"Ce que Fabien fait, ça dépasse le simple rugby": le navigateur Thomas Coville raconte son Galthié à lui

"Ce que Fabien fait, ça dépasse le simple rugby": le navigateur Thomas Coville raconte son Galthié à lui

Thomas, quand rencontrez-vous Fabien Galthié pour la première fois ?

Aux Etoiles du sport en 2013. C'est un endroit où de façon très transversale, que ça soit en interdiscipline, que ça soit intergénérationnel, des athlètes se rencontrent et échangent leurs expériences, leurs victoires, mais surtout leurs échecs. Et avec Fabien, ça "matche" tout de suite. Je le trouve d’une telle pertinence et d’une générosité dans le témoignage que je suis tout de suite séduit et qu’on va parler le même langage. Il nous fait l'exercice du blason. Dans un dessin, et chacun est très naïf dans sa manière de dessiner, il faut que tu traduises qui tu es, ton parcours, ta vision, là où tu veux aller et ta manière d'y arriver. Et j'ai adoré cet exercice. Ça m’a retourné parce qu'après tu es devant tout l'auditoire et tu expliques en quelques phrases ce que veut dire ton blason. Et lui, il a une éloquence à ce moment-là, qui fait partie des grands hommes et qui fait partie des leaders. Il capte mon attention, et après on se revoit le soir de façon plus informelle.

>>> Suivez France - Nouvelle-Zélande en direct

À cette époque, que saviez-vous de lui ?

À ce moment-là Fabien Galthié est passé entraîneur et il est plutôt dans une phase difficile. Il traduit ce qu'il connaît très bien, d'avoir été au sommet, d'avoir été le meilleur joueur du monde, d'avoir été le capitaine des Barbarians, d'avoir été très sollicité, d'avoir été un leader sur le terrain... Il a cette volonté de maintenant passer de l’autre côté et de transmettre à d'autres joueurs et à une nouvelle génération. Et ce n'est pas si facile parce qu’il a des méthodes très différentes. Il a une vision qui est déjà très novatrice et on a du mal à lui faire confiance à ce moment-là. Donc il est dans le doute et pour autant, il sait que c'est là qu’il veut aller et que personne ne l'empêchera d'aller à cette endroit-là.

Vous vous revoyez ensuite régulièrement...

Il me rappelle et on voit bien qu'on s'est bien compris. Quand il démarre son projet et qu’on lui donne les rênes du XV il a cette idée de faire venir des gens de l'extérieur qu'il appelle les grands témoins. Je dois être dans les premiers qui vont à Marcoussis et qui rentrent dans le saint des saints du XV où il veut vraiment tout changer. Et puis lui vient à bord de mon trimaran Sodebo et il s'expose. Il vient essayer de comprendre mon monde aussi. Et là, on se découvre pas très à l'aise dans le milieu de l'un et dans le milieu de l'autre et il y a du coup un respect aussi qui se crée d'échanger dans le contexte de l'autre. Et là ça a marqué aussi je crois un "step”. Il s’est rendu compte de ce que je faisais, ce que ça engageait, et moi je me suis rendu compte de ce qu'il était en train de faire, de ce que ça allait générer. J'avoue que ça a été très puissant.

Quel est le message qu’il envoie à ses joueurs ?

Tous les gars ont senti qu’il avait une vision différente et qu'il allait les emmener à un endroit. Il avait plusieurs étapes. Il en a parlé, il l’a réalisé. Il a eu une stratégie incroyable avec les clubs. Cette petite guéguerre qu’il y avait entre le XV et les clubs, il l'a dénouée. Et au contraire, il en a fait un atout. Il a été chercher des nouveaux joueurs. Il s'est inspiré de cette génération qui avait gagné 2 fois la coupe du monde des U20. Il est allé les chercher en leur disant c’est avec vous qu'on va construire un projet sur du long terme, donc il croit aux gens sur le long terme. Il est capable de parler à un groupe et à la fois il fait mouche sur chacun en particulier, et singulièrement. Donc il a cette finesse de comprendre les gens. Et il les comprend dans le mouvement. Il décrypte chez chaque athlète, quand il les voit sur le terrain, que leurs corps parlent. Et après l'entraînement il va les chercher, que ça soit avec Karim (Ghezal) ou avec "la bûche" (William Servat) ou tout son staff, et il leur dit : "lui il faut l'emmener là, lui il faut l'emmener là". S’il peut gagner cette Coupe du monde ça sera sur des moments de crise.

