Shooting photo et soumission chimique: le "violeur de Tinder" jugé pour 17 viols et agressions sexuelles

Bettany* fait la connaissance de Salim Berrada sur un site qui met en relation photographes et modèles. Après quelques messages, il lui propose un shooting. L'étudiante américaine, en échange en France, accepte. Rendez-vous est pris dans son studio du 20e arrondissement de Paris, le 7 janvier 2015. La jeune femme, âgée de 22 ans à l'époque, est enthousiaste car le photographe s'est fait un petit nom dans le milieu.

Vers 19 heures, l'homme vient la chercher lui-même à la sortie du métro Gambetta. Mais après deux ou trois verres de vin, Bettany est prise de vertiges. Elle a la tête qui tourne. La suite est floue pour la jeune femme. Elle se retrouve nue sur le canapé. Selon son récit, Salim Berrada est debout, face à elle, le sexe en érection. Il lui demande une fellation, que Bettany refuse.

Toujours selon son récit, malgré ses refus, le photographe la pénètre alors avec ses doigts, fait "des va-et-vient pendant un long moment", et lui lèche le sexe. Bettany finit par réussir à se relever mais elle peine à marcher, elle a l'impression de ne plus contrôler ses muscles, elle se cogne partout. Elle quitte le studio, certaine que Salim Berrada l'a droguée. Elle porte plainte pour viol quatre mois plus tard, le 25 avril 2015, après en avoir parlé avec ses parents.

Après cette plainte, seize autres suivront. Dix-sept femmes accusent Salim Berrada, âgé de 38 ans aujourd'hui, de les avoir violées ou agressées sexuellement entre 2014 et 2016. Elles décrivent toutes un même mode opératoire, très bien rodé, qui débute par une prise de contact sur un site ou une application de rencontres, un shooting photo dans son studio, un ou plusieurs verres d'alcool, une suspicion de soumission chimique et un rapport sexuel non consenti.

Des faits pour lesquels le photographe, qui nie formellement ces accusations, est jugé à partir de ce lundi 18 mars devant la Cour criminelle de Paris.

"Une industrialisation du processus de rencontres"

Mais au-delà du nombre de plaignantes, dont les récits présentent des "similitudes notables", Salim Berrada a "mis en œuvre une forme d'industrialisation du processus de rencontres", écrit la juge d'instruction dans son ordonnance de mise en accusation.

Dans son ordinateur, les enquêteurs ont découvert un fichier Excel, avec des phrases d'accroche toutes prêtes, des compliments, des plaisanteries ou des propositions. Il envoyait des messages à un grand nombre de jeunes femmes, de potentiels modèles, sur les applications de rencontres, notamment Tinder. À chacune, il explique qu'elle l'inspire, qu'il la considère comme "sa muse", qu'il veut la prendre en photo.

Une fois le rendez-vous pris, le schéma est le même. Le photographe installe "une ambiance conviviale". Il propose de l'alcool, le plus souvent du vin ou des "shots" de tequila. Mais devant son insistance, ces jeunes femmes peinent "à refuser", explique la juge d'instruction. Devant le magistrat, Salim Berrada explique qu'en acceptant ce verre, c'est le signe qu'elles sont prêtes à aller plus loin.

"Cette conception selon laquelle une jeune femme qui accepterait de boire consentirait de ce fait à des actes de nature sexuelle ne peut que laisser perplexe", estime la juge d'instruction.

Et si ces jeunes femmes pensent avoir été droguées, c'est qu'après un ou deux verres d'alcool, elles décrivent des symptômes similaires: une ivresse anormale et rapide, une perte de contrôle ou encore des bouffées de chaleur. Lors des analyses, de la MDMA et des antihistaminiques ont été retrouvés dans les cheveux de la moitié des plaignantes.

Mélangées à de l'alcool, ces molécules, que l'on retrouve dans des médicaments comme le Fervex ou le Dolirhume, en vente libre, peuvent entraîner un effet sédatif. Si le photographe nie toute soumission chimique, ces produits ont pourtant été retrouvés à son domicile, lors des perquisitions.

