UFC Paris: la longue route de Morgan Charrière vers son rêve

Le message est clair, mobilisateur. "Rendez-vous samedi, brûlez-moi cette p*tain de salle!" A l’heure de s’avancer vers l’octogone de l’Accor Arena ce samedi soir, Morgan Charrière ne fera pas seulement ses grands débuts à l’UFC, plus grande organisation de MMA à travers la planète. L’enfant de Mantes-la-Jolie réalisera un rêve. La route fut longue, semée d’embuches, parsemée de doutes. Mais "The Last Pirate" (son surnom) est enfin arrivé à bon port. Avec derrière lui une armée de fans corsaires qui comptent marquer le coup comme ils ont choqué chaque enceinte où ils sont venus foutre le feu pour ses combats depuis des années.

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Pour comprendre à quel point cette arrivée à l’UFC remonte à loin, il faut remonter quatre ans en arrière. A l’été 2019, quelques mois après avoir intégré l’organisation britannique Cage Warriorr, l’homme qui a débuté chez les pros en 2014 avec un début de carrière tourné vers le pancrace (un MMA light, sans frappes au sol) via le 100% Fight – où il a notamment battu William Gomis et perdu contre Salahdine Parnasse – lance la série "En route pour l’UFC" sur sa chaîne YouTube. L’objectif est dans le titre, affiché. Il est surtout très crédible. A l’époque, sa popularité sur les réseaux sociaux explose suite à une collaboration avec le youtubeur Kameto.

Le MMA n’est pas encore légalisé dans son pays – ce sera le cas au printemps 2020 – mais Charrière s’affiche comme le représentant tricolore le plus suivi. Comme si tout ça était juste un peu trop tôt. Un an et demi plus tard, en décembre 2020, après deux combats annulés en raison de la pandémie de Covid, le Français s’approche encore un peu plus de son rêve en remportant le titre des -66 kilos du Cage Warriors, une ceinture détenue dans le passé par Conor McGregor ou Paddy Pimblett. L’UFC paraît tout proche. Mais il faut patienter.

"On est à deux doigts de signer à l’UFC à ce moment-là, explique son manager Giom Peltier dans le RMC Fighter Club. Mais il faut une opportunité, une ouverture. L’UFC ne signe plus des gars en attente d’un combat. Ils te proposent le contrat quand il y a un combat. Et l’offre était très longue à venir. Morgan est quelqu’un qui a faim de combats et qui a besoin de repères dans la cage, donc de plusieurs combats dans l’année. Il poussait pour combattre et moi-même je n’avais pas envie d’attendre indéfiniment car si on fait ça pendant des mois, tu te mets un peu au rabais. Tu montres à l’UFC que tu n’attends qu’eux. On a donc pris un risque, beaucoup moins payant et très frustrant, en décidant d’affronter Jordan Vucenic."

Mauvaise pioche. Au bout des cinq rounds, alors qu’il semble en avoir fait assez pour s’imposer, les juges donnent une victoire sur décision partagée à son adversaire. Un résultat controversé, et c’est un euphémisme, la mère de Charrière allant jusqu’à écrire une lettre au Cage Warriors pour se plaindre, mais bel et bien concret pour sa carrière. "Au moment où on perd, on remet tout en question, détaille Peltier. Il n’est pas redescendu de deux marches, il est tombé de l’escalier. C’est une catastrophe absolue." Vucenic indisponible pour la revanche en raison d’une blessure, le Cage Warriors lui propose l’Irlandais Paul Hughes pour le titre intérimaire. Une nouvelle désillusion. Dans une ambiance folle, au bout d’un superbe combat qu’il avait parfaitement entamé, Charrière s’incline sur décision majoritaire. "On perd à nouveau et c’est le trou noir, se souvient son manager. Plus personne ne sait quoi faire. (…) Morgan a tout mon respect avec tout ce qu’il a traversé."

Cerise rance sur le mauvais gâteau, le garçon s’est fracturé le plancher orbital au troisième round. Il va devoir passer un an sur la touche pour se soigner. Nous sommes en octobre 2021 et la descente aux enfers ne se termine plus. Avec ses deux défaites, il a découvert la haine des réseaux sociaux. Qui va le toucher fort, comme il l'a raconté de façon honnête et touchante. Le combattant à deux doigts de l’UFC un an plus tôt se retrouve face à un vide. Avec tous les doutes qui l’escortent. "Après Hughes, ça a été très, très dur, témoigne Charles Villa, réalisateur pour Brut et auteur d’une série (à découvrir sur YouTube) sur cette route de Charrière vers l’UFC. Tu sentais qu’il avait vraiment besoin de cette victoire. Dans les vestiaires, j’ai pu percevoir combien ce sport était difficile et qu’il allait rentrer dans une phase très sombre où il faudrait le cœur d’un champion pour en sortir."

