Comment Florian Grill et la FFR veulent protéger les arbitres et limiter les dérapages grâce à une application mobile

Comment Florian Grill et la FFR veulent protéger les arbitres et limiter les dérapages grâce à une application mobile

Florian Grill, qans quel contexte avez-vous mis en place l’application iArbitres ?

Quand j'étais président de la ligue Ile-de-France, on s'est aperçu en fait que les bancs de touche et les tribunes avaient souvent un impact sur le comportement des joueurs sur le terrain. Et en fait, on s'est dit que on avait des arbitres qui étaient présents sur tous les terrains, tous les week-ends et qui pouvaient évaluer le comportement, pas simplement de l'équipe sur le terrain, mais aussi des bancs de touches. Et des tribunes. Et donc on leur a demandé, on a créé une petite application sur mobile très simple qui leur permet de valoriser, d'évaluer le comportement du banc de touche et le comportement de la tribune. Et du coup, ça nous donne beaucoup de data et cette data permet ensuite d'envoyer des représentants fédéraux, des représentants de la FFR de manière ciblée, là où on constate qu'il y a régulièrement un banc de touche qui dérape dans son comportement ou des tribunes qui dérapent dans leur comportement.

Les équipes aussi peuvent noter l’arbitrage via cette appli ?

Ça, c'est le format à l'envers. C'est-à-dire qu'on permet aux équipes d'évaluer aussi un arbitre. Et là ça nous permet non pas de tenir compte spécialement de l'avis de l'équipe mais d’envoyer des coachs de manière ciblée sur les arbitres qui ont régulièrement des évaluations qui peuvent ne pas correspondre. On manque d'arbitres globalement sur l'ensemble du territoire et le fait comme ça de pouvoir cibler les coachings parce qu'on n’a pas des coachs pour chacun des arbitres. Cibler les coachings et accompagner les arbitres dans leur progression, c'est un élément important de leur fidélisation également.

"On ne peut pas se permettre au rugby d’avoir des comportements qui dérapent, on n’a absolument pas envie de basculer de ce côté sombre"

Qu’est-ce qui vous a poussé à mettre en place une telle plateforme ?

On pense qu'il est très important en tant que Fédération française de rugby de réguler un peu les comportements des supporters, d'être très attentifs à la manière dont le respect - qui est une valeur cardinale au rugby - se pratique sur les terrains mais aussi dans les tribunes et aussi sur les bancs de touche. Les jeunes sont souvent des buvards et donc ils peuvent influencer, par leur comportement, le comportement des jeunes sur le terrain. Et donc cette application qu'on a créée en Ile-de-France et qui fonctionne, on a décidé de la déployer au niveau national et de permettre à toutes les ligues régionales, avec l'ensemble de nos 2700 arbitres, de la déployer de manière à ce que toutes les rencontres soient évaluées et qu'on puisse très rapidement identifier les endroits où il y a un travail à faire par le président de club, par la Fédération française de rugby, par les représentants fédéraux qu'on peut envoyer pour apaiser les bancs de touche avec cette notion d'influence qui est la leur, ou apaiser les comportements dans les tribunes. Parce qu’au rugby, on apprend le respect et que ce respect est fondamental au fonctionnement même du rugby.

Cette application, active dans la ligue Ile-de-France, est-elle vraiment utilisée ?

En Ile-de-France, 95% des arbitres utilisent et évaluent les rencontres de manière systématique. Donc dès qu'on a passé les premiers week-ends, on a très vite des équipes qui peuvent clignoter en rouge ou en orange et on peut facilement repérer les endroits où il y a une action à mener. Une action pédagogique, une action d'accompagnement, ce qui se traduit par un signalement au club ou qui se traduit par l'envoi d'un représentant fédéral de manière ciblée (parce qu'on n’a pas des représentants fédéraux pour toutes les rencontres) pour accompagner le club dans l'amélioration des comportements du banc de touche ou de la tribune. Du côté des équipes, l'évaluation "réversible" qui permet au club d'évaluer un arbitre est moins systématiquement utilisée, c'est plus marginal, mais ça nous permet d'identifier des arbitres qui ont besoin de coaching et on le fait de manière plus ponctuelle.

Une fois que les stades et les équipes sont évalués, comment agit-on pour améliorer si besoin les relations avec l’arbitre ?

