Jaume Roures, patron de Mediapro: "La France, ce n’est pas terminé pour nous"

Jaumes Roures, quelles sont vos activités avec Mediapro depuis la fin de Téléfoot La Chaîne en France en 2020 ?

Ça va bien, on développe notre entreprise dans plusieurs pays. On a surmonté les effets de la pandémie. On possède aujourd'hui des droits en Espagne, en Belgique, au Canada, pour la CONCACAF et des accords avec plusieurs fédérations de la CONMEBOL. On a beaucoup de boulot (rires).

Dans quelques jours les droits de la Ligue 1 sont remis en jeu, le président de la Ligue de football professionnel vise le milliard d’euros. C’est possible ?

Non, je crois que ce n’est pas possible. La situation du marché est difficile. Il faut aussi regarder la situation économique et le rôle de la Ligue 1 parmi les Ligues européennes. On a pu voir en Italie avec l’appel d’offres, où ils demandaient un peu plus d’un milliard et ils n’ont pas abouti à ce résultat. Le processus est toujours en cours. Le marché des droits sportifs est encore dans une situation difficile. En plus, Canal+ a trouvé des vraies alternatives avec le rugby, la Champions League, la F1 et la moto. Ils n’ont plus besoin du football français comme avant. On va voir.

"Le chiffre de 200 millions avancé par la LFP sur les droits internationaux est loin d’être réaliste"

Pourquoi le marché est-il si difficile ?

On croyait qu’on était sorti d’une crise économique et sanitaire. La guerre en Ukraine est arrivée. La pandémie a affecté les droits, la guerre et ses conséquences affectent aussi les droits. Ce n’est pas une situation spéciale de la Ligue française, c’est une situation globale qui n’est pas favorable. Il faut ajouter à cela les problèmes entre Canal et la Ligue et prendre en compte le retour d’expérience d’Amazon sur les trois dernières années.

Vincent Labrune compte beaucoup sur les droits internationaux. Sans Messi et Neymar au PSG, la Ligue 1 peut-elle vraiment augmenter ceux-ci ?

Le chiffre de 200 millions avancé par la LFP est loin d’être réaliste. On est actuellement sur chiffre très bas avec 80 millions par an. Mais il faut penser que la situation à l’international, comme avec le championnat d’Italie et en Allemagne, n’est pas très positive. C’est loin d’être réaliste, ce chiffre.

C’est un marché qui pourrait vous intéresser ?

On pourrait y travailler, de la même manière qu’on travaille avec l’Espagne et la Belgique. On ne déposera pas d’offre, ça c’est sûr. La France n’est pas terminée pour nous. Nous avions un contrat de 850 millions d’euros par an et une pandémie est arrivée. On a proposé 650 millions d’euros par an, on nous a condamné à l’enfer. Je n'avais aucun problème, le problème était peut-être ailleurs. Avec un appel d’offres où on réclame un milliard, je ne crois pas avoir ma place pour la Ligue française. Ce n’est pas réaliste, on va voir ce que font Canal+ et DAZN. Je ne crois pas que les GAFA participeront à ce processus, ni pour le domestique, ni pour l’international. A mon avis, les acteurs ne seront pas très nombreux.

Trois ans après l’arrêt de Mediapro en France, quel est votre plus grand regret ?

Que la LFP n’ait pas voulu mener la négociation que l’on proposait. On nous parlait comme si la pandémie n’existait pas, et qu’on ne pouvait rien toucher. Elle a affecté des millions de personnes et ça a affecté l’économie. On avait le droit de renégocier ce contrat dans des termes raisonnables. On nous a dit non, on a donc cherché une porte de sortie en accord avec la Ligue. Le processus a été long. J’étais très surpris de voir qu’ensuite la Ligue a signé avec Amazon pour 250 millions. Chacun est responsable de ses actes. Sur le moment personne n’a rien dit. Moi je fais mon boulot. Je crois que ce sont les autres qui doivent faire un bilan de cette opération. La photo à l’instant T était celle-là. Avec la pandémie, la brouille entre Canal+ et la Ligue, et le contrat avec Amazon... La LFP a essayé d’arranger l’opération avec l’arrivée de CVC. Mais l’opération CVC ne résout pas les problèmes de fond, ça résout les problèmes de liquidité pendant une ou deux saisons. Et on doit discuter des problèmes de fond de la Ligue française. Les médias français nous sont aussi tombés dessus très rapidement. Je me souviens, le premier entretien que j’ai réalisé en France, la première question était ‘Pourquoi un étranger vient investir en France ?’. Moi je suis catalan et la frontière est à 50 kilomètres de chez moi, j’aime la France et la culture française. Après j’ai vu comment les choses se sont développées. Nous avions fait une analyse de la situation et une proposition. Et on voit que derrière Amazon signe pour 250 millions…

"L’attitude de Canal par rapport à la Ligue est une démonstration de la faiblesse du football français"

Est-ce que vous en voulez encore à Canal+ de ne pas avoir signé avec vous un accord de distribution ?

L’attitude de Canal par rapport à la Ligue est une démonstration de la faiblesse du football français. J’ai de très bonnes relations avec le patron de Canal+, si cette chaîne a l’occasion de faire passer le football français en événement secondaire derrière le rugby, la F1 et la MotoGP, c’est au football français de faire une analyse pour savoir comment il en est arrivé à cette situation. Et de voir avec cette analyse quelles sont les faiblesses qui permettent à Canal d’avoir cette approche.

