TOUT COMPRENDRE - La Super League va-t-elle remplacer la Ligue des champions?

TOUT COMPRENDRE - La Super League va-t-elle remplacer la Ligue des champions?

La Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) a rendu son arrêt tant attendu dans le litige qui oppose la Super League à l'UEFA et la Fifa, ce jeudi 21 décembre. Selon cette décision, qui s'étale sur 51 pages, les règles de la Fifa et de l'UEFA sur l'autorisation préalable de nouvelles compétitions de football de clubs, comme la Super League, violent le droit européen. Une décision considérée comme une victoire majeure pour les organisateurs de ce projet controversé.

Mais l'arrêt de la juridiction basée à Luxembourg comporte plusieurs subtilités qui peuvent permettre à l'UEFA de conserver son monopole en matière d'organisation et d'exploitation du football européen. RMC Sport fait le point sur la situation.

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· Qu'est-ce que ce projet de Super League?

Longtemps serpent de mer, le projet de Super League naît officiellement le 18 avril 2021 lorsque douze clubs annoncent le lancement de leur compétition privée semi-fermée pour éclipser la Ligue des champions et tourner le dos à l'UEFA, accusée de ne pas redistribuer suffisamment d'argent et d'avoir une gouvernance opaque.

Les clubs concernés sont les suivants: Real Madrid, FC Barcelone, Atlético de Madrid, Juventus, AC Milan, Inter, Liverpool, Manchester United, Manchester City, Arsenal, Tottenham et Chelsea. Parmi les grandes écuries, le Paris Saint-Germain et le Bayern Munich s'érigent en têtes de gondole de la résistance.

Mais ce putsch se transforme quasi-immédiatement en flop. Face à la contestation de nombreux supporters, aux commentaires critiques de gouvernements et aux menaces de l'UEFA, les clubs anglais se retirent tous du projet. La Super League est immédiatement mise en veille. Un an après, seuls le Real Madrid et le FC Barcelone demeurent impliqués.

Fin 2022, la Super League, désormais chapeautée par une société baptisée A22 Sports Management, tente un retour médiatique en annonçant une modification du projet. Il n'est plus question d'une ligue unique semi-fermée, mais de deux divisions ouvertes de 60 à 80 clubs.

· Que vient faire la CJUE dans cette affaire?

Après son premier lancement raté, la Super League attaque l'UEFA et la FIFA devant la justice espagnole en raison des menaces de sanctions lancées contre les clubs frondeurs et ceux qui seraient tentés de rejoindre le projet.

En mai 2021, le tribunal de commerce de Madrid saisit la Cour de Justice européenne (renvoi préjudiciel). Elle lui demande d'interpréter, par rapport au litige en question, cinq articles du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (traité de Rome). D'une part, les articles 101 et 102 qui relèvent des "règles de concurrence" applicables aux entreprises. D'autre part, les articles 45, 49, 56 et 63 qui portent sur la "libre circulation des personnes, des services et des capitaux".

Six questions étaient posées par le tribunal madrilène pour en éclaircir une principale: l'UEFA et la Fifa ont-elles le droit d'empêcher des clubs et des joueurs affiliés de participer à une compétition de football créée par une entité tierce? Il était aussi demandé un éclairage sur la légalité du monopole de l'UEFA et de la Fifa en matière d'exploitation des droits audiovisuels de leurs compétitions.

Ce jeudi 21 décembre 2023, la CJUE a donc publié son arrêt dans lequel elle juge que les règles de l'UEFA et de la FIFA sur l'autorisation de compétitions comme la Super League violaient le droit de l'Union européenne.

· Les organisateurs de la Super League ont-ils la voie libre pour lancer leur projet?

Contrairement à ce qu'ont laissé entendre les partisans du projet, les conclusions de la Cour ne portent pas précisément sur la Super League. C'est ce qui est souligné dans les observations:

"Les questions posées par la juridiction de renvoi portent exclusivement sur une série de règles par lesquelles la Fifa et l’UEFA entendent régir".

