Silvio Berlusconi avait fait de son apparence physique une arme politique

« Il avait conscience que son image pouvait capter l’atention et c’était le coeur de sa stratégie. » explique Pierre Musso
« Il avait conscience que son image pouvait capter l’atention et c’était le coeur de sa stratégie. » explique Pierre Musso

ITALIE - Il disait que son image était ce qu’il avait de plus cher. Après une longévité politique peu commune en Italie, Silvio Berlusconi est décédé lundi à 86 ans. Ses obsèques sont célébrées ce mercredi 14 juin à Milan, au milieu d’une journée de deuil national.

L’ancien Premier ministre laisse derrière lui une péninsule marquée par son empreinte dans les médias, ses décennies d’exercice du pouvoir, ses scandales judiciaires… mais aussi par son apparence, toujours au cœur des conversations. Botox, implants capillaires et rapport décomplexé aux apparats, l’ancien magnat de la télévision avait bien saisi le poids de l’esthétique dans l’accession au pouvoir.

Du soin particulier dans le choix de ses vêtements à ses opérations esthétiques régulières, il y a bien des choses à raconter sur le rapport à l’apparence du « cavaliere ». Le HuffPost a interrogé Francesca Martinez Tagliavia, chercheuse en sciences sociales et spécialiste du rapport entre images et pouvoir à l’époque contemporaine, et Pierre Musso, professeur à l’institut d’études avancées de Nantes et auteur de Berlusconi, le nouveau prince, sur ce qu’il fallait comprendre du lien entre Berlusconi et son image.

Berlusconi et le culte de l’image

Si le physique de l’homme politique italien a tant fait parler, c’est qu’il était particulièrement reconnaissable. Teint hâlé plus ou moins naturellement, traits tirés par des liftings, le visage de Berlusconi a suscité des conversations jusqu’au bout de sa carrière. « Quand il était au Parlement, on le voyait en permanence avec un mouchoir qu’il passait sur son visage. Tout le monde pensait qu’il transpirait mais en réalité, il se repoudrait », raconte Pierre Musso, auteur de Le temps de l’État-Entreprise, Berlusconi, Trump, Macron. « Refaire des liftings constamment, avoir des vêtements très haut de gamme… L’image de Berlusconi était parfaitement soignée, surveillée. Le corps du chef est un enjeu majeur en politique, et il en avait conscience. »

Mais pour le professeur d’université, l’attention particulière que Berlusconi accordait à son physique fait partie d’une stratégie plus large de gestion de son image, qui mérite d’être étudiée. « Des liftings, tous les hommes politiques en font. La spécificité de Berlusconi, c’est d’avoir été un homme d’entreprise avant de devenir homme politique, et notamment un homme de télévision. Il avait conscience que son image pouvait capter l’attention et c’est le cœur de sa stratégie. Quand il est allé se faire poser des implants capillaires et qu’ensuite, il a porté un bandana, il savait qu’on parlerait du bandana en permanence, et donc, en bon stratège marketing, qu’on parlerait de lui, ce qui était le plus important. »

Un discours conservateur, une image de masculinité « plus fluide » ?

Cette attention à son apparence sans cesse renouvelée vient à l’encontre d’un modèle de masculinité traditionnelle qu’il semblait pourtant promouvoir. C’est ce qu’explique Francesca Martinez Tagliavia, autrice de Faire des corps avec les images, la contribution de la velina au charisme de Berlusconi. « La chirurgie esthétique, les talons, le maquillage… Dans ces ornements, il y a un brouillage entre ce qu’on attribue à la masculinité et à la féminité. Par son apparence, il incarnait une évolution de la masculinité vers un modèle plus fluide, presque métrosexuel’, qui s’éloignait du schéma traditionnel de son époque. C’est aussi une spécificité du travail du spectacle : ces apparats servent une mise en scène du pouvoir, comme ce fut le cas pour Louis XIV par exemple. »

La chercheuse souligne une dissociation marquée entre l’image renvoyée par l’apparence de Berlusconi et les mots qu’il utilisait. « Son charisme - au sens sociologique du terme - tenait aussi dans la création d’un consensus entre des propos sexistes ou homophobes et dans le même temps, l’incarnation d’une sexualité plus décomplexée et plus libérée. »

Ce rapport à la sexualité fait partie intégrante, selon les deux chercheurs, de l’image de Berlusconi. « Il avait bien compris qu’il devait avoir un rapport érotique avec son électorat. La sexualité est au centre de son pouvoir, son rapport aux femmes est mis en scène et théâtralisé tout au long de sa carrière, ce qui est totalement nouveau », souligne Francesca Martinez Tagliavia.

« Incarner l’Italie » avec son corps

Pour Pierre Musso, le rôle de l’image dans la vie politique de Berlusconi est donc capital. « On suit ce personnage politique dans sa vie, dans sa sexualité, ses frasques. Il a importé le modèle de la télénovela en politique. » Et parce que son histoire privée est devenue publique, il peut l’utiliser pour incarner l’Italie entière, explique le chercheur. « Ce n’est pas simplement l’image du corps, de ses cheveux ou de son entourage. C’est l’image de ce que le personnage politique veut incarner. Le football, la télévision comme amie populaire, la proximité avec le peuple, mais aussi le rêve et la réalisation de ce rêve. » Un modèle politique qui traite ses électeurs comme il traite les consommateurs, désormais largement répandu en Europe et au-delà.

« En Italie, on a parlé de Trumpusconi pour dire que Trump s’était largement inspiré de Berlusconi dans sa manière d’accéder au pouvoir et de faire campagne. En France, on a vu Nicolas Sarkozy s’inspirer du Berlusconisme aussi », reprend Pierre Musso. Mais pour lui, le Berlusconisme est indissociable de son époque. « C’était un homme des années 1990-2000. On verra si cette image survit. »

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