Il y a deux choses. Il y a les clubs qui sont régulièrement très bien évalués. D'abord on les valorise. C’est aussi un système de valorisation des clubs qui ont des très bons résultats, des très bons comportements, soit du banc de touche, soit de la tribune et donc ce qu'on avait mis en place en Ile-de-France et qu'on étendra au niveau national, c'est le fait de les inviter à des matchs de Top 14, de Pro D2 ou éventuellement des matchs des équipes de France. Et en sens inverse, quand on voit qu’un club régulièrement a un problème, dans ce cas-là, il y a un travail qui est fait par la Ligue régionale, soit pour parler au président du club et lui dire qu’il y a un effort à faire pour que le comportement général soit dans l'image qu'on se fait du rugby, soit l'envoi d'un représentant de la Fédération française de rugby, ce qu'on appelle les représentants fédéraux, qui accompagnent les arbitres et qui sont souvent là entre les deux bancs de touche et qui ont vocation à réguler les comportements des bancs pour éviter les dérapages. Et puis qui peuvent aller voir le président du club en amont en lui disant voilà, il y a un sujet de comportement de la tribune.

On ne peut pas se permettre au rugby d’avoir des comportements qui dérapent, on n’a absolument pas envie de basculer de ce côté sombre. On a envie que notre sport reste un sport où le respect est institué comme une valeur première. Et donc il faut mener des actions de sensibilisation dans la tribune, il faut parler aux supporters qui qui peuvent déraper. Il faut parler aux parents qui parfois projettent un petit peu leurs ambitions sportives sur leurs enfants et en fait se trompent parce qu’on ne fait pas la Coupe du monde. On essaie de faire progresser les gens au rugby, on ne transforme pas que les essais, on transforme les personnes et je pense qu'on apprend aussi des valeurs de respect, de solidarité, de loyauté, de fraternité qui ont parfaitement été ressenties pendant la Coupe du monde et que les dérapages qui prennent à partie l'adversaire ou les arbitres ne sont pas du rugby.

Quelle échelle de temps pour développer l’application dans toute la France ?

Très vite en fait ! L'application existe. Elle est déjà en place en Ile-de-France et elle fonctionne. Le sujet, c'est plus l'accompagnement du changement. C'est-à-dire qu'il faut équiper tous les arbitres, qu'ils téléchargent tous l'application sur leur mobile et ensuite c'est plus l'accompagnement du changement. Il faut un référent dans chaque ligue qui soit chargé de l'analyse statistique et puis qui ensuite organise la venue des représentants fédéraux là où c'est nécessaire. Parce que la majorité des rencontres se passe très bien au rugby, mais il y a quelques rencontres où ça dérape, quelques lieux où il y a régulièrement des dérapages et en fait, ce qu'il faut, c'est identifier rapidement les lieux où il y a régulièrement des dérapages pour agir.

"On a constaté qu'il y avait post-Covid une montée en puissance de certaines tensions"

Vous avez déjà eu des retours de l’utilisation de cette application par les arbitres et les équipes de la ligue Ile-de-France ?

On a constaté les dernières saisons qu'il y avait post-Covid une montée en puissance de certaines tensions. Parfois dans les tribunes et a priori, d'après les statistiques nationales qu'on avait pu voir, il y en a eu plutôt moins en Ile-de-France, en tout cas plutôt une forme de stabilité. Donc est-ce que c'est la "faute" à beaucoup de chance ? Ou est-ce que c'est lié à la mise en place depuis quelques années de l'application iArbitres ? Ça je ne saurais le dire, mais en tout cas on a plutôt le sentiment que ça a eu un effet positif. Et puis voilà, je suis de ceux qui pensent que quand on mesure rationnellement les choses avec de la data - et là la masse de data est énorme, imaginons qu'il y ait 2700 arbitres qui tous les week-ends évaluent comme ça les clubs quand on a de la data et qu'elle est rapidement traitée - on a une capacité à améliorer les choses. L'objectif c'est vraiment d'avoir un impact positif sur les comportements dans les clubs.

Est-ce que cette plateforme répond aussi à la demande de plus de communication entre les arbitres et les équipes ?

Alors non, parce c'est encore un autre registre. Moi je pense que sur la pédagogie qu'on doit faire sur les questions d'arbitrage, on le fait très bien dans le Top 14, on le fait très bien à la Fédération française de rugby, ça fait partie des points d'amélioration de World Rugby. Comme c'est le cas chez nous, des vidéos qui expliquent les règles qui font œuvre de pédagogie, ça c'est tout un autre volet sur lequel il faut travailler. Là, c'est plutôt aller au-delà de la feuille de match de ne pas considérer simplement le rectangle vert, mais considérer l'environnement général, le banc de touche, la tribune. La nouveauté en fait avec les arbitres c'est de considérer que les acteurs à l'extérieur du terrain ont un impact sur les acteurs du terrain et donc on veut aussi réguler un peu les comportements supporteurs. Par exemple dans le cas des équipes jeunes, pour vraiment faire comprendre que le rugby a un enjeu éducatif. On n'a pas simplement un enjeu sportif. Et là, l'objectif, c'est d'avoir très vite de la data qu'on n’a pas avec une feuille de match.

