Droits TV: comment les différents médias se préparent aux négociations en direct

Droits TV: comment les différents médias se préparent aux négociations en direct

Depuis le résultat infructueux de l’appel d’offres des droits TV, une nouvelle séquence s’est ouverte où tout est remis à plat. Les négociations en direct débutent entre la LFP et les différents acteurs avec une grande liberté d’action dans les discussions. Même si le secret est de mise dans cette période stratégique, RMC Sport tente de décoder le positionnement des candidats les plus intéressés par le produit Ligue 1.

La "hype" DAZN qui préoccupe

C’est le média qui a le plus fait parler de lui avant l’appel d’offres. Nouvel entrant sur le marché français, les dirigeants de la plateforme britannique ont multiplié les contacts dans le milieu médiatique français qui traite de football. DAZN a réalisé un bon parcours qualitatif lors de l’appel d’offres avec un dossier complet déposé au cabinet d’avocat de la LFP Clifford Chance. Les dirigeants de DAZN souhaitaient vraiment présenter leur savoir-faire déjà à l’œuvre dans d’autres pays européens (Allemagne, Espagne, Italie), montrer le sérieux de leur dispositif éditorial et surtout rassurer sur l’aspect économique avec leur garantie financière (appuyée par leur actionnaire Leonard Blavatnik) qui a été validée par les experts de la Ligue. Mais ils n’ont pas voulu aller plus loin et refusé de participer aux enchères financières. Cela a fait grincer des dents au sein de la LFP. "On s’attendait vraiment à ce qu’ils misent financièrement après leur exposition médiatique avant l’appel d’offres" souffle-t-on en interne.

Les dirigeants de DAZN sont très intéressés par le produit Ligue 1, par le marché français qu’ils souhaitent investir mais ils ont des limites comme l’avait récemment rappelé le CEO Shay Segev. Pas question de jeter de l’argent par les fenêtres. Le prix de réserve était trop élevé selon eux. DAZN souhaite participer aux discussions en direct avec la Ligue et continue en parallèle de négocier des partenariats de distribution notamment sur les box. Après Bouygues, DAZN vient de signer avec SFR. Un accord avec Orange et Free devrait suivre. Autant d’accords permettant à DAZN d’être le plus accessible possible. "Cela montre aussi que l’on n’est pas téléguidé par Canal +", explique une source proche de la plateforme. "Nos intérêts sont effectivement très alignés avec eux mais chacun reste indépendant. On négocie d’abord pour nous et après on voit comment cela pourrait éventuellement s’articuler avec Canal+."

Mais DAZN irrite en coulisses. Une source d’un autre acteur intéressé par les droits confie: "La Ligue doit vraiment se méfier de ce nouvel entrant. Sa situation financière pose question. Des problèmes opérationnels ont été remontés sur les différents territoires où ils sont implantés. Ils n’ont aucune connaissance du marché français. Et on ne connait pas exactement leur objectif stratégique à long terme." Une inquiétude aussi partagée par plusieurs membres du Conseil d’Administration de la LFP qui craignent un scénario à la MediaPro.

BeIn : du Premium mais rationnel

BeIn Sports est le seul acteur à s’être positionné sur les 5 lots proposés par la LFP sans participer là non plus aux enchères financières. Du côté de BeIn on se défend en expliquant qu’il était important de montrer l’attachement de la chaine qatarie au foot français qu’elle diffuse et finance depuis 2012. Enfin rentable depuis notamment son accord de distribution exclusif avec Canal qui lui rapporte plus de 200 millions d’euros par an, BeIn souhaite poursuivre sa stratégie d’exploitation de droits sportifs Premium "mais en restant rationnel et proportionné", précise-t-on en interne. Là aussi, on juge le prix affiché par la Ligue pour les différents lots trop élevé d’où l’absence de mise financière. Cela a d’ailleurs frustré la LFP qui était convaincue que la chaine qatarie allait participer aux enchères puisque, selon nos informations, une lettre signée de Youssef Al-Obaïdly avait été jointe au dossier qualitatif et insistait sur les liens forts qui unissent BeIn à la Ligue.

