Super League: la justice européenne va rendre un arrêt historique ce jeudi, moment capital pour le foot européen

"Pschitt" ou révolution. Ce jeudi matin, à 9h30 pétante, les ordinateurs des salariés de l’UEFA vont actualiser avec force la page internet de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE). L’avenir du football (et plus globalement du sport) se joue à Luxembourg. Un certain nombre d'interlocuteurs parlent même d’une décision "très importante pour l’avenir du foot européen, au même niveau que l’arrêt Bosman".

Autour de ce dossier de Super League, la contestation est bien différente par rapport à avril 2021 où, après l’annonce par douze clubs européens de créer une compétition privée, des manifestations avaient fleuri partout en Europe.

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Cette fois, la contestation est plus institutionnelle. De l'Association européenne des clubs (ECA) à l'Union européenne des clubs (UEC) en passant par l'UEFA et A22, la société promotrice de la Super League, la décision est attendue avec impatience. Certains éléments de communication, pour crier victoire, sont déjà prêts.

Un "projet élitiste"

A Nyon, au siège de l'UEFA en Suisse, la décision est forcément très attendue. Depuis le début, la guerre est totale avec les porteurs du projet. Dans la tête des représentants de l’UEFA, le projet de A22 reste un "projet élitiste" qui est destiné à créer une "compétitions entre les meilleurs clubs de la planète", explique à RMC Sport un cadre de l’instance. D’autres interlocuteurs sont très (très) cassants avec ce projet et utilisent des mots très crus pour décrire cette idée de Super League.

"Personne ne veut de cette Super League", complète un dirigeant de l'ECA, puissant syndicat des clubs européens, dirigé par Nasser Al-Khelaifi. Les éléments de langage sont similaires chez l’UEC, le syndicat des clubs qui représentent depuis plusieurs mois les "petits" clubs en Europe.

"Le but principal est de faciliter la requalification des clubs de l’élite chaque saison tout en rendant plus difficile l'accès pour les autres équipes, qui devraient passer par une saison entière dans une seconde division européenne ou des qualifications très restreintes, explique le syndicat des clubs UEC dans un communiqué. A22 affirme que ce modèle serait ouvert puisqu'il n'y aurait pas de membres permanents (rappel : le modèle de 2021 avait déjà cinq places ouvertes sur 20), mais la réalité est qu'il limiterait considérablement les chances de la grande majorité des clubs de se développer".

Dans ce dossier, la discussion entre toutes les parties n’a jamais été une option. L’UEFA est tranchante, elle ne veut pas entendre parler de cette Super League.

A22 toujours confiant

Octobre 2022 a été un tournant dans la communication autour de la Super League. Les promoteurs de la structure ont lancé A22 Sports Management. Lors de la première version, douze clubs avaient rejoint le projet. Deux ans plus tard, la Super League a perdu des membres, dix clubs ont quitté le navire qui n’est pourtant pas à la dérive. Seuls le Real Madrid et le FC Barcelone gardent un espoir de voir ce projet sortir de terre. Enfin officiellement.

Dans les couloirs de l’UEFA, des salariés estiment que si la décision de la CJUE est favorable à la Super League, d’autres clubs rejoindront rapidement l’organisation. Plusieurs dirigeants européens, qui se cachent depuis plusieurs mois sur ce sujet sensible, rêvent d’une Ligue fermée, ou en tout cas d’une ligue moins ouverte que la Ligue des champions.

"A22 Sports Management a été créée pour sponsoriser et aider à la création de la nouvelle Super League européenne. Nous reconnaissons le riche héritage du football européen et voyons le potentiel d'un avenir plus dynamique, inclusif et durable", indique le site du promoteur.

A22 a changé pas mal d’éléments dans son dossier par rapport à la première version, sans pour autant dévoiler un projet final de compétition (juste de créer plusieurs divisions impliquant 60 à 80 clubs avec un système de promotion et de relégation). La communication autour du projet s’est aussi professionnalisée, avec une mise en avant des supporters dans plusieurs argumentaires.