Comment on utilise l’application ?

L'application est utilisée uniquement par l'arbitre. Ce sont nos 2700 arbitres qui seront équipés de l'application. Ou alors les président de clubs. Ce n’est pas une application qui est donnée à tout le public. On ne demande pas au président du club de rentrer dans les détails, on lui demande juste de nous dire ça se passe très bien - et dans 90% des cas ça se passe très bien - ou au contraire il y a des petits problèmes. Et au lieu de considérer que c'est une polémique sur le résultat du match, on considère que c'est une question de coaching, d'accompagnement et de formation de l'arbitre. Voilà, c'est ça aussi. Le rugby, l'arbitre, il fait partie du jeu. Le ballon au rugby, il est ovale, les joueurs, ils sont faillibles, l’arbitre, il est faillible. Tout le monde peut faire des erreurs et l'important c'est simplement d'accompagner les arbitres dans leur progression et pas de les stigmatiser sur les réseaux sociaux ou par le grand public. Nous, notre manière de voir les choses au rugby, c'est que l'arbitre, il fait partie du jeu. Et notre responsabilité première en tant que dirigeants, en tant que présidents de club, en tant que joueurs, c'est de respecter.

Est-ce que dès cette saison le système sera utilisable partout en France ?

Concrètement, l'objectif c'est bien que d'ici la fin de saison on ait déployé cette application qui existe en Ile-de-France sur l'ensemble de nos ligues régionales.

"Suite aux propos qu'il y a eu sur les réseaux sociaux extrêmement durs vis-à-vis des arbitres, on a des jeunes arbitres en formation qui ont arrêté"

Vous avez annoncé le développement de ce système à toute la France devant l’Assemblée nationale au lendemain de la Coupe du monde, dans un contexte de forte contestation populaire de l’arbitrage... C’est en réaction à cela que vous avez pris cette décision ?

Non, pas du tout. C'est quelque chose qui était dans le programme que j'avais construit pour la Fédération française de rugby. C'est quelque chose qui était prévu et qui était engagé avant. J'en ai parlé à l'Assemblée nationale dans le cadre de l'audition parlementaire durant laquelle on a été interpellés sur la question des violences. Je l'ai décrit comme un des éléments du plan d'action de la Fédération française de rugby. Mais ce n’est pas lié à la Coupe du monde. C'était quelque chose que l’on voulait déployer parce que c'est notre responsabilité de défendre le respect et chaque fois qu'on peut agir pour que le rugby soit exemplaire de ce point de vue-là et que le rugby démontre que tant du point de vue des joueurs, des pratiquants, des dirigeants, mais aussi pourquoi pas des supporters, la notion de respect qui permet de voir des matchs de rugby ou les partisans de tel ou tel club ou de telle ou telle nation fraternisent entre eux, c’est quelque chose d'essentiel. C'est consubstantiel au rugby et il faut que la Fédération française de rugby défende ces valeurs-là qui font un peu notre différence dans le milieu du sport.

Vous avez signé une tribune pour appeler à la fin des critiques sur l’arbitrage dans le rugby... Il était temps de monter au créneau ?

J'ai même voulu siffler la fin de la récréation. On a 2700 arbitres en France. Il en faudrait 3300 pour couvrir les rencontres. Suite aux propos qu'il y a eu sur les réseaux sociaux extrêmement durs vis-à-vis des arbitres, on a des jeunes arbitres en formation qui ont arrêté. Qui ont arrêté leur formation et moi je le dis : un match pas arbitré, c'est des licenciés perdus. Ma responsabilité n’est pas simplement sur les équipes de France ou sur l'international, elle est sur l'ensemble de nos équipes, y compris le rugby territorial où on a besoin d'arbitres et on a besoin de valoriser les arbitres. Moi j'engage tout le monde, tous ceux qui portent des avis sur l'arbitrage à aller sur un terrain et à s'imaginer au milieu de 30 joueurs à devoir guider le jeu.

Je pense qu’au rugby, le respect est une marque fondamentale. L'arbitre est faillible comme un joueur. On a des joueurs qui ont dévissé les coups de pied, on a des joueurs qui ont mal reçu les coups de pied. Je ne fais pas partie de ceux qui disent "on a perdu le match à cause de l'arbitre". Je dis "on a perdu le match parce qu'on a pris quatre essais". Ce point-là est quand-même extrêmement important. Après il peut y avoir des fautes mais comme tout le monde peut faire des fautes et au rugby, on respecte. Et de toute façon les matchs ne sont pas rejoués. Il faut se battre sur des choses qui sont utiles. Moi ce sur quoi je me bats, c'est la présence de la France dans les instances internationales en vue de 2027. C'est notre présence dans les commissions, y compris les commissions les plus techniques, dans lequel il y a du travail à faire, y compris sur l'évolution des règles d'arbitrage, y compris sur les liens, la cohérence entre l'arbitrage de l'hémisphère nord de l'hémisphère sud, etc. Mais je me bats aussi pour défendre les arbitres du quotidien, parce que je sais à quel point, sans arbitre, il n’y a pas de rugby.

