Boxe: puissance, vitesse, précision, technique… Pourquoi Naoya Inoue est un boxeur quasi parfait

La formule claque comme une sentence de mauvais moment à passer pour ses adversaires. Ancien champion du monde des mi-mouches, Brahim Asloum connaît bien les petites catégories de la boxe. Mais pour résumer qui est Naoya Inoue, opposé ce mardi à Marlon Tapales pour devenir le champion incontesté à quatre ceintures des super-coqs après l'avoir fait chez les coqs en décembre 2022, le champion olympique 2000 convoque les mastodontes du noble art: "Si on doit comparer, heureusement que les poids lourds n’ont pas cette puissance par rapport à leur poids… A poids égal, ça tape plus fort que Deontay Wilder, plus fort que Mike Tyson. C’est totalement incroyable."

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Le magazine de référence The Ring, dont il a été le premier Japonais à faire la couverture, l’avait désigné dès 2018 comme "le plus gros puncheur du milieu". Tout sauf une fanfaronnade. Seuls Deontay Wilder, ancien champion WBC des lourds, et Artur Beterbiev, l’actuel champion WBC-IBF-WBO des mi-lourds, semblent capables de tenir la comparaison. Mais ils sont bien plus gros… Naoya Inoue ou un petit qui dézingue comme les grands, voire plus fort. "Son rapport poids-puissance est hors normes, pointe Brahim Asloum. On n’a plus vu ça depuis un certain Manny Pacquiao. On est face à un phénomène."

Match à distance avec Crawford

Super-coq de combat, 55,3 kilos maximum sur la balance au moment de la pesée, le Japonais sacré champion du monde dans quatre catégories différentes est un boxeur au presque parfait. Peut-être bien le meilleur de la planète toutes catégories confondues – votre serviteur le pense – même si beaucoup lui préfèrent l’Américain roi des welters Terence Crawford. Au pire, les spécialistes le classent deuxième ou troisième.

"Il fait partie des plus grands aujourd’hui, si ce n’est le plus grand, en technicité pure", poursuit le champion olympique 2000. "Sincèrement, il n’y a pas plus parfait, plus impactant, plus intelligent dans sa manière de boxer. Il est hallucinant."

Mais qu’est-ce qui rend le "Monster" si spécial? C’est simple. Tout. A commencer par sa puissance terrifiante qui lui a valu son surnom. La chose avait commencé chez les amateurs, une boxe qui ne favorise par l’idée d’éteindre la lumière, surtout dans les petites catégories. Résultat? 48 KO en 75 victoires (contre 6 défaites)! "C’est une dinguerie, et même bien plus que ça", sourit Brahim Asloum. La destruction continue chez les pros: 25 combats, 22 KO/TKO/abandon, dont 18 en 20 sorties pour un titre planétaire. Les exemples font froid dans le dos.

L’expérimenté Omar Narvez pour sa première en super-mouches titre WBO à la clé? Champion depuis quatre ans et demi, battu une seule fois en 45 combats, l’Argentin mord la poussière en moins de deux rounds. Ses trois premiers combats chez les coqs? Des boucheries. Invaincu depuis 22 sorties, le Britannique Jamie McDonnell explose en moins d’un round. Jamais mis KO, le Dominicain Juan Carlos Payano ramasse celui qui sera "KO de l’année" pour The Ring en moins d’un round. Invaincu et jamais mis à terre chez les pros, le Portoricain Emmanuel Rodriguez qui explose en moins de deux reprises après avoir été mis... trois fois au sol. Wow, comme on dit.

Chez les coqs, seul Nonito Donaire a réussi à atteindre la décision des juges (mais en faisant un tour au sol). Avant de se faire déglinguer au deuxième round après avoir été envoyé deux fois au sol lors de la revanche deux ans et demi plus tard. "Sur le premier knockdown, j’essayais de le contrer et je n’ai pas vu son coup arriver. C’est le coup le plus dur avec lequel je n’ai jamais été frappé", avouait la légende philippine, qui en a pourtant vu d’autres, après le combat. "On dirait qu’il marche avec des bazookas dans les gants, s’amusait l’entraîneur britannique Joe Gallagher il y a quelques années dans un article de The Ring. C’est incroyable qu’il y ait tant de puissance chez un homme si petit."

"Il a de la dynamite dans les poings"

"Dans les petites divisions, il est dans la conversation du plus gros puncheur de l’histoire avec des gars comme Manny Pacquiao, Alexis Argüello ou Ruben Olivares, tranche le coach américain Stephen 'Breadman' Edwards. Et il met les gens KO avec beaucoup de coups différents: une droite à la tête, un crochet gauche au corps, un crochet gauche à la tête. Il est aussi bon des deux bras. Il vous frappe et boom. C’est presque un coup invisible, comme un coup par derrière qu’on ne voit pas arriver." "Quand tu fais 50 kilos et que tu envoies tes adversaires valdinguer aussi facilement, il y a évidemment la vitesse et la précision qui jouent un rôle primordial, rappelle Brahim Asloum. Mais c’est surtout qu’il frappe comme de l’acier. Il a de la dynamite dans les poings."

Naoya Inoue ne tape pas seulement fort. Il tape vite, avec précision et dans le bon timing. Combinaison indigeste pour le boxeur en face. "Je suis sûr que d’autres combattants ont une puissance similaire, juge-t-il lui-même dans une interview à Fight Hype. Mais quand vous combinez ça avec la vitesse et la précision, c’est là que vient ma capacité à mettre des KO." "Il ne perd pas de puissance malgré l’énorme vitesse qu’il met dans ses poings, comme un Sugar Ray Leonard", détaille Joe Gallagher. Ses combinaisons one-two, jab du gauche enchaîné d’une droite, sont des bijoux. Son crochet gauche au corps qui a fait tant de dégâts, une symphonie. Il ne fait aucun effort inutile ou presque.

