UFC Paris: à la découverte de Serghei Spivac, un "ours polaire" face à Ciryl Gane

Il vient avec l’idée de poser la clim’ dans l’enceinte parisienne. Ça tombe bien: on le surnomme "Polar Bear" (l’ours polaire). Numéro 7 du classement des challengers des poids lourds, Serghei Spivac se présente face à la chance de sa vie ce samedi soir pour la deuxième édition de l’UFC Paris. S’il bat Ciryl Gane dans le combat principal de la soirée, le Moldave fera un bond en avant et se rapprochera comme jamais d’une chance pour le titre de la plus grande organisation de MMA à travers la planète.

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Une forme d’exploit quand on sait d’où vient le garçon, dont le potentiel n’a longtemps pas sauté aux yeux des observateurs. Né en Moldavie en 1995, Spivac grandit dans un pays ravagé financièrement suite à l’éclatement de l’URSS. Pauvreté, insécurité, sa jeunesse est loin du long fleuve tranquille. "On n’avait pas d’argent, on avait toujours faim, raconte-t-il à RMC Sport. Mes parents travaillaient beaucoup pour nous nourrir." Le sport va lui offrir un chemin. "J’ai commencé à sept ans. Mon père m’a inscrit au jiu-jitsu traditionnel, où j’ai une ceinture noire. Ensuite, j’ai fait du judo, du sambo, de la boxe."

"Je n’ai jamais douté qu’il passerait pro, se souvient sa mère. Il n’avait pas le choix."

Anciens sportifs de bon niveau, ses parents vont pousser derrière. "Je n’ai jamais douté qu’il passerait pro, se souvient sa mère, Olga. Il n’avait pas le choix. Nous lui avons montré la voie pour qu’il devienne quelqu’un dans le sport, pour être fiers de lui. (…) Il n’avait pas d’amis dans le quartier car il n’était jamais là. Ecole le matin et judo, jiu-jjtsu et boxe l’après-midi. Il rentrait à 23h tous les soirs." Timide, inhibé, un peu solitaire, Spivac s’exprime à l’entraînement. Mais il ne montre rien d’exceptionnel. "A mes débuts, les sept premières années, je perdais tous mes combats!"

Chaque défaite le forge et renforce sa volonté de tout donner à la salle pour progresser. A l’adolescence, un pic de croissance le fait monter de catégorie et lui permet de commencer à gagner. Les bons résultats s’enchaînent, notamment en sambo, et un manager ukrainien le repère à 19 ans. "Il m’a dit que je devrais me lancer dans une carrière pro en MMA." Direction le Real Fight Promotion puis le World Warriors Fighting Championships, deux organisations basées en Ukraine. Spivac enchaîne neuf victoires avant la limite en autant de combats, remportant au passage la ceinture des lourds du WWFC.

Entretemps, il passe un peu de temps en France auprès d’un certain Daniel Woirin, aujourd’hui coach de Benoît Saint-Denis, qui l’accueille pour travailler son striking. Invaincu, il signe à l’UFC en 2019, à 24 ans, un âge où Gane vend encore des meubles. Mais il perd deux de ses trois premiers combats dans l’organisation. Pas de quoi perdre foi en lui. "J’ai vu que le niveau était vraiment supérieur. (…) Mais je suis têtu. Je n’abandonne jamais. Quand vous faites quelque chose, il faut aller au bout." "Serghei n’avait pas d’autre choix que de réussir, complète sa mère. Quand on perd, il faut travailler plus. Quand on se fixe des buts dans la vie, on n’abandonne pas. Vous avez perdu un combat? Vous ne l’avez pas préparé comme il fallait."

Ces revers initiaux à l’UFC renforcent l’idée d’un miroir inversé avec Gane. Le "Bon Gamin" a débuté sur le tard avant de tout renverser sur son passage façon météorite. Le "Polar Bear", lui, a commencé les sports de combat très jeune et a dû patienter pour faire parler son potentiel. La machine se lance enfin vraiment à l’UFC avec trois victoires de rang. Avant de tomber en septembre 2021 sur un os nommé Tom Aspinall. En pleine ascension, l’Anglais qui sera en bord de cage à l’UFC Paris pour défier le vainqueur l’éteint en moins de trois minutes. L’heure du changement a sonné.

"Je suis ultra complet"

Pour passer à l’étage supérieur, Spivac part s’installer et s’entraîner à Las Vegas. Trois nouveaux succès suivront, le dernier en date contre le roi du KO (mais en perte de vitesse) Derrick Lewis, soumis en moins d'un round en février dernier après avoir été balancé au sol tel un pantin. "Il reste sur pas mal de victoires et je pense qu’il est sous-estimé", juge Woirin. Qui prévient le porte-étendard du MMA tricolore: "Il a des transitions judo incroyables, de bonnes mises au sol. Il est très dangereux s’il vient te coller car il utilise bien son poids de corps. S’il l’amène au sol, ça va se compliquer pour Ciryl."

On en vient à son profil technique. Avec des points forts qui sont les points faibles de Gane. Venu du judo, Spivac utilise parfaitement le clinch, les balayages et les projections de hanche pour envoyer ses adversaires au sol, où son ground & pound fait de gros dégâts. "C’est un style compliqué à prévoir car on a l’habitude d’avoir des lutteurs mais le judo, c’est plus compliqué, analyse Taylor Lapilus, combattant UFC et consultant RMC Sport. Vous pouvez vite vous mettre en danger dans votre équilibre sans s’en rendre compte et prendre des balayages." Maître de cet art, Gane devra s’assurer de ne pas se faire surprendre sur un déplacement latéral. Mais le Français semble bien au-dessus dans le combat debout, même s’il faut toujours se méfier. "Ce n’est pas un très gros technicien en striking, pointe Lapilus, mais il a la main lourde, comme un lourd."

"Je suis ultra complet, estime l’intéressé. Je m’adapte à n’importe quel style. Pieds-poings, lutte, sol : je réponds présent." Il sait aussi aller s’imposer chez un adversaire, comme il l’a prouvé en soumettant Tai Tuivasa (l’adversaire de Gane au premier UFC Paris) en Australie en octobre 2019. "Les fans ne seront pas avec Ciryl dans la cage", sourit-il. Star dans son pays, "mais pas une superstar non plus" comme il le précise, Spivac n’a rien à perdre à Paris. Une défaite n’étonnerait personne. Mais une victoire, qui lui permettrait de signer sa première série de quatre succès à l’UFC, lui ouvrirait les portes du grand monde et le mettrait dans le bon wagon des challengers pour le titre aujourd’hui détenu par la légende Jon Jones.

"J’y vais pour gagner ce combat, c’est tout!", lance-t-il plein d’assurance. "Il a signé tôt à l’UFC, rappelle Lapilus. Il est peut-être dans son prime aujourd’hui." Pas de nature à se lancer dans le trashtalking, un état d’esprit qu’il partage avec son adversaire français, le Moldave ne cache pas ses raisons de monter dans la cage: "Pourquoi je combats? Pour gagner bien ma vie. Je n’aime pas me battre mais je sais ce que j’ai à faire pour gagner." Passionné de vin rouge, une des spécialités de son pays, Serghei Spivav ouvrira sans doute une bonne bouteille après l’UFC Paris, victoire ou défaite. Elle aura encore meilleur goût si l’histoire bascule dans le premier scénario.

Article original publié sur RMC Sport