Vous regrettez les mots d’Antoine Dupont qui pointait un arbitrage "pas à la hauteur de l’enjeu" après le quart de finale ?

Il faut comprendre l'amertume et puis la tension. Après quatre années de travail, dans le contexte particulier d'Antoine qui a été blessé, qui revient, qui se bat pour être présent à ce match... Je comprends tout ça, je n’ai pas de de problème avec ça. Mais je pense que Fabien a eu la bonne attitude en recentrant un peu les choses. Et puis regardez les déclarations des entraîneurs de l'équipe de France, mais aussi celle d’Ugo Mola récemment. Il n’y en a pas un qui a qui a incriminé l'arbitrage. Tout le monde a bien vu la réalité d'un match dans lequel il y a des vraies questions sur les essais encaissés. Il y a des vraies questions sur l'ensemble du match. Moi je déteste par exemple les vidéos où on enchaine uniquement les décisions arbitrales qui peuvent ou pas poser question. Il y a beaucoup de gens qui ont parlé sans forcément maîtriser la totalité de la règle. Un match se regarde dans sa globalité.

Le staff de l'équipe de France m'avait dit "il n’y a pas matière à réclamation" après le match. Il n’y avait pas matière à la réclamation et de toute façon le match n’aurait pas été rejoué donc il faut se concentrer sur ce qui est utile pour l'avenir. A force de ressasser le passé, on ne construit plus rien, donc je pense que ce qui est utile pour l'avenir, c'est le poids de la France au sein de World Rugby, au sein des différentes commissions, c'est la manière dont on coache, dont on accompagne l'ensemble de nos arbitres. C'est le développement de nouvelles solutions type l'application iArbitres qu'on va étendre au niveau national. C'est la manière dont on pilote dans le rugby les comportements des bancs de touches et des tribunes parce que ça fait partie de l'image du rugby. Je suis très fier de l'image que le rugby a véhiculé pendant cette Coupe du monde et c'est ça qui fonde notre développement pour demain. On ne sera jamais champions du monde si on passe notre temps à ressasser le passé. Moi ce qui m'intéresse c'est l'avenir.

Vous avez défendu Fabien Galthié dont le silence interroge... Vous lui avez reparlé ces derniers jours ?

Je lui ai reparlé, bien sûr. Mais ce que j’ai dit c'est que le temps médiatique - et on comprend la volonté que tout aille vite - n'est pas le temps humain. Je pense que dans la vie, quand il y a des phases comme ça qui sont émotionnellement fortes, il faut laisser aux gens un temps de digestion, humainement. Ensuite, il faut laisser le temps de l'analyse et ensuite il vient le temps de la communication. Le temps de la communication pour Fabien va bien sûr arriver, il doit aux supporters, il doit à la France entière de donner son analyse du match, c'est une évidence. Mais je suis trop attentif aux hommes pour exiger qu’il y ait une réponse instantanée, immédiate. Ce n’est pas ça la vie. Il faut respecter ce temps de digestion et ce temps d'analyse qui me parait indispensable et c'est pour ça que je suis monté au front pour soutenir Fabien, parce que je pense que cette pression était trop forte.

Est-ce qu’il se questionne sur son avenir à la tête du XV de France ? Est-ce qu’il pourrait changer d’avis ? Ou on n’en est pas là ?

On n’en est pas du tout là. Avec Jean-Marc Lhermet, avec qui on a travaillé le sujet, on n'a pas jugé Fabien Galthié sur un match. Et surtout pas un match perdu d'un point face aux champions du monde en titre et aux nouveaux champions du monde. On a jugé le travail de Fabien sur quatre mois et demi de travail et de collaboration en commun. Dès le lendemain du match, on s'est parlé avec Fabien pour se redire notre confiance mutuelle, Fabien, Jean-Marc et moi. Et on s'est redit notre confiance mutuelle sur la base d'une analyse de quatre mois et demi et pas sur la base d'une analyse d'un match. Il n'y a absolument aucun doute sur la motivation de Fabien. Maintenant, il y a le temps de la restitution aux supporters et celle-là va venir incessamment.

Article original publié sur RMC Sport