L’idée parait moins brutale et élitiste que la première version, c’est en tout cas le message diffusé par les promoteurs du projet depuis plusieurs mois. "L'UEFA va dire qu'elle a gagné quoiqu'il arrive, mais si les juges décident de faire tomber le monopole, alors cela ouvre la voie à une Super League", prévient une source proche de A22 auprès de RMC.

Et d’ajouter: "Nous ne demandons qu'une chose: ce qui existe dans tous les championnats européens, des compétitions gérées par les clubs eux-mêmes. Il faut proposer une compétition qui intéresse les supporters et une compétition ouverte, avec plus de 60 clubs, sans membres permanents."

Les proches du dossier côté A22 répètent qu’ils ont une totale "confiance en la justice" et que si "le monopole tombe", A22 pourra parler aux clubs "sans crainte de sanctions: "c'est essentiel".

Comment ça va se passer?

Le processus est complexe et a nécessité 17 mois de délibération pour cet arrêt dans l'affaire C-333/21. En clair, la justice européenne, qui avait été saisie par le tribunal de Madrid, va devoir déterminer si l’UEFA abuse d’une position dominante en sanctionnant les clubs participants à la Super Ligue ou à un tournoi privé et semi-fermé.

Cette affaire, qui connaitra son épilogue ce jeudi matin à Luxembourg, a déjà connu plusieurs péripéties. En décembre 2022, l’avocat général de la Cour, Athanasios Rantos, avait rendu un avis favorable à l’UEFA. "C’est pour cette raison qu’on tremble un peu moins ces derniers temps", avoue un responsable de l’instance européenne en pointe sur ce sujet. Dans son avis rendu il y a un an, l’avocat général avait estimé que les règles posées par l'UEFA et la FIFA étaient "compatibles avec le droit de la concurrence" de l’UE.

L’UEFA s’était félicitée de cette prise de position "sans équivoque". "Le football en Europe reste uni et fermement opposé à la Super League ou toute proposition de dissidence qui menacerait l’écosystème sportif européen", avait indiqué l’instance dans un communiqué. Les conclusions de l’avocat général sont fréquemment suivies par les juges.

Derrière cet arrêt très attendu dans le monde du football, c’est globalement les instances sportives qui vont scruter cette décision qui pourrait avoir un impact sur l’ensemble des compétitions. Devant la justice européenne, les représentants de la Super League avait choisi l’avocat belge, Jean-Louis Dupont, que certains décrivent comme la tête pensante de l’arrêt Bosman en 1995.

Il faudra scruter toutes les lignes de cet arrêt. Sur le papier, la Super League pourrait en principe être autorisée à organiser sa propre compétition. Mais, point important sur lequel va statuer la justice européenne, l'UEFA pourrait exclure les clubs qui participent à cette compétition. En clair, un joueur qui participe à la Super League, pourrait ne pas jouer un championnat d’Europe ou une Coupe du monde.

"Je vais découvrir la décision comme tout le monde ce jeudi matin, explique William Martucci, directeur des opérations de l’UEC. Ce qu’il faut attendre de cette décision, c’est de savoir dans quelles mesures il est possible de créer une Super League. C’est non seulement le verdict qui va être important, mais c’est aussi la façon dont A22 va réagir et va relancer quelque chose dans l’espace qu’ils auront pour s’engouffrer. On va suivre ça et aussi la réaction de l’UEFA."

La CJUE devra répondre aux deux critères de sa jurisprudence pour savoir si les mesures anti-frondeurs de l’UEFA poursuivent des "objectifs légitimes" et sont "proportionnées". Sur les "objectifs légitimes", l’UEFA est plutôt confiante. En revanche, sur les mesures "proportionnées", l’instance européenne pourrait être obligée de revoir son modèle.

Article original publié sur RMC Sport