Super League: "La plus vide des victoires", "un coup porté au système"... La presse internationale partagée après l'arrêt de la CJUE

Super League: "La plus vide des victoires", "un coup porté au système"... La presse internationale partagée après l'arrêt de la CJUE

Au lendemain de l'arrêt tant attendu de la Cour de justice de l'Union européenne dans le litige opposant la Super League à l'UEFA, la presse internationale est divisée comme l'est en fait le football européen. Les médias espagnols font bloc avec le Real Madrid et le FC Barcelone, tandis que les opinions dans le reste du continent sont beaucoup plus critiques contre le projet dissident. Sans pour autant être tendres avec l'UEFA.

"Pérez et Laporta ont gagné un match que beaucoup pensaient perdu"

Sans surprise, les quotidiens sportifs pro-Real et pro-Barça sont euphoriques. "C'est un triomphe au-delà des attentes", juge Santi Nolla de Mundo Deportivo à Barcelone. 'La décision rend une chose claire, à savoir qu'elle modifie le pouvoir de négociation à la table. Le Barça et Madrid auront plus de pouvoir lorsqu'ils s'assiéront, s'ils veulent s'asseoir à la fin. La Super League a gagné le récit". À Madrid, Tomas Roncero d'AS use du cynisme: "Nier que cette décision pourrait entraîner un changement radical du concept actuel de la Ligue des champions à l'avenir, c'est nier des preuves irréfutables. En tout cas, après avoir vu sur les réseaux sociaux que de nombreux fans attaquent Madrid avec le slogan 'Gagnez sur le terrain', je leur rappellerai que mon équipe l'a déjà fait au cours de ses 122 ans d'histoire".

Cet enthousiasme ibérique ne se limite pas aux médias sportifs, mais se diffuse aussi dans les commentaires de la presse généraliste. El Mundo parle d'un "coup porté au système et une invitation au dialogue", La Vanguardia y voit une "révolution à la hauteur de la loi Bosman", El Pais décrit un "but contre la FIFA et l'UEFA".

Aussi dans El Pais, l'ancien gardien international Andoni Zubizarreta, qui a été directeur sportif du Barça et de l'Olympique de Marseille, verse même dans le dithyrambe avec une tribune: "Ce qui est clair, c'est que le Real Madrid et le FC Barcelone, ainsi que leurs présidents Florentino Pérez et Joan Laporta, doivent se féliciter parce qu'ils ont gagné un match que beaucoup de gens pensaient qu'ils avaient perdu. (...) Un match décisif, un barrage clé, peut-être même un moment d'histoire comme celui de Bosman et de la révolution de la mobilité des joueurs européens au sein de l'UE".

"À mille lieues d'une révolution"

Mais ailleurs, même si le Telegraaf juge aux Pays-Bas qu'une "bombe explose", les éditorialistes sont donc bien plus critiques. "Et si nous les laissions jouer seuls?", se demande O Jogo (Portugal) avec une question qui vise les géants espagnols.

"Du calme", tempère la Gazzetta dello Sport, soulignant non sans douter que "les révolutions, pour être telles, ne doivent pas seulement être possibles sur le papier, elles doivent être réalisées". "La décision luxembourgeoise est de bon augure pour les partisans du commerce. Mais c’est exactement ce que défendent l’UEFA et la FIFA", ironise le Tagesspiegel en Allemagne. Sport Bild est plus explicite: "L'excitation initiale retombée, il devient vite clair que le football européen est encore à mille lieues d'une révolution. Au final, le Real et le Barça seront perdants malgré cette victoire d'étape".

"Une tentative désespérée du Real et du Barça"

En Angleterre, où la contestation des supporters avait été la plus démonstrative lorsque le premier projet de ligue semi-fermée avait été présenté en 2021, les tacles fusent dans le Daily Mail: "Le projet de Super Ligue européenne n'est rien d'autre qu'une tentative désespérée du Real Madrid et du FC Barcelone de sauver leurs revenus et leur place face à la puissance de la Premier League. Pour se faire une idée de l'état de désespoir dans lequel se trouvent les deux géants déchus du football espagnol, il suffit de regarder comment les joueurs du FC Barcelone ont passé la soirée de mercredi. À peine le match à domicile contre Almeria terminé, ils montaient à bord d'un avion pour un vol épuisant de 14 heures à destination de Dallas, afin de disputer un match amical contre une équipe mexicaine et de rapporter 4,3 millions de livres (5 millions d'euros) au club".

D'autres observateurs britanniques considèrent que l'arrêt ne profitera sans doute pas à la Super League, mais peut-être à un hypothétique projet similaire. "La Super League européenne remaniée risque de faire un flop, mais la porte du changement est désormais ouverte. (...) La Super League ne sera peut-être pas la compétition qui rompra 70 ans de tradition footballistique, mais elle aura ouvert la voie à celle qui le fera", analyse Paul MacInnes pour The Guardian. "Même si cette dernière version de la Super League a peu de chances de se concrétiser à court terme, d'autres propositions suivront certainement", abonde Tom Allnutt du Times.

"Pourquoi les clubs voudraient-ils renverser l'UEFA? Ils la contrôlent déjà"

Les analyses les plus intéressantes sont sans doute à lire dans les colonnes du Telegraph, où l'on considère que la Super League appartient déjà au passé. Jason Burt écrit ainsi: "Les partisans de la Super League aboient à la lune: le jeu a déjà changé il y a des années. L'arrêt ressemble en fait à la plus vide des victoires à la Pyrrhus. Dans le football, il n'y a jamais de place pour les suppositions ou la prise au pied de la lettre - il ne faut jamais sous-estimer la fourberie des clubs, après tout - mais il semble qu'il soit trop tard pour les architectes d'une Super Ligue européenne dissidente. Il n'y a pas de retour en arrière possible et, s'il y en a un, ce n'est pas grâce à cet arrêt et il faudra une intervention beaucoup plus menaçante - une montagne d'argent en provenance d'Arabie saoudite, comme dans le cas circuit LIV dans le golf - pour faire la différence".

Sam Wallace prolonge la réflexion, jugeant que l'UEFA peut compter sur... ses potentiels adversaires: "Pourquoi les clubs voudraient-ils renverser l'UEFA? Ils la contrôlent déjà. (...) L'UEFA s'est engagée dans un mariage de convenance avec l'Association européenne des clubs (ECA), dirigée par le président du Paris Saint-Germain, Nasser Al-Khelaifi. À eux deux, Aleksander Čeferin, président de l'UEFA, et Al-Khelaifi, ont créé le nouveau format de la Ligue des champions et réparti la richesse qui en découle en négociant avec les Qataris pour le compte des clubs. (...) D'une manière générale, c'est la queue qui remue le chien: l'UEFA ne bouge pas sans l'approbation de l'ECA et les deux possèdent une entreprise commune qui contrôle tous les milliards d'euros de recettes provenant des compétitions. Le pouvoir de l'ECA ne peut que croître et l'on peut supposer qu'à un accord de paix sera conclu à un moment donné avec le Real et Barcelone pour permettre aux rebelles de retourner tranquillement à la gouvernance. La grande révolution de la Super League sera terminée".

Article original publié sur RMC Sport