Les Fennecs, la CAN, la pression, Algérie-France… l’interview intégrale de Djamel Belmadi dans l’After

Les Fennecs, la CAN, la pression, Algérie-France… l’interview intégrale de Djamel Belmadi dans l’After

Djamel Belmadi, vous affrontez le Sénégal mardi pour un pour un match de prestige face au champion d'Afrique en titre. Qu'est-ce que vous attendez de ce match?

Djamel Belmadi : On va effectivement aller au Sénégal jouer contre le champion en titre. C'est aujourd'hui la référence en Afrique. C'est même l'ogre africain. Leurs derniers matchs le prouvent. Ils ont joué contre le Brésil. C'était certes un match amical mais ils ont gagné 4-2. C'est un match important pour nous. On a envie de performer contre les gros et, surtout, à l'extérieur. J'ai envie de me mettre dans cette situation pré-CAN, j’ai envie de me retrouver à l’extérieur et de jouer une finale ou une demi-finale pour la prochaine CAN. L’idée, c’est la progression avec beaucoup de nouveaux joueurs. Ils doivent connaître ça.

En Algérie, le concept de match amical ne semble pas exister. Votre parcours en qualifications pour la CAN est très bon mais la pression est revenue avec le récent match nul contre la Tanzanie (0-0). Comment vit-on avec toute cette pression?

Je ne pense pas que la pression soit populaire. Depuis mon arrivée il y a cinq ans, il y a eu un avant CAN 2019, un an pendant la CAN 2019, après la CAN 2019. Là, on la gagne et ça n'a toujours pas enchanté certains. Ce n'est pas le peuple dont on parle. Je n'ai pas trop envie d’entrer dans une polémique. On a terminé le dernier match du groupe de qualification de la Coupe d’Afrique. On était à cinq victoires sur cinq, 15 points pris sur 15 possibles. Sur ce dernier match, on avait quasiment une équipe de U23, des gamins, une équipe de joueurs qui découvrent la sélection. Il n’y avait qu’un seul champion 2019, Aïssa Mandi. Tous les autres joueurs étaient des nouveaux capés. Quand on joue avec beaucoup de jeunes pour qui c'est la première sélection, qui n'ont pas l'habitude de travailler ensemble, surtout avec deux jours de travail avant un match, ce n’est pas bon, on ne peut pas tout gagner. C'est un choix. Si j'avais voulu jouer avec ceux qui ont l'habitude de jouer, j'ai la prétention de penser que ce match, on aurait pu l'emporter. Mais je n’aurais pu tirer aucun enseignement. Et quand est-ce qu’on intègre ces joueurs-là ? Certains font exprès de ne pas comprendre. On est la seule équipe africaine à avoir pris 16 points sur 18.

Vous estimez que votre travail est jugé trop sévèrement ces derniers temps?

Non, pas ces derniers temps (rires). Depuis le premier jour où j'ai mis le pied en sélection.

On avait l'impression que jusqu'à 2019, il y avait une sorte d'unanimité autour de vous….

Non, mais je ne parle pas de la population mais des commentateurs de football. Et pas tous. Mais ces choses glissent sur moi. Le plus important, c'est de voir l'évolution des joueurs, de l'équipe, de se préparer. C'est ça mon travail. Le reste, c'est parallèle. On fait le travail, on est obligé d'être coopératif, mais pas plus que ça. Ça ne m'empêche pas de dormir.

Comment retrouver la cohérence au sein de votre équipe comme au début de votre mandat ? Est-ce que ce match amical contre le Sénégal mardi va vous permettre de voir si cette équipe peut concurrencer les grosses nations à la CAN?

C'est l'objectif. On a gagné en 2019. On a été invaincus jusqu'en janvier 2022. Il ne faut donc pas s'arrêter à cette date de 2019. Jusqu'en janvier 2022, on a disputé beaucoup de matchs, des gros matchs, des matches contre des équipes sud-américaines, toutes les équipes africaines… Après, il y a ce qu’il se passe à la CAN. Ce serait très long et très compliqué à décrire. C’est un échec. Se faire sortir au premier tour quand on est champion d’Afrique, ce n'est pas du tout ce qu'on attendait. Trois mois plus tard, on joue le Cameroun (en barrages pour la Coupe du monde 2022). Je n'ai pas envie de recréer des polémiques. On va battre le Cameroun là-bas. A domicile (défaite 2-1), il se passe ce qu’il se passe (les Algériens ont critiqué l’arbitrage, ndlr). Je n’ai pas envie de nourrir la polémique. Le match nous échappe avec beaucoup, beaucoup d'événements parallèles et qui duraient depuis un certain temps. On a un statut. On a enchainé 35 matches sans défaite. Je crois qu'il n’y a que l'Italie qui a fait mieux dans l'histoire du football. On est vraiment attendu partout. L'adversité est de plus en plus coriace. En Afrique, c’est difficile, il n'y a plus de petites équipes.

Oui mais qu'est-ce qu’il manque aujourd'hui à l’Algérie?

Déjà il y a eu un long parcours qu’il ne faut pas résumer à la CAN 2019. Il a duré jusqu’en 2022. Ensuite, des joueurs ont terminé un cycle. Une nouvelle génération arrive. Notre objectif est de régénérer ce groupe. On voit beaucoup de sang neuf. Et en masse. On a eu rapidement des résultats. Dans le groupe de qualifications, c'est cinq victoires et un match nul sur six matchs en intégrant beaucoup de jeunes. Ça prend du temps. Une mutation est en train de s'opérer.

