"On est surpris à chaque page": comment "Chainsaw Man" continue de se renouveler

Après une pause d'un an et demi, Chainsaw Man, l'un des mangas les plus populaires du moment, avec 1,3 million d'exemplaires vendus en France, opère ce mercredi son grand retour avec un douzième tome surprenant, qui dynamite les aventures de Denji, homme-tronçonneuse chasseur de démons.

Ce tome inédit, qui inaugure la deuxième partie de ce manga atypique, était d'autant plus attendu qu'il change complètement les règles du jeu imposées par son auteur, le très jeune Tatsuki Fujimoto, qui piétine les codes du shōnen traditionnel et ne laisse personne indifférent.

Relégué au second plan de son propre manga, l'homme-tronçonneuse Denji a été remplacé par une héroïne, Asa, une lycéenne introvertie marquée par le deuil impossible de sa mère. "Fujimoto prend en plus le temps de développer la psychologie de ce nouveau personnage", précise l'éditeur Quentin Pillault. "Elle est un peu dure à cerner."

Imprévisible

Si cette décision a pu décontenancer ses fans, beaucoup ont estimé qu'il s'agissait de sa plus belle création. "On est surpris à chaque page. Il se renouvelle sans cesse", salue Julien Bouvard, maître de conférences en langue et civilisation du Japon contemporain à l'Université Lyon 3. "Je préfère même cette deuxième partie à la première."

La première partie était axée sur les combats entre démons, avec une dimension géopolitique. La deuxième partie, au contraire, est une comédie sentimentale en milieu lycéen, un genre très codifié du manga. "Le fait de passer du macro au micro fait gagner le récit en intensité dramatique et en intensité romantique", estime l'universitaire.

Les nouvelles règles imposées par Tatsuki Fujimoto rendent d'ailleurs son manga particulièrement imprévisible. "Il y a 1000 interprétations possibles", estime Quentin Pillault. "Il y a une tension qui monte, mais à ce stade, les grands enjeux de cette deuxième partie sont durs à définir, et c'est tout le plaisir de la lecture."

Faire rire et créer du malaise

Plus mélancolique et plus pince-sans-rire que dans ses premiers tomes, Chainsaw Man propose toujours quelques scènes aussi délirantes que déstabilisantes. Dès les premières pages du tome 12, la colonne vertébrale d'un humain est transformée en arme de combat. Plus loin, l'héroïne écrase sans le vouloir un démon-poulet sans tête.

"Il y a toujours chez lui une différence entre la promesse de ce que va être le manga et le contenu", insiste Julien Bouvard. "Sa force, c'est de faire rire et en même temps de créer du malaise."

C'est ce style si particulier, tout en second degré, qui a pu ralentir son succès en France. "Ça a mis du temps à s'installer", acquiesce Quentin Pillault. "Le public a mis du temps à cerner Fujimoto. L'anime Chainsaw Man et la parution de son one-shot Look Back ont permis de toucher un public un peu plus large."

Intérêt pour la morbidité

Dans la continuité de ses one-shots Look Back et Adieu Eri, qui ont fortement marqué les esprits, la deuxième partie de Chainsaw Man propose une profonde réflexion sur la dépression, la solitude et la culpabilité. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Chainsaw Man se déroule en 1997, une année importante dans l'histoire du Japon.

"Le best-seller qui se vend alors chez les jeunes est Le Manuel complet du suicide", rappelle Julien Bouvard, "Le tournant des années 2000 a été un grand moment de peur de fin du monde à un moment où l'économie du Japon et sa politique connaissaient de grands changements."

"Cet intérêt pour la morbidité est en train de revenir aujourd’hui dans le manga - dans Chainsaw Man, mais aussi dans L'Attaque des titans et Demon Slayer. Des humains affrontent des démons qui eux-mêmes ont eu des traumatismes et ont fait ce choix sacrificiel pour des raisons explicables", poursuit l'universitaire.

Subtilité psychologique

Depuis la fin de la première partie de Chainsaw Man, le style graphique de Tatsuki Fujimoto s'est également affiné. Sous l'influence du cinéma, il décompose désormais à l'extrême chaque scène. "Après Look Back et Adieu Eri, il assume davantage d'injecter de la lenteur dans ce qui est en principe une série d'action", analyse Quentin Pillault.

Le design des monstres est aussi beaucoup plus précis, tout comme les traits de ses personnages, qui gagnent en subtilité psychologique. "On a l'impression qu'il essaye de sonder l'âme de ses personnages", analyse Julien Bouvard. "Il y avait déjà ça dans ses premiers mangas, mais là, il va beaucoup plus loin."

"Fujimoto s'en sort extrêmement bien en essayant de représenter l'incommunicabilité entre les êtres à travers des personnages maladroits, un peu nuls, qui sont exclus", témoigne l'universitaire. "Quand il parle d'amour, de maladresse amoureuse, il est absolument génial. C'est l'un des meilleurs dans ce domaine-là."

Autant de signes d'un basculement dans son œuvre, bien que Quentin Pillault préfère se montrer prudent. "C'est nous qui le lisons ainsi, parce nous avons été beaucoup chamboulés par ses one-shots." Les fans pourront vérifier ces analyses dans les prochains tomes, qui seront disponibles en France tous les trois mois.

Article original publié sur BFMTV.com