TOUT COMPRENDRE - Pourquoi l'interdiction du fluor plonge le monde du biathlon dans un flou total

TOUT COMPRENDRE - Pourquoi l'interdiction du fluor plonge le monde du biathlon dans un flou total

Huit mois après la dernière étape de Coupe du monde à Oslo (Norvège), le biathlon est de retour ce week-end à Östersund (Suède) pour une saison qui s’annonce particulière à plus d’un niveau. Au-delà des enjeux sportifs du Gros Globe de cristal (remis en jeu par Johannes Boe chez les hommes et Julia Simon chez les femmes), une nouvelle règle entre officiellement en vigueur à partir de l’hiver 2023-2024: l’interdiction du fluor. RMC Sport vous explique les détails de cette révolution pour le cirque blanc.

· Pourquoi utilisait-on du fluor sous les skis?

Produit hydrophobe utilisé pour favoriser la glisse des skis sur la neige, le fluor était l’élément de base de toutes les techniques de fartage mais a été proscrit par les Fédérations pour des raisons de santé et environnementales. Avec son interdiction, c'est tout une profession - celle de farteur - qui doit se réinventer.

"Ça change beaucoup de choses. Le fluor est arrivé dans les années 1984-85. C'est vraiment une molécule qui est très hydrophobe, donc dès qu'on a de l'eau dans la neige ça la repousse et c'est d'une efficacité jamais égalée, affirme Grégoire Deschamps, le responsable de la cellule glisse de l'équipe de France de biathlon. Ce qui va changer déjà, c'est que dès qu'on va avoir des conditions avec de l'humidité dans la neige, les vitesses vont être moins élevées qu'avant."

Pour sa 18e saison de Coupe du monde, Grégoire Deschamps repart "d’une page blanche" et doit laisser de côté toute l’expérience qu’il a créée "sur l'ensemble de ces produits, les combinaisons, la neige tombante qui arrive au dernier moment" sur tous les sites de la Coupe du monde.

• Quelles conséquences sur les performances des biathlètes?

La vitesse sur les skis devrait être largement diminuée, avec probablement une forte augmentation des temps de passage des biathlètes. “Sur des conditions vraiment mouillées comme on a eu à Oslo l'année dernière, je pense que c'est une minute en plus par boucle (2,5 km pour les filles et 3 km pour les hommes). Normalement, ils mettent entre six et sept minutes selon la vitesse de la piste. Ce sera autour de sept à huit minutes”, selon Grégoire Deschamps. Reste à savoir quel impact cela aura sur les "fusées" du circuit comme Johannes Boe, Elvira Öberg, Julia Simon ou Justine Braisaz-Bouchet.

· Quel est le coût total de l’interdiction du fluor?

La Fédération française a déboursé environ 100.000 euros, dont 32.000 euros pour l'achat de la machine pour détecter le fluor. "C'est un gros budget, avoue Grégoire Deschamps. Mais ça nous permet aussi d'avoir du contrôle sur ce qu'on fait. Sans cette machine là, on aurait fait un protocole de nettoyage, mais on n'est pas capable d'évaluer. Certains skis demandent trois nettoyages, d'autres six. On ne sait pas pourquoi." 70.000 euros ont également été investis dans l’achat des nouveaux produits sans fluor et du petit matériel.

· Quel est le processus de contrôle des skis?

Avant chaque course, tous les skis seront testés. Ils devront être déposés 30 minutes avant dans la "Fluor test station". À Östersund, il s'agit d'une tente en extérieur avec quatre machines identiques, des spectromètres "Brukers Alpha II FT-IR". Le test prend environ deux minutes par paire de ski. Les skis seront également retestés à l'issue de la course. Si le résultat est au-dessus du niveau autorisé, le ski est testé de nouveau sur une autre machine.

"La machine est assez simple. Elle envoie un rayon, c'est un spectromètre de masse qui vient mesurer la valeur en fluor du ski. La difficulté, c'est que 1% c'est très très bas. Donc il faut avoir un nettoyage parfait. Le problème du fluor est que c'est très volatile. La moindre attache, une brosse qui a mal été nettoyée, la moindre petite chose peut contaminer le ski et être dans des valeurs à 2%. Donc 2% ce n'est pas une triche volontaire de la nation. C'est une petite contamination, c'est un petit truc. Pour moi la triche c'est du 15-20%", poursuit le responsable de la cellule glisse de l'équipe de France de biathlon.

· Quelle est la limite autorisée et quelles sont les sanctions encourues?

La limite autorisée est de 1% de fluor (entre 25 et 30% sur une paire de ski de course l’an dernier, ndlr). Au-delà de 1%, une marge d'erreur est autorisée entre 1,01 et 1,8%. Le biathlète reçoit alors un carton jaune (un avertissement officiel) si le taux est dans cette moyenne, deux cartons jaunes consécutifs donnant lieu à un carton rouge. Si la moyenne est au-delà de 1,8%, c’est un carton rouge. Au premier carton rouge, l'athlète a la possibilité de changer une fois de skis. Il ne peut y avoir qu'un seul carton rouge dans la saison par athlète. Au deuxième carton rouge, l'athlète est directement disqualifié pour la course.

S’il est conscient qu’il y a "un petit doute" sur la fiabilité, Grégoire Deschamps est convaincu que "tout le monde va un peu trembler sur les premières semaines" lors des contrôles. "D'une manière générale, c'est cohérent, mais le problème c'est que même s’il n'y a que 1% de temps en temps qui n'est pas cohérent, ça peut nous tomber dessus. Pour l'instant, on marche un peu sur des œufs. Mais c'est le début, il faut se lancer et d'ici quelques semaines on sera bien plus rodés."

· Des nations vont-elles être favorisées?

Les équipes ont chacune travaillé dans le plus grand secret, si bien que personne ne sait les produits qui seront utilisés par ses concurrents. Cette nouvelle réglementation va-t-elle favoriser certaines grosses nations aux budgets plus étoffés? Ou au contraire, une nation autrefois mineure va-t-elle prendre le pouvoir sur cette saison de biathlon par la grâce d'une recette miracle? Le Norvégien Johannes Dale n’a pas hésité à lancer le grand bluff.

"Je serais extrêmement inquiet si j’étais un biathlète étranger. C’est à la limite de l’embarras", expliquait-il à TV2.

Les premiers relais de la saison ce samedi sur la piste suédoise (12h30 pour le simple mixte et 14h50 pour le mixte) donneront les premières indications.

Article original publié sur RMC Sport