Vous avez pu regarder le produit proposé par Amazon en France ?

Non. Je regarde uniquement Prime en Espagne. J’ai vu au début la campagne de publicité qu’ils ont fait, c’était une campagne de quelqu’un qui est extérieur du football. Ils ont une approche différente des chaînes de télévision classique ou de la plateforme DAZN. Ce n’est pas une critique. Ils entrent dans le sport avec des situations très spécifiques. Comme pour la Premier League ou pour la Champions League en Allemagne. Je crois qu’ils ont acheté la Ligue 1 pour 250 millions d’euros parce que c’était une opportunité. Mais même DAZN à ce moment-là ne proposait pas ce montant. Il y a un problème de fond à analyser.

C’est quoi, ce problème de fond ?

Le modèle du football français est trop basé sur la vente des joueurs. C’est très difficile de constituer une référence si les meilleurs joueurs quittent le championnat au bout d'une saison. Il y a aussi le problème des horaires. La plupart des matchs sont joués dans la même tranche horaire en Ligue 1. La crise avec Mediapro en 2020 n’a emmené personne à faire une réflexion sur le football français. La situation actuelle n’est pas celle qu’on pouvait attendre. Je ne crois pas que l’appel d’offres qui arrive atteindra le milliard. Même si Canal et DAZN ont une participation active. Autre problème, par exemple, faire une Ligue avec 18 équipes et pas 20. Ça enlève des dates aux calendriers, les meilleurs Ligues du monde comme l’Italie, l’Espagne ou l’Angleterre sont toujours à 20. Qu’il y ait des bonnes et des moins bonnes équipes c’est pareil partout, ce n’est pas un problème spécifique à la France.

"Si Apple fait un chèque pour la Ligue 1, j’invite Vincent Labrune à diner dans le meilleur restaurant de Paris."

On parle beaucoup d’une arrivée de DAZN en France, ça ressemble à quoi en Espagne ?

Je crois qu’ils vont participer à cet appel d’offres. Mais le montant proposé ne sera pas celui que la Ligue espère. Je connais bien DAZN, ce qu’ils ont fait en Espagne avec 5 matchs par journée, ça sera différent en France. En Italie, ils ont disputé l'appel d'offres avec Sky… L’offre était loin de ce que la Serie A attendait. Je ne vois pas pourquoi en France ça serait le contraire. Les modalités de l’appel d’offres sont différentes sur le territoire français. Si j’ai bien compris il y a un paquet de 7 ou 8 matchs. Le problème de ce paquet reste les horaires. C’est surtout pour permettre à un diffuseur important de mettre le paquet sur le prix. Je crois que maintenant ce type de paquet n’est pas fonctionnel. Il faut mener des discussions avec les acteurs. En Espagne, DAZN a 5 matchs avec des horaires différents et chaque semaine ils ont le Real Madrid ou le Barça. Si un diffuseur important entre pour acheter les meilleurs matchs en France, le reste des lots va souffrir.

Vous pensez possible une arrivée d’Apple TV en France pour la Ligue 1 ?

Si Apple fait un chèque pour la Ligue 1, j’invite Vincent Labrune à diner dans le meilleur restaurant de Paris. Je n’y crois pas. Apple paie 250 millions d’euros pour la MLS avec des paramètres qui ne seraient pas possible en Europe.

Vous pensez toujours qu’il y a 3,5 millions de fans de football en France capables de s’abonner pour la Ligue 1 ?

Ça dépend du prix, mais je crois qu’ils existent.

Même Amazon qui possède un prix très bas ne voit pas ses compteurs s’affoler au niveau des abonnements…

On ne peut pas arriver, créer une chaîne et avoir 3,5 millions d’abonnés. C’est un processus de travail ensemble, entre la Ligue, les opérateurs et les clubs. Ca dépend de beaucoup de paramètres. Les horaires, les productions, le taux de remplissage des stades… C’est un ensemble de choses. En Espagne, on n’est pas arrivé du jour au lendemain pour faire ce produit. En France, on n’a pas eu le temps de s’installer. Les gens ont oublié qu’il y a eu la pandémie. On est arrivé, le gouvernement a arrêté le championnat. La seule ligue européenne à s’arrêter. On ne peut pas discuter de la situation à ce moment-là sans parler de la pandémie. On a rediscuté nos contrats avec tout le monde en 2020 comme l’UEFA et les autres championnats. Tout le monde a accepté. La durée des contrats joue aussi beaucoup. Les risques et les investissements sont différents d’un contrat de 4 ans et ceux de 5 ou 6 ans. Personne n'explique de façon cohérente pourquoi on ne peut pas faire de contrat de plus long terme. Surtout que ça serait plus avantageux pour les consommateurs.

Vous êtes très présent en Liga. Si Kylian Mbappé rejoignait dans les prochaines années le Real Madrid, ça changerait quoi pour vous ?

Tous les médias font des éditos sur Kylian Mbappé, tous les jours. C’est le meilleur joueur du monde actuellement. Une arrivée en Espagne permettrait de faire augmenter le niveau surtout s’il vient au Real Madrid. Mais je n’ai jamais compris pourquoi on ne parle pas de Mbappé en Premier League. Si tu veux jouer au top, c’est la Premier League. Je ne vois jamais de rumeur entre Mbappé et un club de Premier League. Si on laisse de côté le cas Messi, c’est le meilleur joueur que l’on a actuellement au monde.

Article original publié sur RMC Sport