C'est pourquoi la Cour de Justice de l'Union européenne rappelle dans son communiqué de presse qu'elle "ne prend pas position" sur la Super League et que ce projet spécifique "ne doit pas pour autant être nécessairement autorisé". Une précision logique: elle affirme dans ses conclusions que l'UEFA et la Fifa peuvent potentiellement se conformer au droit européen et empêcher leurs clubs et leurs joueurs de participer à une telle compétition.

Il est aussi sous-entendu que la Super League, si elle voit le jour, devra elle aussi veiller à être conforme au droit européen: "Force est de constater que la juridiction de renvoi n’interroge pas (...) sur la compatibilité du projet de Super League lui-même avec ces différents articles du traité".

· Est-ce un gros revers pour l'UEFA?

L'arrêt se base sur les textes de l'UEFA et de la Fifa datant de 2021, année de lancement de la procédure. Pour la Cour, ces règles sont théoriquement contraires au droit européen si des clubs et joueurs doivent obligatoirement demander une "autorisation préalable" pour créer ou disputer une nouvelle compétition. Mais la Cour souligne que cette autorisation préalable peut être conforme si l'UEFA et la Fifa disposent de mécanismes et procédures internes qui garantissent un "caractère transparent, objectif, non discriminatoire et proportionné" de leurs règles et pouvoirs. Surtout, l'UEFA assure que son nouveau règlement, adopté en juin 2022, corrige les "lacunes" épinglées.

Un commentaire de la Cour précise par ailleurs qu'un monopole dans le football européen peut être souhaitable et compatible avec le droit européen: "Différentes spécificités permettent de considérer qu’il est légitime de soumettre l’organisation et le déroulement des compétitions internationales de football professionnel à des règles communes destinées à garantir l’homogénéité et la coordination de ces compétitions au sein d’un calendrier d’ensemble ainsi que, plus largement, à promouvoir, de façon adéquate et effective, la tenue de compétitions sportives fondées sur l’égalité des chances et le mérite".

Le même raisonnement est appliqué au contrôle intégral par l'UEFA et la Fifa des droits audiovisuels de leurs compétitions de clubs (comme la Ligue des champions). La Cour estime que les règles étudiées empêchent toute concurrence entre les clubs et qu'elles peuvent aboutir une "réduction du choix et de l'innovation au préjudice des consommateurs et des téléspectateurs". Il est d'ailleurs rappelé que les droits TV de la Liga en Espagne n'étaient pas mutualisés jusqu'en 2015 (le Real Madrid et le Barça commercialisaient directement leurs matchs de championnat aux diffuseurs). Reste que ces règles UEFA et Fifa peuvent être jugées conformes si ces instances démontrent qu'elles font preuve d'équité et que la centralisation des droits engendre un vrai profit pour tous les acteurs du football (des clubs aux téléspectateurs).

· Que va-t-il se passer maintenant?

Cet arrêt de la justice européenne n'est pas une autorisation immédiate adressée aux clubs et joueurs pour rejoindre la Super League. Cette "décision préjudicielle" aide une juridiction nationale à rendre un jugement qui nécessite d'interpréter les textes de l'Union européenne. Avec ces éléments, le tribunal de commerce de Madrid va pouvoir se prononcer sur la procédure lancée par la société organisatrice de la Super League contre la Fifa et l'UEFA.

Mais la justice espagnole ne pourra pas se contenter de répéter ce qui a été dit par la CJUE. Sur la question de l'autorisation préalable imposée par l'UEFA à ses clubs et joueurs affiliés pour participer à la Super League, le tribunal madrilène devra déterminer si l'UEFA est en mesure de prouver que son pouvoir et ses règles sont suffisamment équitables. Le cas échéant, l'UEFA bénéficierait d'une exemption conforme au droit européen en matière de concurrence et de prestation de services.

Dans tous les cas, une jurisprudence existera et simplifiera les potentielles autres procédures judiciaires similaires qui pourraient être lancées dans d'autres pays de l'Union européenne.

Article original publié sur RMC Sport