"La vie est faite de rebondissements": comment Wilfried Nancy, joueur anonyme en France, est devenu entraîneur champion de MLS

"La vie est faite de rebondissements": comment Wilfried Nancy, joueur anonyme en France, est devenu entraîneur champion de MLS

Toulon, Beaucaire, Raon-l’Étape, Ivry, Noisy-le-Sec, Châtellerault et Orléans. On peut avoir joué dans des clubs français de seconde zone et devenir l’un des rares entraîneurs français à triompher à l’étranger. Wilfried Nancy (46 ans) est entré dans l’histoire samedi en décrochant le titre de champion de MLS avec Columbus Crew, le troisième de la franchise de l’Ohio (après 2008 et 2020). Plutôt anonyme en France, l’ancien milieu de terrain s’est fait un nom aux Etats-Unis après seulement trois saisons dans la peau d’un entraîneur principal.

"J’étais un joueur moyen", confie-t-il à RMC Sport. "Maintenant que je suis entraîneur, je sais pourquoi je n’ai pas joué en Ligue 1 (rires)."

Son aventure américaine a débuté… au Canada en 2006 quand il a rejoint l’équipe des UQAM Citadins pour y finir sa carrière de joueur. "Mon dernier club était à Orléans en CFA ou CFA 2 (N2 ou N3), ma famille vit dans le monde entier et je savais qu’un jour ou l’autre je vivrais à l’étranger. Un ami m’a parlé de Montréal, je suis allé découvrir et au bout de trois mois, j’ai senti que c’était l’endroit où je pouvais rester."

Il y a rencontré sa femme, s’est marié, a vu ses enfants y naître et obtenu la nationalité canadienne. Sans que rien de tout cela ne soit vraiment programmé. "Je ne suis pas carriériste", explique-t-il. "Je sais ce que je veux, j’ai ma vision mais je suis un gars de l’ombre. Ma vie a été faite d'heureux hasards."

Une vie rythmée par sa nouvelle carrière d’entraîneur à l’Impact Montréal d’abord en charge des jeunes (2011-2016) puis comme adjoint de Rémi Garde (2017-2019) et Thierry Henry (2019-2021), notamment. Le saut dans le grand bain est arrivé en mars 2021 quand il a été promu numéro un quelques jours après le départ du champion du monde 1998.

"Une relation très forte" avec Rémi Garde et Thierry Henry

"Avec Thierry, on s’est connu en Coupe Gambardella quand il était à Monaco et que j’étais à Toulon", explique Wilfried Nancy. "On est resté en contact, on s’est perdu de vue. Il est venu à Montréal et j’étais super content." L’actuel sélectionneur des Espoirs ne l’a d’ailleurs pas oublié. "Il m’a félicité et je vais passer tout à l’heure dans son émission sur CBS Golazo (mardi soir, NDLR) que j’adore. Oui c’est Thierry Henry mais c’est avant tout un être humain formidable, c’est un ami."

"Titi" comme Garde (ou le Canadien Mauro Biello) ont participé à sa lente maturation. "Premièrement, ce sont des amis, on a une relation très forte", insiste-t-il. "On a beaucoup de ressemblance en tant que personnes. L’idée était de faire un travail sur moi-même et de savoir qui j’étais, quelle était ma vision, ce que je mettais en place. Quand j’ai fait ce travail, j’ai été plus serein et clair dans mes idées que j’ai ensuite pu transmettre. Avec Thierry, Rémi et tous les entraîneurs que j’ai connus, j’ai pu mettre ça en place et aujourd’hui, je suis l’entraîneur que je suis."

Cela a vite payé avec deux demi-finales de conférence Est en 2021 et 2022 avec l'Impact, puis le titre avec Columbus un an seulement après son arrivée. Sur le banc du Crew, il s’est évertué à créer "un environnement compétitif mais sain, avec du sourire" tout en mettant "un peu les joueurs en danger avec leur ego". "Le football est un jeu d’erreurs mais je veux qu’ils répètent ces situations de la meilleure des façons", ajoute-t-il. Il est épaulé dans sa tâche par un staff comprenant deux adjoints français (Yoann Damet et Maxime Chalier, sans compter Laurent Courtois en charge de l’équipe 2).

"J’ai senti après cinq, six semaines qu’il y avait quelque chose à faire", se réjouit-il. "Je suis très fier de ça. On a gagné la finale en étant nous-mêmes dans notre façon de jouer." Troisième de la conférence Est, l’équipe de Steven Moreira, ancien joueur de Rennes, Lorient et Toulouse, a balayé Atlanta, Orlando, le grand rival Cincinnati puis Los Angeles FC, tenant du titre, en finale (2-1). Wilfried Nancy est ainsi devenu le premier entraîneur noir à remporter le titre en MLS.

"Je suis très fier ça", explique-t-il. "Je fais aussi ce métier pour inspirer des gens avec beaucoup d’humilité. Mais je suis triste parce qu’on est en 2023 et je vois que dans les championnats les plus importants, il n’y a pas beaucoup d’entraîneurs noirs, ce n’est pas normal tout simplement."

"On a les compétences comme tout le monde, ce n’est pas une question de couleur."

"Si à mon niveau, je peux faire changer les mentalités, je me dois de le faire. C’est pour ça que je suis en première page aujourd’hui. C’est très important pour moi de représenter la communauté, comme ça l’est de dire que je suis fier mais que les choses doivent changer."

"Ça veut dire aussi que les entraîneurs français sont pas mal!"

Wilfried Nancy représente une autre rareté: celle d'être un entraîneur français qui gagne hors de ses frontières. "Le fait de représenter le pays à l’étranger, c’est quelque chose de fabuleux pour moi", conclut-il. "J’ai beaucoup de métissage du côté de mes parents et chacun est très important pour moi. Ça veut dire aussi que les entraîneurs français sont pas mal (rires) et qu’ils peuvent voyager. Je suis très honoré de ça et très fier bien entendu."

Passer de "joueur moyen" en France à porte-étendard des entraîneurs français à l’étranger peut donner le vertige. "La vie est faite de rebondissements", remarque-t-il. "Je sais d’où je viens, je me rappelle comment j’ai commencé. Aujourd’hui, avoir cette reconnaissance et être champion, je suis très content de ça."

Article original publié sur RMC Sport