On est donc dans une période de transition…

Il faut que ça prenne rapidement. C'est vrai. Je trouve qu'ils s'en sont bien sortis sur le match (contre la Tanzanie). Les conditions de jeu étaient vraiment très difficiles. Le terrain était vraiment très difficile. Il y a encore eu un arbitrage qui nous a fatigués. C'est une problématique en Afrique pour des équipes qui veulent jouer. On a eu 80 % de possession de balle. On n'a pas réussi à trouver la faille. C’est une équipe qui a refusé de jouer. Tout ça, ce sont des éléments qu'on va retrouver dans l'avenir.

Comment régler ces problèmes?

Il faut persévérer, jouer des matchs comme celui-là. On savait qu'on allait trouver une équipe de Tanzanie regroupée derrière, qui allait refuser le jeu. L’équipe du Sénégal va venir nous chercher, va nous opposer un rapport de force. On a deux tendances. Il faut progresser là-dessus. A partir du moment où on a à peu près 80 % de changements de groupes entre 2019 et aujourd'hui ça ne se fait pas du jour au lendemain. On peut décider de rester avec des cadres, des mecs qui ont la trentaine et on tire jusqu'au bout mais ce n’est pas ce qu'on veut en Algérie. Moi non plus je ne le veux pas. Le but, c'est d’intégrer des joueurs de qualité et qui progressent avec ces matchs là. Avec des dates Fifa, on a deux jours pour travailler avant un match. On a un groupe en reconstruction quasiment totale. Ce n'est pas facile, mais on reste très optimiste.

En 2018, vous aviez prédit la victoire de l'Algérie pour la CAN 2019. Quel est votre objectif pour cette CAN 2024?

À partir du moment où on sort au premier tour de la dernière CAN, je trouverais osé et malvenu d'aller dire : « Je vais aller gagner la prochaine. » On va donc faire preuve d'humilité. On va y aller avec des objectifs, c'est certain, entre nous. La culture de la gagne m'obsède donc…

Mais quel votre objectif à vous?

La gagne m'obsède. Je ne peux pas me dire mieux.

Comment se prépare-t-on à affronter la pression quand on est sélectionneur de l’Algérie?

On a un peuple qui est vraiment passionné de football, avec une vraie culture de football depuis tous les temps. Avant d'être entraîneur ou sélectionneur, j'ai été joueur de cette équipe. Et depuis tout petit, je suis un amoureux de l'équipe nationale. J'ai été là-dedans depuis que je suis tout petit. Je passais mes vacances en Algérie, j'avais neuf ans, dix ans… C'était la Coupe du monde 86.

Il y a aussi la CAN 1990...

Une CAN qu'on a gagnée. Tout ça fait partie de mon histoire et de mon vécu. Je suis devenu joueur (de l’équipe nationale), c’est une fierté extraordinaire. Puis capitaine et entraîneur. Il y a des événements difficiles, notamment cette élimination de la Coupe du monde qui était notre objectif absolu. Ça a été un vrai choc pour nous. Pour moi en particulier. C’était facile pour moi, à ce moment-là, de partir. De dire « écoutez, il y a eu de très bonnes choses. On a gagné une CAN à l’extérieur de notre pays, c'est historique. » Mais déjà on ne m’a pas demandé de partir. Si on m'avait demandé, il n'y avait pas de problème, c'était à la Fédération. Je peux aller vers la facilité et retourner dans des clubs, il n’y a pas de souci. Ça a bien marché dans les clubs et même avec l’équipe nationale du Qatar, tout a bien marché. Je peux retourner dans cette région, en plus c’est la mode en ce moment. Mais moi je suis obsédé par l’envie de faire en sorte que le peuple soit heureux, soit fier de son équipe nationale.

Que pensez-vous du projet lancé par l’After d’un match Algérie-France?

Ce projet était sur la table à l’époque de Monsieur Zetchi et de Monsieur Le Graët. Ils s’étaient rencontrés plusieurs fois. Le Graët en avait parlé, au moins en privé à Monsieur Zetchi mais aussi publiquement. C’était quelque chose qu’il voulait vraiment faire. Nous, aurait été d’accord, ne serait-ce que pour l’aspect compétitif, pour se jauger. Affronter les finalistes de la dernière Coupe du monde, l’une des meilleures équipes du monde… Nous on veut jouer contre les meilleurs. En allant jouer au Sénégal (en match amical mardi à Dakar, ndlr), on ne cherche pas la facilité. Jouer contre la France oui… il y a beaucoup de binationaux, on a tous un lien avec la France. C’est un match que beaucoup voudraient voir un jour.

A propos des joueurs binationaux, pouvez-vous nous confirmer que Gouiri et Larouci ont choisi de jouer pour l’Algérie?

Amine Gouri a déjà changé sa nationalité sportive. Ce n'est un secret pour personne, c'est officiel. Pour Yasser Larouci, je pense que c'est en bonne voie. Normalement il devrait être sélectionné.

Quid de Youcef Belaïli qui se prépare bien avec le MC d’Alger selon son coach Patrice Beaumelle?

Je suis son évolution. J'ai les informations qu'il faut. C'est un joueur très talentueux. A lui de se mettre à la disposition du club, de vraiment bien bosser, de ne pas commettre les erreurs qu'il a pu faire dans le passé. En tant que sélectionneur national, on ne peut pas ne pas suivre son évolution. On verra. Le championnat va démarrer dans pas longtemps. En tout cas, bonne chance à lui, au Mouloudia d'Alger et à son entraîneur.

Merci Djamel…

Je voudrais juste passer mes condoléances à tous les proches de ceux qui sont décédés durant le tremblement de terre au Maroc. Leur dire qu'on est de tout cœur avec eux.

Article original publié sur RMC Sport