Malgré ce rapport de confiance, la chaîne qatarie n’a pas compris la stratégie de rendre public les prix de réserve. Un positionnement qui, selon elle, ne pouvait que freiner les acteurs surtout depuis l’annonce fracassante du retrait de Canal+ de l’appel d’offres. BeIn Sports est ouvert aux discussions en direct avec la Ligue, dans un cadre budgétaire stricte, comme elle lui a fait savoir après l’échec de l’appel d’offres.

La grande inconnue Amazon

C’était l’une des surprises de l’appel d’offres. Le diffuseur principal de la Ligue 1 (7 matchs sur 10 par journée) n’a déposé aucun dossier qualitatif et donc encore moins de mises financières. Même si la firme américaine se refuse à tout commentaire, en interne on répète qu’aucune folie ne sera faite sur ce marché des droits de la Ligue 1. Selon une source proche de Prime Vidéo, le courrier de Maxime Saada PDG de Canal pour annoncer qu’il ne participerait à l’appel d’offres a clairement refroidi la position chez Amazon.

Bien conscients que le contrat actuel (250 Millions/an pour 80% des matchs) était une formidable opportunité saisie en 2021 pour booster la communication du géant de l’e-commerce, les dirigeants se posent clairement la question de la valeur du produit d’appel Ligue 1 pour attirer de nouveaux clients à son programme de livraison Prime. "Ce sera impossible d’avoir autant et aussi bien pour ce prix-là" juge une source proche du dossier. "En plus, la Ligue 1 n’est pas stratégique pour eux. On n’a pas l’impression qu’ils soient très motivés. Il ne se plieront pas en quatre pour garder la Ligue 1." Extrêmement discret, Amazon n’a d’ailleurs jamais communiqué le nombre d’abonnés à son Pass Ligue 1 ni ses audiences. Une grande part de mystère entoure donc toujours sa stratégie.

Canal en observateur du marché, limité financièrement?

C’est l’acteur historique qui a mis le feu trois semaines avant la réception des dossiers de l’appel d’offres. Dans un courrier envoyé le 25 septembre à Vincent Labrune, le PDG de Canal Maxime Saada accuse la Ligue de manquer de respect à la chaine cryptée et lui annonce donc qu’elle ne participerait pas à son appel à candidatures. Canal a usé de sa position centrale et historique sur le marché des droits pour influencer les autres acteurs en les incitant à ne pas miser d’argent sur les lots de la Ligue et a tiré le marché vers le bas.

Depuis cet épisode, la plupart des salariés montre une grande confiance en leur patron Maxime Saada, qui se retrouve, selon eux, en position de force. Canal se positionne pour l’instant en retrait, en observateur du marché, en espérant que les négociations trainent dans le temps pour accentuer la pression sur la LFP. La stratégie de Canal devrait s’articuler autour des partenariats de distribution qu’elle a notamment conclu avec DAZN et BeIn Sports. "Car financièrement, Canal n’a pas beaucoup de marge de manœuvre", explique une autre source. "La saison prochaine les droits des Coupes d’Europe vont lui couter 480 millions d’euros par an. C’est énorme. Pas sûr qu’ils pourront mettre beaucoup sur la Ligue 1, indépendamment des prix du marché. Leur levier, ce seront donc les partenariats de distribution et les possibilités de sous-licence." Si un acteur comme DAZN venait à récupérer un droit de Ligue 1 qui intéresse Canal comme le match du dimanche soir, la chaine cryptée pourrait lui proposer par exemple un échange avec une partie de la Coupe d’Europe.

La LFP laisse pour le moment retomber la pression de l’appel d’offres infructueux. Elle ne se montre pas pressée par un timing précis puisqu’elle dispose théoriquement de plusieurs mois pour aboutir à un accord global (avant le début du prochain championnat l’été prochain). La plupart des candidats est d’ailleurs déjà revenue vers elle dès le mardi 17 octobre quelques heures seulement après l’échec de l’appel d’offres. Preuve de leur volonté de rentrer rapidement maintenant dans le cœur des négociations.

Article original publié sur RMC Sport