« Je suis mère célibataire et j’en ai assez qu’on me renvoie des clichés à la figure » - Témoignage

« Ces préjugés et cette violence qu’on nous envoie au visage n’ont qu’un seul résultat : l’isolement profond des mères célibataires »
JGI/Tom Grill / Getty Images/Tetra images RF « Ces préjugés et cette violence qu’on nous envoie au visage n’ont qu’un seul résultat : l’isolement profond des mères célibataires »

TÉMOIGNAGE - J’ai 34 ans et je suis maman d’une petite fille de cinq ans que j’élève seule. Son père et moi nous sommes séparés avant sa naissance et devant mon refus d’être en couple avec lui, il a simplement décidé de ne pas faire partie de la vie de sa fille.

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Être mère célibataire, dans toutes ses belles expériences et ses difficultés, est ma plus grande fierté mais aussi un combat. Et notamment, au quotidien, contre une chose particulièrement insupportable : les préjugés et stéréotypes. Il suffit que je me présente en tant que mère solo pour qu’on projette sur moi des traits de caractère - et des torts - qui n’ont rien à voir avec qui je suis.

La culpabilisation permanente des mères célibataires

Il n’y a pas de tabou entre ma fille et moi. Si elle me pose des questions sur notre famille, je lui réponds librement et elle est entourée par beaucoup de « figures paternelles ». Des oncles, des parrains, des adultes bienveillants qui sont bien plus présents pour elle que son propre père. Aux yeux des autres adultes, ce n’est visiblement pas suffisant : on projette sur elle des émotions qui sont très éloignées de celles qu’elle partage avec moi. On me demande souvent « Est-ce qu’elle parle de son père ? Est-ce qu’il lui manque ? ». On sous-entend qu’elle est traumatisée (ce qu’elle n’est pas), mais aussi que c’est ma faute, comme si je lui imposais une situation qui, en réalité, n’a rien à voir avec ma volonté.

Car la question de la culpabilité est omniprésente, quel que soit le préjugé sur les mères célibataires. Nous sommes perçues comme étant toujours en faute : si une mère est quittée, c’est de sa faute, si elle est seule avec son enfant, c’est de sa faute, si elle galère, c’est de sa faute. Des réflexions mal placées aux discours politiques et médiatiques, on tente de nous faire croire qu’on ne peut pas éduquer notre enfant correctement parce que nous sommes seules, et que cette solitude est la conséquence de notre « incapacité à garder un homme ». Les pères défaillants, eux, ne sont jamais mis en cause. C’est d’une injustice folle.

« Séductrice », « incapable de garder un homme », « aigrie »

De cette prétendue incapacité à garder un homme découlent d’autres soupçons. On nous voit comme des séductrices, et dans certains groupes de parents, on s’imagine que nous cherchons si désespérément un partenaire que nous serions prêtes à « voler le mari » de quelqu’un d’autre. Certains s’imaginent (c’est d’ailleurs quelque chose qu’on me dit parfois sur les réseaux sociaux) que nous sommes aigries, jalouses de la vie de couple des autres.

On sous-entend souvent qu’aucun homme ne veut de moi, que je ne me fais jamais draguer. Ce cliché me fait beaucoup rire, parce que ce n’est absolument pas mon cas ! Au contraire, si je suis célibataire, c’est surtout parce que je le veux. J’ai conscience de la chance immense que j’ai de pouvoir mener la vie que je veux, en étant libre de mes mouvements. Avec une enfant de cinq ans, ma capacité d’organisation est au maximum, et l’idée d’ajouter un homme dans l’équation - et la charge mentale supplémentaire qui viendrait avec - tient plus de l’angoisse que du rêve. Pourtant, on nous renvoie sans cesse à l’idée que sans homme, notre famille est un échec, ce qui peut pousser à accepter des relations médiocres, voire dangereuses. Pour moi, c’est hors de question. Si j’étais restée en couple avec le père de ma fille, j’aurais accepté une relation qui manquait de respect et de considération, et je ne veux pas donner ce modèle à mon enfant.

La violence de dire « Tu l’as voulu, tu l’assumes »

Parmi les clichés qui pèsent sans cesse sur les mères célibataires, il y a aussi l’idée qu’on galère avec nos enfants d’un point de vue financier, éducatif, ou les deux. Sur la question monétaire, ce n’est pas forcément faux puisque les mères célibataires sont plus touchées par la pauvreté. Mais au lieu d’envisager cette question avec empathie et de se demander comment accompagner les mères célibataires, on s’en sert pour les rabaisser, toujours avec les mêmes soupçons. Je trouve cette mentalité insupportable, et d’une immense violence. On sait qu’être parent solo est vecteur de pauvreté, d’exclusion professionnelle, et tout le monde s’en fout - voire s’imagine que les mères ont fait des enfants pour « profiter des aides » et « ne pas avoir à travailler ». J’en sais quelque chose : j’ai rejoint un collectif de mères célibataires qui luttent pour leurs droits il y a plusieurs années, et nos mobilisations n’intéressent personne.

Ces préjugés et cette violence qu’on nous envoie au visage n’ont qu’un seul résultat : l’isolement profond des mères célibataires. L’idée même de demander de l’aide quand on en a besoin est inenvisageable. Nous savons que nous serons reçues avec des jugements ou des critiques, jamais de l’empathie. C’est très dangereux et quand les mamans sont en détresse et qu’elles ne peuvent pas avoir de relais, les enfants en pâtissent tout autant. J’en sais quelque chose, puisqu’après avoir entendu encore et encore « Tu l’as voulu, tu l’assumes », j’ai fini par intérioriser qu’il n’était pas normal de prendre du temps pour moi, que le seul moyen de vivre ma parentalité était par le sacrifice complet et la culpabilité au moindre ressenti de difficulté.

Malgré tout, je vis ma meilleure vie avec ma fille

C’est après beaucoup de souffrances que j’ai réussi à sortir de cette manière de penser et à accepter qu’il fallait que j’arrête de vivre seulement pour ma fille, et qu’il fallait que je vive aussi pour moi parfois. J’ai dû apprendre à demander de l’aide, mais pas à n’importe qui, pas n’importe comment, et cela a nécessité un tri drastique autour de moi - notamment de dire adieu à celles et ceux qui me disaient ce fameux « tu l’as voulu, tu l’assumes ». Dans cette situation, j’ai conscience d’être très privilégiée : ma fille et moi pouvons vivre confortablement avec mon seul salaire, et je sais que la situation est différente pour bien d’autres.

Aujourd’hui, je vis ma meilleure vie avec ma fille et je suis très fière de la personne que je suis devenue grâce à elle. Depuis sa naissance, j’ai l’impression d’avoir gagné des décennies de sagesse, d’affirmation et de dépassement de moi. Et je ne choisirais de faire autrement pour rien au monde !

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