"Il sait exactement où frapper et vous ne pouvez pas battre ça, s’extasie le coach américain Rudy Fernandez. Il ne gâche pas de coups. Il trouve le bon timing par rapport à la boxe de son adversaire et il exécute. Il est tellement bon pour ça qu’on a l’impression que c’est sans effort. Il ne ressemble pas à grand-chose, il ne paraît pas dangereux, mais il est juste très efficace dans tout ce qu’il fait." Son arsenal offensif large et adaptable, qui mixe tête et corps en cibles sans être prévisible, est magnifié par un jeu de jambes fabuleux et des déplacements de très haut niveau. Le tout dans une balance corporelle parfaite, jamais hors position, un équilibre qui lui permet d’envoyer "trois ou quatre coups mortels de suite" (Stephen Edwards) tout en étant capable de changer de vitesse entre deux. Et bon courage à la concurrence…

"Dans la boxe, chaque fois que vous balancez votre poids, vous perdez l’équilibre et vous ne pouvez pas mettre tout votre poids dans vos coups. Mais Naoya y arrive et c’est ce qui le rend si spécial, pointe Yamanaka Shinsuke, ancien champion WBC des coqs. Peu importe le coup, il sait adopter la position idéale pour maximiser son intensité." "Il est aussi très précis, ajoute le Nord-Irlandais Carl Frampton, ancien champion du monde chez les super-coqs et les plumes. Il a la bonne longueur sur ses coups et sa biomécanique est parfaite." "Les meilleurs dans l’exercice des coups au corps sont ceux qui peuvent mettre le bon coup au bon moment et au bon endroit, appuie le coach britannique Bill Graham, coach britannique. II est un parfait puncheur de précision."

Autre entraîneur britannique, qui a notamment coaché Tyson Fury dans le passé et qui s’occupe désormais Anthony Joshua dont il a préparé le combat contre Otto Wallin en Arabie saoudite, Ben Davison en rajoute une couche: "Il est aussi très bon pour bouger sa tête et ça lui permet de varier les coups avec lesquels il commence ses combinaisons. Il sait utiliser celui qu’il faut." Et le Sud-Africain Zolani Tete, ancien champion WBO des coqs, d’enfoncer le clou: "Sa technique et son timing sont parfaits et il est très intelligent". Les qualités de Naoya Inoue vont bien au-delà de la puissance. Elles dessinent plutôt un joueur d’échecs qui a un coup d’avance, toujours juste, toujours précis, avec un QI de combat presque sous-estimé tant il a d’autres qualités.

"Son meilleur outil est son excellent timing plutôt que sa puissance", confirme l’Américain Stephen Fulton, ancien numéro 1 de la catégorie qu’il a détrôné des couronnes WBC et WBO des super-coqs pour sa première dans la division en juillet dernier. Formé par son père Shingo, ancien boxeur qui n’a pas fait carrière et qu’il a mené vers le noble art sans jamais le forcer (débuts à six ans avec six mois de travail sur les déplacements avant de mettre enfin les gants), Naoya Inoue répète inlassablement les fondamentaux depuis l’enfance avec une énorme éthique de travail transmise par papa. Qui a aussi beaucoup insisté sur le contrôle de la distance aujourd’hui maîtrisé par le fiston sur le bout des doigts.

"Naoya n’est pas un génie, explique Shingo Inoue. Je lui ai juste répété le même conseil depuis qu’il est un petit garçon. J’ai travaillé de façon répétée sur ses faiblesses et sa technique pour en faire ce qu’il est aujourd’hui." Le résultat? Un modèle de boxe au presque parfait.

"C’est un boxeur que vous voulez montrer à un jeune combattant en formation", s’extasie Stephen Edwards. "Les coups viennent directement de son épaule. Il pousse sur ses pieds et enclenche avec ses hanches. Sur sa technique de punch, ce gamin est au niveau de Joe Louis, Alexis Argüello ou Ricardo Lopez."

Ancien champion du Japon des mouches reconverti en coach, Ishii Ichitaro le compare à un maître du kobudo (le karaté des agriculteurs avec des outils): "Quand on le regarde, on a l’impression qu’il sait exactement ce que l’autre est en train de faire, comme un maître des arts martiaux anciens".

"Il est le meilleur de la planète, conclut Rudy Hernandez. Il défie les meilleurs des catégories où il passe et il les met KO. Il ne laisse aucun doute sur qui est le champion. Tous les dix ans environ, on a un combattant spécial qui arrive. Inoue fait les choses avec une telle facilité qu’il me rappelle un Mike Tyson ou un Sugar Ray Leonard quand ils étaient à leur sommet. (…) Comme ce gamin est japonais, il ne reçoit pas l’attention qu’il aurait s’il était américain. Mais il est celui que tout le monde devrait observer aujourd’hui dans la boxe. Son timing, sa puissance et son intelligence de combat sont supérieurs à tous." Rare combattant nippon à avoir le potentiel pour voir sa popularité exploser aux Etats-Unis, où il a déjà boxé trois fois dont une dans la bulle sanitaire du Covid en 2020, Naoya Inoue a la possibilité de marquer l’histoire et le potentiel pour rentrer dans la caste des plus grands de tous les temps. Il a surtout le talent pour. XXXXXXL. Et on aurait encore pu ajouter des X.

Article original publié sur RMC Sport