Avant la Super League, comment l’arrêt Bosman a bouleversé le football européen

Avant la Super League, comment l’arrêt Bosman a bouleversé le football européen

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé ce jeudi que la Fifa et de l’UEFA devaient être considérées comme des entreprises à part entière - soumises aux règles sur la concurrence - et pas seulement comme les instances à la tête du football mondial et continental. Une décision saluée par les partisans de la Super League et notamment son promoteur, la société A22 Sports, qui espère convaincre d’autres clubs de rejoindre le Real Madrid et le FC Barcelone dans son projet de compétition concurrente à la Ligue des champions.

Après l’annonce de la CJUE, Bernd Reichart s’est même fendu d’un "le football européen de clubs est libre". Une liberté pour les équipes de participer ou non à un tournoi qui fait nécessairement penser à la décision de justice qui a libéralisé les mouvements des footballeurs en 1995: l’arrêt Bosman, ou l’affaire "C-415/93" selon les tribunaux de l’Union européenne.

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Interrogé ce vendredi par la Gazetta dello Sport, Jean-Marc Bosman a jugé la nouvelle défaite judiciaire des instances à la tête du football.

"L'arrêt de la Cour européenne ne sert qu'à rappeler à la Fifa et à l'UEFA qu'aucun n'est au-dessus des lois et qu'ils ne peuvent pas prétendre avoir le monopole sur le football et sur les joueurs", a pesté l'ancien footballeur belge de 59 ans. Avant d'émettre un avis sur la Super League: "J'ai beaucoup de doutes sur cette Super League. Et le premier est purement pragmatique. Aujourd'hui, les footballeurs des équipes les plus importantes jouent des matchs en championnat, en Ligue des champions, en Ligue Europa et en Conference League. [...] Personne ne pense à la santé des protagonistes, c'est-à-dire les joueurs pour lesquels je me suis battu à l'époque."

Le droit européen plus fort que les lois du foot

Il y a un peu plus de 28 ans (presque jour pour jour), le 15 décembre 1995, l’ancêtre de la Cour de justice de l’Union européenne tranchait en faveur de Jean-Marc Bosman dans son conflit juridique avec le RFC Liège, la fédération belge de football (URBSFA) et l’UEFA. Près de cinq ans plus tôt, le milieu offensif belge avait refusé de prolonger son contrat avec le club liégeois en raison d’une baisse de salaire imposée à hauteur de 75%.

A la place, celui qui venait de remporter la Coupe de Belgique a choisi de s’en aller et de signer en France à l’USL Dunkerque. Après avoir réclamé une indemnité, Liège a fait bloquer son départ grâce à l‘intervention de l’URBSFA qui n’a pas validé les documents nécessaires à son changement de club.

Blacklisté dans son propre pays et ensuite exilé dans un autre club du nord de la France, Jean-Marc Bosman a donc obtenu sa revanche devant les tribunaux quelques années plus tard après avoir attaqué le RFC Liège, la fédération belge de football. Durant cette procédure, l’UEFA a aussi été impliquée en raison d’un quota limitant le nombre de joueurs étrangers (issus de l’UE) dans les clubs.

Comme ce jeudi lorsqu’elle a estimé que le droit de la concurrence s’appliquant à toutes les entreprises devait aussi s’appliquer à la Fifa et à l’UEFA, la CJUE a statué qu’un footballeur était un salarié d’une entreprise et un citoyen de l’Union européenne comme les autres. Par conséquent, personne ne pouvait empêcher Jean-Marc Bosman de circuler librement entre différents pays membres. Depuis, les clubs européens ne peuvent plus demander d’indemnités de départ pour un joueur en fin de contrat.

L’arrêt Bosman n’a pas fait du bien au championnat de France

Avant de savoir si l’arrêté rendu ce jeudi dans l’affaire "C-333/21" impulsera les mêmes bouleversements, l’arrêt Bosman avait fait très mal à la France, ou plus exactement à ses clubs. Principal pays formateur en Europe, la France a vu de nombreux joueurs s’en aller à l’étranger dès la saison 1996-1997. La fin de la limitation sur le nombre de joueurs étrangers a ainsi engendré un exode massif des talents français vers des championnats plus huppés.