"Est-ce qu’il y a des moments où je me suis dit que c’était mort? Ouais, on peut le dire comme ça, raconte Charrière dans le RMC Fighter Club. Je me suis dit: ''C’est chaud, peut-être que je ne vais jamais y arriver, je ne sais pas trop où je vais, mais on va continuer et on verra''. Forcément, c’est moins la prairie qui brille au bout et tu y es presque. Là, je voyais des marécages et derrière une prairie. Il y avait beaucoup de choses à faire. Je me suis imaginé une carrière sans l’UFC car il faut toujours un plan B. Le MMA est un sport ingrat. Dans la génération d’avant, j’ai vu des gens qui méritaient l’UFC mais qui n’ont jamais pu y aller. J’ai toujours eu ça dans un coin de ma tête. Je visais ça mais je savais que ça allait plus loin que simplement être fort, gagner et être connu sur les réseaux. J’avais l’exemple de Karl Amoussou, qui méritait de fou de signer à l’UFC à un moment et qui n’a jamais été signé. Je me disais que ça pouvait être la même chose. Je m’inspirais de ceux qui sont passés avant moi et je me disais juste: ''Je suis jeune, y a encore moyen, mais ça peut être très long ou je vais peut-être devoir changer et aller ailleurs pour gagner ma vie et avancer dans ma carrière''."
Pendant cette année loin de la cage, Charrière voit l‘UFC débarquer pour la première fois à Paris en septembre 2022. Crève-cœur total. "J’ai boudé dans mon coin, avoue-t-il. J’ai fait un déni. J’ai fait comme si cet UFC n’avait jamais existé. Je ne l’ai pas regardé, je n’y suis pas allé, j’étais au concert de Booba. Trois-quarts de ma carrière avaient été bâti sur le fait que je serais au premier UFC Paris en enchaînant les bonnes victoires et en faisant le bon bruit sur les réseaux sociaux. Et quand l’UFC vient enfin, c’est la pire période de toute ma vie. Vous ne pouviez pas venir un an avant ou un peu plus tard? Je l’ai assez mal vécu. En plus, l’ambiance était dingue… Ça m’aurait mis au fond du trou de le suivre. J’aurais été trop frustré."

Retrouver le chemin de l’UFC va passer par un changement. "Il a fallu discuter beaucoup avec le Cage Warriors car j’étais très frustré avec les adversaires qu’on nous proposait, explique Peltier. On a reconstruit une nouvelle relation avec le Cage Warriors, beaucoup plus saine, équilibrée, honnête, avec le succès qui s’en suit. Et cette route plus saine, c’était de les investir dans la carrière de Morgan. Qu’ils aient aussi des intérêts dedans. Et quand le promoteur a des intérêts dans la carrière d’un combattant qu’il matche, ça n’a plus rien à voir." Il faut s’associer avec Graham Boylan, patron du Cage Warriors mais également manager (un conflit d’intérêts trop habituel dans le MMA et qu’il faudra sans doute réguler un jour), habitué à placer ses ouailles dans la grande UFC et qui devient le co-manager de Charrière.

De retour dans la cage en novembre 2022, "The Last Pirate" enchaîne trois victoires en huit mois, dont deux avant la limite, le dernier en juillet. Si le timing est serré, le Français sort de sa victoire sur Diego Silva sans être trop touché et peut enchaîner sur l’UFC Paris. Les discussions déjà bien avancées s’accélèrent et Charrière finit par signer enfin le contrat de ses rêves. Direction l’Accor Arena le 2 septembre pour un combat face à l’Italien Manolo Zecchini, autre nouveau venu dans l’organisation. Le chemin aura été long. Mais c’est peut-être un mal pour un bien.

Le Français aborde son aventure à l’UFC avec plus de maturité, toujours ambitieux mais moins pressé de tout croquer. "Je vais faire différemment. Ne vous attendez pas à ce que je prenne le micro pour défier tout le monde. On y va tranquille. On prend la température, on voit comment ça se passe, on monte petit à petit et on ne fait pas des trucs d’idiot pour prouver qu’on est fort ou qu’on n’a peur de personne. L’objectif est de faire une vraie carrière à l’UFC. Il faut se construire, apprendre, prendre du niveau petit à petit. Je suis très concentré et je veux faire quelque chose de bien. Les champions ont tous 33-34 ans. J’en ai 27. Je peux me construire pendant trois ans avant de partir sur un gros run."

"Le top 15? Je le vise dans deux-trois ans, poursuit-il. Tranquille. On fait le premier contrat, on bat des mecs largement à ma portée, on renégocie le contrat, je commence à gagner vraiment de l’argent, je peux investir sur moi-même, avoir une meilleure vie, faire les choses intelligemment, faire des choses à la pointe du sport, faire des camps d’entraînement à d’autres endroits, tourner avec les meilleurs au monde. J’ai raté mon début de carrière, je ne vais pas le faire une deuxième fois. Il faut prendre en compte ses erreurs, ne pas avancer tête baissée. Je ferai très attention à tout, et mon entourage aussi." Le premier grand objectif est atteint. Mais la ligne d’arrivée est encore loin: "C’est le début de l’aventure, surtout pas la fin!" Il n’avait même pas besoin de demander. Vu son histoire, on peut faire confiance au public de Paris: la salle sera en feu pour l’entrée de Morgan Charrière à l’UFC. Il le mérite bien.

Article original publié sur RMC Sport