Et à chaque fois qu'il y aura une crise, il les a prévenus : voilà comment on fera et il ne faudra pas que vous soyez déstabilisés. Et c'est ça qu'il arrive à faire. Les joueurs qu’il a sélectionnés ont cette autonomie de ne plus être téléguidés comme je pense les égos des anciens sélectionneurs avaient de vouloir garder la mainmise, même quand ils étaient sur le terrain. On voit du coup des gens s'épanouir. On voit des gens se transcender. J'adore cette démarche parce qu'elle est à la fois collaborative, à la fois très respectueuse des autres, très généreuse, très visionnaire. Par contre, c'est dur pour lui de toujours avoir un temps d'avance. Il est toujours sur le coup d'après. C'est ça qui le rend déstabilisant dans une interview à la fin de match parce qu'il a du mal à se concentrer sur le fait qu'on lui pose une question sur ce qui vient de se passer alors que lui il pense déjà à la suite. La vision qu’il a est déjà ailleurs donc il est souvent en décalage. Les gens qui ne comprennent pas ça passent à côté de Fabien Galthié.

''Amener à une génération quelque chose de différent''

Est-ce qu’il vous a dit qu’il souhaitait être champion du monde ?

Je pense qu'il l'a au fond de lui... (il réfléchit) Il a véritablement une vision un peu plus que d’être champion du monde. Je pense qu'il a envie d'amener à une génération quelque chose de différent. Il va se servir de cette Coupe du monde pour les emmener à un endroit qui est encore, qui est encore plus haut. Être champion du monde n'est pas une fin en soi mais c’est un moyen. Et c'est ça qui fait qu'il a des chances d'y arriver. Mais vous ne l'entendrez jamais dire “je vais être champion du monde”. Vous ne l'entendrez jamais avoir ce cri d’orgueil. Il sait trop ce que sait. Il sait trop que l’Afrique du Sud est très forte. Il sait trop que les Anglais sont revanchards. Il sait trop qu’il y a pleins de surprises possibles dans une Coupe du monde. Ça se gagnera sur le fait d’être capable de rebondir à l'imprévu. Ça ressemble tellement au ballon ovale, tu ne sais jamais comment il va rebondir. C'est ça qui nous plaît.

Je pense qu'il a cette poésie-là et il était fait pour ce ballon-là. Sa vie est un rebond incertain. La vie est un rebond incertain. Et il a envie d’emmener ces garçons-là, ce sport, cette fédération. Et je pense qu'il a même une vision assez chevaleresque, emmener même un pays. Il ne te le fait jamais sentir comme s’il avait une mission. Il n’est pas du tout messianique. Pas du tout. À la limite, et c’est ça que j'adore, il n’est pas prosélytiste. Le mec qui n’a pas envie de suivre son truc, il ne reste pas.

Quand vous le découvrez il y a une dizaine d'années il est un peu en difficulté dans les clubs où il passe. Certains laissent entendre que son extrême rigueur pouvait tendre vers un management autoritaire...

(Il coupe) C'est du pipeau ça. Ce sont juste les présidents de club qui avaient du mal à cerner et qui avaient du mal à lui laisser carte blanche. La grande réussite de Bernard Laporte, alors qu'il avait un égo gros comme ça, il avait été sélectionneur du XV, il a compris que s'il voulait que ça matche il fallait qu’il lui fasse confiance de bout en bout. Bravo. On peut tout reprocher à monsieur Bernard Laporte mais pas ça. Et tous les clubs où il est allé avant, les mecs voulaient encore avoir la mainmise. Ils voulaient le contrôler, ils voulaient le maîtriser Il était aussi un peu le coupeur de citrons de Jacques Brunel. Quand je vois que le XV de la Rose s'est débarrassé de monsieur Jones parce qu'il était aussi trop exigeant et que là maintenant il a rebasculé avec les Australiens pour remonter et reconstituer quelque chose. Si t'es le meneur du projet et que tu n'as pas l'exigence, tu n’as rien à faire là.

