France-Maroc: Renard, les binationales, Karchaoui, Pedros… Les destins croisés d'un choc inédit

France-Maroc: Renard, les binationales, Karchaoui, Pedros… Les destins croisés d'un choc inédit

L’émotion était déjà très forte en fin d’année dernière, lorsque l’équipe de France de Didier Deschamps s’est retrouvée face au Maroc de Walid Regragui en demi-finale de la Coupe du monde 2022. Des deux côtés de la Méditerranée, les supporters ont hurlé, chanté et pleuré pour cette affiche historique entre deux peuples liés par l’Histoire. Neuf mois après la victoire des Bleus au Qatar (2-0), grâce à Théo Hernandez et Randal Kolo Muani, les deux pays s’apprêtent à se retrouver dans un choc au sommet. Chez les filles cette fois. L’équipe de France d’Hervé Renard a rendez-vous avec les Marocaines de Reynald Pedros en 8es de finale du Mondial féminin 2023, ce mardi à Adelaïde (13h), au sud de l’Australie. Une affiche forcément particulière entre les Bleues et les Lionnes de l’Atlas, qui entretiennent des liens étroits. A tous les niveaux…

Hervé Renard, une aventure inoubliable au Maroc

Avant de prendre en main la destinée de l’équipe de France féminine, en succédant à Corinne Diacre au printemps dernier, Hervé Renard a beaucoup voyagé durant sa carrière. En Afrique notamment. C’est là que le coach de 54 ans s’est fait connaître du grand public. Après avoir remporté la CAN avec la Zambie (2012) et la Côte d’Ivoire (2015), le natif de Savoie a dirigé la sélection masculine du Maroc durant trois ans et demi (2016-2019). Une expérience durant laquelle il a emmené les Lions de l’Atlas à la Coupe du monde 2018 en Russie (élimination au premier tour), vingt ans après leur dernière qualification pour un Mondial. De quoi nouer une relation spéciale avec le royaume chérifien, ses joueurs, ses habitants et sa diaspora. Quatre ans après son départ, Renard reste profondément marqué par son escale à l’ouest du Maghreb. Mais il promet de laisser les sentiments de côté sur la pelouse de l’Hindmarsh Stadium.

"J’ai de merveilleux souvenirs de mon passage au Maroc, je garde beaucoup d’amis. Maintenant, place au football. Même quand on fait un petit match entre amis, il faut le gagner. Donc on est là pour se qualifier", assure le sélectionneur des Bleues, dont l’adjoint David Ducci et le préparateur physique Thomas Pavillon ont partagé la même aventure. Un vécu commun qui leur permet de mesurer les énormes progrès effectués par le football marocain ces dernières années. Sous l’impulsion de Fouzi Lekjaa, le président de la fédération. "Le Maroc fait partie des meilleures nations du football mondial. C’est tout à son honneur et ce n’est pas fini, prévient Hervé Renard. Il y a des infrastructures magnifiques avec des joueuses et des joueurs de grande qualité. Ils travaillent de façon très professionnelle, n’oublient aucun paramètre qui fait partie du football de haut niveau. C’est la récompense d’un travail remarquable depuis une dizaine d’années. (…) Il n’y a pas beaucoup de nation en demi-finale d’une Coupe du monde masculine, puis en 8es chez les femmes: les Pays-Bas, la France et le Maroc."

Reynald Pedros, une épopée de rêve avec les Lionnes de l’Atlas

Il a accepté de relever le défi en novembre 2020. Convaincu par le projet de développement du football marocain, le Français Reynald Pedros a pris la direction de la sélection nationale féminine il y a deux ans et demi. Avec des infrastructures flambant-neuves, des moyens financiers importants et la bénédiction du roi Mohamed VI. Un contexte favorable qui a permis à l’ancien coach de l’OL féminin de mettre en place un travail de qualité au nord-ouest de l’Afrique. Au point de qualifier les Lionnes de l’Atlas pour leur première CAN l’été dernier. Une compétition organisée à domicile lors de laquelle les Marocaines, soutenues par tout un pays, ont atteint la finale dans une ambiance survoltée. Avant de s’incliner face à l’Afrique du Sud (1-2).

Un an plus tard, pour leur première Coupe du monde, elles se retrouvent en 8es de finale face à l’équipe de France, après un parcours héroïque en Océanie. Corrigées d’entrée par l’Allemagne (6-0), les partenaires de Ghizlane Chebbak ont battu la Corée du Sud (1-0) et la Colombie (1-0) pour arracher leur qualification. Un scénario qui a laissé Reynald Pedros en larmes au milieu de ses joueuses. Avant de se projeter sur ce choc inédit face aux Bleues...

"C’est un match particulier parce que je suis français et que mon staff est français mais mon cœur est marocain, lance l’ex-milieu offensif, qui compte 25 sélections avec l’équipe de France (entre 1993 et 1996). Ça fait trois ans qu’on travaille d’arrache-pied pour atteindre des objectifs inespérés, incroyables, improbables et on arrive à les réaliser avec cette équipe, cette fédération, ce groupe de joueuses absolument fantastiques. J’aime vraiment ce pays, je l’ai découvert, j’y vis très bien, je suis très heureux d’entraîner là-bas. Aujourd’hui, je n’aurai absolument aucun scrupule, ni aucun remord à battre l’équipe de France. Je ferai tout pour qu’on se qualifie pour les quarts de finale."