"Prêt à tout pour arriver à ses fins"

Puis Salim Berrada engage une conversation intime, souvent à propos du sexe, selon les récits des plaignantes. Il débute la séance photo, proposant des poses de plus en plus déshabillées. Puis, il les embrasse, les touche, avant de se "métamorphoser par l'envie sexuelle", décrit la juge d'instruction. À partir de là, il devient "froid, violent, et prêt à tout pour arriver à ses fins".

Les scènes décrites ensuite par les plaignantes sont d'une grande violence. Des jeunes femmes traînées au sol par les bras ou les cheveux, des fellations imposées, des cunnilingus forcés et des pénétrations digitales et péniennes soudaines, brutales et douloureuses.

"L'après" aussi est récurrent. Une fois qu'il a "obtenu satisfaction", Salim Berrada change de comportement et devient complètement "indifférent" aux jeunes femmes. Il fait "comme si tout était normal", selon plusieurs d'entre elles.

Devant le magistrat, le photographe réfute les accusations et montre pour preuve des messages échangés avec certaines des jeunes femmes, après les faits qu'elles dénoncent. Mais si certaines des plaignantes "ont à cœur de maintenir un lien" avec Salim Berrada, c'est pour récupérer les photos, qu'il se "garde d'adresser malgré les demandes répétées", estime de son côté la juge d'instruction.

"Une mauvaise conduite morale"

Les experts notent chez l'homme "une personnalité narcissique" avec un "fonctionnement de type pervers". Mais surtout, "une hypersexualité dans laquelle le sexe et les fantasmes sexuels multiples ont pris la place sur la relation affective", estime le psychiatre. La psychologue, elle, décrit un "donjuanisme", soit la multiplication de conquêtes féminines.

"Sa sexualité n'est qu'un outil pour arriver à ses fins car son addiction consiste plutôt à séduire l'autre pour pouvoir le rejeter et le maltraiter ensuite, l'autre devenant alors le réceptacle du dégoût qu'il a de sa propre addiction", analyse-t-elle.

Mais surtout, selon les experts, Salim Berrada "n'accède pas au sentiment de culpabilité". Car malgré les témoignages, le photographe reconnaît seulement "une mauvaise conduite morale", un "besoin de sexe tous les deux jours et de changer de partenaires tout le temps", évoquant 600 partenaires sexuels en dix ans.

Oui, ces séances photos "constituaient un prétexte pour obtenir des relations sexuelles avec des jeunes femmes". Oui, certaines ont pu "se sentir utilisées ou dévalorisées". Mais elles étaient toutes consentantes, répète-t-il.

Selon lui, ce sont des "mensonges" provoqués "par dépit amoureux, par la déception d’avoir été utilisées ou par la frustration de n’avoir pas récupéré ses photos". D'ailleurs, le photographe estime qu'elles se sont concertées. Difficile à croire pour la juge d'instruction: "Cette hypothèse supposerait qu'une dizaine de personnes se soient entendues pour adopter un récit de modus operandi, tant les similitudes sont grandes entre les récits."

Mais selon ses avocats, Me Irina Kratz et Me Ambroise Vienet-Legué, contactés par BFMTV.com, "les investigations menées ont permis de révéler de très nombreux éléments à décharge qui contredisent ces accusations".

"L'audience sera enfin l'occasion d'en débattre", affirment-ils. Le procès doit se tenir jusqu'au 29 mars. Salim Berrada risque jusqu'à vingt ans de réclusion criminelle.

Et Salim Berrada risque de revenir rapidement sur les bancs du tribunal. Il est désormais visé par une deuxième enquête. Depuis sa libération sous contrôle judiciaire en 2019, de nouvelles plaintes ont été déposées contre lui pour des faits susceptibles d'avoir été commis en 2021, 2022 et 2023. Une information judiciaire est ouverte depuis le 13 juillet 2023, pour "viols avec administration d'une substance à la victime". L'enquête est toujours en cours.

* Le prénom a été modifié.

Article original publié sur BFMTV.com