cutter subie par Mourad, jardinier, dans le Val-de-Marne, qui a fait bondir la gauche.

Dans les deux cas, tout est allé très vite. Pour Crépol, la violence terrifiante de l’attaque, le profil attribué aux agresseurs, le cadre rural du lieu du crime, les témoignages étayant la thèse d’une expédition gratuite agissent comme un carburant pour les familles politiques habituées aux récupérations. Avant même que la police ne mette la main sur les suspects, Reconquête !, Les Républicains et le Rassemblement national tenaient leurs coupables et tiraient de ce drame un enseignement général.

Récupération à l’échelle industrielle

Avec un double objectif : dénoncer à la fois « les racailles » impliquées dans le drame et vilipender l’inaction du pouvoir en place, coupable de ne pas avoir su empêcher le crime avant qu’il ne se produise. Quitte à faire un lien immédiat avec l’immigration. C’est donc à dessein que Marine Le Pen emploi pour Crépol le terme arabe de « razzia » à la place de ses équivalents français comme « raid » ou « expédition ».

Ou qu’Éric Zemmour y voit la démonstration de son concept de « francocide », puisque ce sont des « blancs » qui ont été pris pour cibles. En parallèle, ses lieutenants numériques font passer la récupération politique à une échelle industrielle. « Voici une affiche à imprimer en A3 ou A4 et à coller sur tous les murs de France », a lancé ce mardi 21 novembre l’identitaire Damien Rieu aux 24 000 abonnés de sa chaîne Telegram. L’affiche ? Un dessin du visage de Thomas version bande dessinée, barré d’un bandeau « tué par des barbares ».

À l’appui, un témoignage cité par Le Dauphiné Libéré, selon lequel les agresseurs étaient là « pour planter des Blancs », et d’autres indiquant que ceux-ci venaient d’une cité voisine. Ce qui ne correspond pas, à ce stade, aux conclusions de l’enquête. « Il est faux d’affirmer que le groupe hostile serait composé d’individus tous originaires de la même ville et du même quartier », indique le parquet ce mardi, qui précise que « les liens qui peuvent exister entre les suspects possibles et en cours d’identification ne semblent pas reposer sur de telle “logique de territoire“ ».

Dialogue de sourds

De l’autre côté du spectre politique, la France insoumise exprime son émotion après un tout autre fait divers : l’agression de Mourad dans le Val-de-Marne. Un jardinier qui a subi une attaque au cutter commise par un septuagénaire proférant des insultes racistes. « L’ignoble tentative d’égorgement arabophobe du Val-de-Marne est le résultat du laisser-aller raciste dans la sphère publique. La classe médiatico-politique doit se ressaisir », a réagi Jean-Luc Mélenchon, alors que le député LFI de la circonscription, Louis Boyard, s’indignait du fait que le motif raciste n’était pas retenu à ce stade contre l’agresseur.

Là aussi l’objectif est double pour les insoumis : se positionner contre un système qui laisse prospérer des discours xénophobes et s’en prendre au gouvernement qui s’accommoderait de ce phénomène. Ce qui, mécaniquement, démontre que chaque formation politique ne s’indigne pas d’un fait divers pour ce qu’il est, mais en fonction de sa rentabilité idéologique.

« Et il n’aura jamais un mot pour Thomas », a illustré à ses dépens le chef de file de la Génération Zemmour, Stanislas Rigault, en répondant à Louis Boyard. Ce à quoi ce dernier pourrait lui rétorquer que lui-même n’a eu le moindre mot pour Mourad. Un vrai dialogue de sourds, où le commentaire pèse autant, voire plus, que la seule empathie envers les victimes et leurs proches et où leur seule identité vaut compassion.

« Sentiment de peur »

À noter que des responsables politiques refusent cette dichotomie, à l’image du député écolo Aurélien Taché ou de ses collègues LFI Christophe Bex et François Ruffin, qui soulignent que l’on peut être autant ému par la mort de Thomas comme de l’agression subie par Mourad.

Mais alors, pourquoi tant de place accordée aux faits divers en politique ? Auprès du HuffPost, Bérénice Mariau chercheuse en Sciences de l’information et de la communication à l’institut catholique de Paris explique qu’il s’agit d’une « arme redoutable », puisque le procédé fait appel à l’émotion du public, et « permet d’illustrer un récit idéologique ».

En l’espèce, ces discours propagent « un sentiment de peur, qui est un bon levier politique car il souligne que si les personnes qui nous gouvernent ne peuvent pas nous protéger, c’est qu’il faut les remplacer ». Raison pour laquelle ceux qui les exploitent refusent d’employer l’expression « fait divers », qui réduit un drame à un acte isolé, et préfèrent utiliser leurs propres termes pour imposer leur lecture.

« L’important pour eux, c’est de réagir rapidement, pour conforter une vision idéologique et créer une viralité autour du drame. La sélection des faits divers en fonction des circonstances vise à créer une répétition pour donner du sens et, dans le cas d’Éric Zemmour, nourrir son récit d’une lutte pour la survie », poursuit Bérénice Mariau. Un système dans lequel l’empathie envers les victimes et les leçons sereines à tirer de la conclusion d’une enquête semblent occuper une place plus que secondaire.

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