Dans la douceur estivale d’Adelaïde, Pedros va recroiser certaines de ses anciennes protégées à Lyon (2017-2019), comme Wendie Renard, Eugénie Le Sommer, Selma Bacha ou Kenza Dali. "Je connais les joueuses de l’équipe de France, celles que j’ai entrainées et celles que je n’ai pas entrainées mais qui jouent dans le championnat de France, résume-t-il. L’important est de ne pas surjouer le profil de l’équipe de France aux joueuses. On a fait la présentation exactement de la même manière qu’avant la Corée du Sud et la Colombie. J’aurai un grand plaisir à les retrouver à ce niveau et j’aurai grand plaisir si je les élimine. Il n’y a pas de problème avec ça, chacun est dans sa bulle, dans sa concentration et on verra à la fin."

Sakina Karchaoui, un choc face à son pays d’origine

C’est l’une des stars de l’équipe de France féminine. Et elle s’apprête à vivre un moment inoubliable. Sakina Karchaoui, l’arrière gauche du PSG, a grandi à Miramas (Bouches-du-Rhône), à une quarantaine de kilomètres au nord de Marseille. Dans une famille d’origine marocaine. Ses deux parents sont nés dans la région de Taza, au nord-est du Maroc, entre les montagnes du Rif et du Moyen-Atlas. C’est dans cette ville de plus de 150.000 habitants (située à 550m d’altitude), avec ses taxis bleus, ses remparts et sa grande mosquée, que Sakina a passé la plupart de ses vacances d’été. Les familles de Jamel Debouzze et Younes Belhanda en sont également originaires, tout comme le père d’Ismaël Bennacer, l’international algérien de l’AC Milan.

Élevée dans une double culture, Karchaoui, qui maîtrise le darija (l’arabe marocain), est l’avant-dernière d’une fratrie de cinq enfants. Seule sa petite sœur Youssra a pu faire le déplacement pour la soutenir en Australie durant le Mondial. Le reste de la famille suivra ce France-Maroc à distance, avec un sentiment forcément partagé. "J'ai deux parents 100% marocains, j'ai des frères et sœurs aussi qui sont nés au Maroc. J'ai été un peu chambrée à ce niveau-là, s’amuse la joueuse de 27 ans, formée à Montpellier et passée par l’OL. On sait très bien la place que le Maroc a dans notre famille, au même titre que la France. Ma famille va se réunir et mes parents seront pour leur fille, ça sera particulier pour eux aussi. (…) Je suis d'origine marocaine et fière de mes origines. Malheureusement, il faudra gagner donc je ne leur souhaite pas le meilleur pour ce match-là (rires)."

Les Marocaines, un vestiaire à l’accent français

Sur les vingt-trois joueuses sélectionnées par Reynald Pedros pour disputer ce Mondial avec le Maroc, treize sont des binationales, qui auraient pu choisir de défendre un autre drapeau. Et sept d’entre elles sont nées dans l’Hexagone. C’est le cas d’Anissa Lahmari, ex-joueuse de Guingamp (actuellement sans club), native de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) et auteure du but de la qualification en 8es contre la Colombie. Élodie Nakkach, la milieu défensive du Servette Chênois (Suisse), est originaire de Limoges (Haute-Vienne). Kenza Chapelle et Sarah Kassi, les joueuses du FC Fleury 91, viennent de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, en région parisienne. Tout comme Sabah Seghir, la latérale du Napoli, née à Colombes (Hauts-de-Seine). Nesryne El Chad, la défenseure du Losc, a vu le jour à Saint-Etienne (Loire). Inès Arouaissa, la gardienne de l’AS Cannes, a fait ses premiers pas à Dijon (Côte-d’Or). Salma Amani, la milieu de terrain de Metz, est née à Rabat mais elle a grandi à Brest (Finistère).

Ces Marocaines de France côtoient en sélection des joueuses venues d’Espagne et des Pays-Bas. Aux côtés d’une base de footballeuses formées au Maroc, pour beaucoup licenciées à l’AS FAR. Un vestiaire polyglotte au sein duquel certaines ne parlent ni arabe ni français, à l’image de Rosella Ayane, l’attaquante de Tottenham, native de Reading en Angleterre. Une situation impulsée par l’Américaine Kelly Lindsey lors de son mandat et renforcée par Reynald Pedros: "Certaines binationales sont venues, d'autres ont attendu et m'ont dit: ‘Écoutez coach, je préfère attendre peu, voir si je suis appelée en équipe de France...’ On leur a dit que la porte était toujours ouverte, on a toujours eu des discussions avec elles. Après la CAN, ça a commencé à changer un petit peu, certaines filles ont regardé et nous ont recontacté. En nous disant: ‘On a vu la CAN, c'est pas mal, c'est sérieux, vous allez au Mondial’ (…) Maintenant on a eu un projet concrétisé par des résultats et derrière, c'est plus facile pour les joueuses de se positionner. C'est comme ça qu'on a récupéré pas mal de binationales et je pense qu'aujourd'hui elles ne sont pas mécontentes d'être avec nous et de participer à cette Coupe du monde".

Article original publié sur RMC Sport