Si Bixente Lizarazu a quitté ses chers Girondins de Bordeaux pour Bilbao (puis pour le Bayern), Zinedine Zidane s’est envolé vers la Juventus pendant l’été 1996 alors que Christophe Dugarry a opté pour l’AC Milan. Idem pour Laurent Blanc, parti au Barça, ou Youri Djorkaeff qui a laissé le PSG derrière lui pour signer à l’Inter Milan. Roc de l’AS Monaco, Lilian Thuram a aussi signé en Italie (à Parme) et ne rejouera ensuite plus jamais pour un club tricolore. Fort de la domination européenne des clubs italiens à cette époque, l’Italie a séduit de nombreux joueurs français. Après ses six premières années réussies à Lens, Pierre Laigle a lui aussi sauté le cap en rejoignant la Sampdoria.

L’effet immédiat de l’arrêt Bosman s’est aussi accompagné d’un énorme manque à gagner pour les clubs français dont les compétences en matière de formation ne sont plus à prouver. Libres de signer avec le club de leur choix en Europe, de nombreux jeunes joueurs ont bénéficié de l’arrêt Bosman pour s’engager à l’étranger. Depuis décembre 1995 et la publication du texte, la liste des pépites que les clubs de L1 et L2 n’ont pas pu retenir n’a fait que s’allonger: Nicolas Anelka, Jérémie Aliadière, Gaël Kakuta, Paul Pogba, Hannibal Mejbri

Mais, à l'inverse, l'équipe nationale française n'a jamais autant brillé depuis. Peut-être grâce à plusieurs générations dorées, mais peut-être aussi parce que les joueurs tricolores ont franchi un cap en allant se confronter au très, très haut niveau dans les championnats étrangers.

Bosman ruiné et aidé par… la famille Rabiot

A l’origine de la libre-circulation des joueurs, Jean-Marc Bosman n’en a pas tiré profit puisque sa carrière s’est arrêtée dès 1996. Pire, l’ancien milieu offensif belge a fini ruiné et en a gardé une amertume certaine. Fin 2020, pour le 25e anniversaire de l’arrêt qui l’a rendu éternel, l’ex-footballeur a partagé sa frustration auprès du média belge Sporza.

"Pour moi, cela a été 25 ans de revers, pour les footballeurs, c’est 25 ans de bonheur", avait alors lancé un Jean-Marc Bosman désabusé. Et l’homme qui a bouleversé le football contemporain d’ajouter: "Les joueurs pourraient faire quelque chose. Surtout avec les fortunes qu’ils gagnent. Mais ils ne pensent qu’à eux-mêmes alors que grâce à moi, ils sont devenus très riches."

Si la FIFPro, le syndicat des joueurs, l'a toujours soutenu pour sa contribution en faveur du football, le Belge a aussi pu compter sur la générosité de certaines stars qui ont profité de l’arrêt Bosman. Peu après la décision de la justice européenne en sa faveur, les Néerlandais Edwin Van der Sar et les frères De Boer lui avaient rendu visite pour lui donner l’équivalent de 2.500 euros afin de le remercier de son action. En juin 2019 auprès de Bild, le Belge expliquait aussi avoir reçu un don de 12.000 euros de la part de Véronique Rabiot

"J’ai un seul ami dans le foot: Adrien Rabiot", avait confié Jean-Marc Bosman. "L’an dernier, sa mère avait vu mon histoire dans un documentaire. Elle l'avait trouvée géniale et voulait m'aider. Elle m'a rendu visite avec le frère d'Adrien et m'a donné 12.000 euros. C’était avant qu’Adrien ne se fasse sortir de l’équipe première, en décembre, parce qu’il ne voulait pas prolonger avec le PSG."

Article original publié sur RMC Sport