Le haut niveau, c'est forcément exigeant. Si tu commences à rentrer dans la complainte ou dans le sur-mesure pour chacun et tout ça... Mais les joueurs ne demandent pas ça. Ils demandent à avoir un cadre précis du groupe, un cadre précis où ils doivent être eux dans le groupe, leur place. Et ils veulent avoir une vision sur du long terme. Pas très compliqué. Et Fabien leur apporte ça. À Nantes contre les Fidji il a été capable de construire la suite avec des garçons qui n’allaient pas être gardées en sélection. Donc tous les mecs savent qu'avec Fabien Galthié c'est du long terme et qu’ils reviendront ou qu’ils auront de nouveau leur chance. Et là il le prouve tous les jours. On a tous été choqués que Ntamack ne soit plus là, Jaminet il lui donne sa chance. Jaminet contre l’Australie il est fantastique. Là où il est très fort aussi c'est qu'il sait penser néo-zed, il sait penser Afrique du Sud, il sait penser fidjien, il sait penser anglais... C'est comme quand un pêcheur dit, il faut penser comme un poisson. Il pense comme l'autre et il arrive à les décrypter. Ça je ne sais pas faire.

Comment vous décryptez les mots de Fabien Galthié après l’Australie: “Maintenant on rentre dans une autre dimension”?

Ce qu'il ne voulait pas Fabien, c'est dévoiler la stratégie avec les joueurs qu’il allait avoir. Il ne fallait pas dévoiler toutes les combinaisons. Tout est décrypté, tout est décodé : les touches, les mêlées, la stratégie est numériquement toute décodée. Il ne voulait pas tout livrer et il ne l’a pas fait ça c’est certain. Quand Penaud essaye une première fois de taper, d'être à la réception et qu’il n'y arrive pas. Pour qu’il s'offre la possibilité de le faire une deuxième fois, c'est que les mecs ont une confiance en eux de malade. Il leur a donné ça. Ils sont partis du fond du trou pour avoir une confiance incroyable. Et ils sont en train de monter crescendo. Mais je pense que ça dépasse le simple rugby ce que Fabien Galtié fait. Il est en phase avec une époque et une génération. Il a compris à la fois le fait que ça soit numérique. Il a compris qu'il fallait un dialogue, mais que ça soit basé sur des choses tangibles.

Encore une fois, il est visionnaire. Il est long terme. Il fait confiance. Il les responsabilise. À la limite, aujourd'hui, c'est ça qui va les rendre forts aussi, c'est que comme ils sont dans cet état d'esprit, dans cette vision commune, ils se sont enlevés la pression du résultat de la Coupe du monde. Quoi qu'il arrive, ils sont déjà dans quelque chose de différent et quelque chose qui les dépasse. Et qui vont, pour chacun d'entre eux, leur faire vivre quelque chose d'exceptionnel. Et si tu veux amener un groupe qui gagnera un trophée, faut déjà les mettre dans cette spirale-là. C'est toujours mieux d'avoir la timbale. On est des compétiteurs, on a besoin de la reconnaissance, de la timbale. Il faut voir l'impact que ça a même auprès du grand public. Le grand public ne s’y trompe pas. Ça a effacé le football. Aujourd'hui on parle plus du XV que de Paris 2024. Ça montre que c'est sociétal. Il cristallise quelque chose qui le dépasse lui-même. C'est ça qu’il voulait faire.

Qu’auriez-vous envie de lui dire à la veille du match d’ouverture ?

Je l’ai eu par texto. Ils savent jouer tous les rugbys. Je suis inconditionnel avec lui... (il réfléchit) Je serai là quoi qu’il arrive. Je n'ai pas besoin de savoir avant pour être déjà heureux et dans la conscience que je vais vivre grâce à lui, grâce à eux, un moment qui va marquer mon histoire personnelle. Comme il l'a fait, j’ai chaque fois envie de le prendre dans mes bras et lui dire merci.

Article original publié sur RMC Sport