« Une seule Chine », l’expression à deux sens qui oppose Mélenchon et le gouvernement sur Taïwan

Members of honour guards holding Chinese and French flags attend a welcoming ceremony for French President Emmanuel Macron at the Great Hall of the People in Beijing, China November 6, 2019. REUTERS/Jason Lee
JASON LEE / REUTERS Members of honour guards holding Chinese and French flags attend a welcoming ceremony for French President Emmanuel Macron at the Great Hall of the People in Beijing, China November 6, 2019. REUTERS/Jason Lee

JASON LEE / REUTERS

« Une seule Chine » est une expression utilisée par la diplomatie française pour parler de ses relations avec Pékin. Sauf qu’en plein conflit avec Taïwan, tout le monde ne parle pas de la même chose.

TAÏWAN - « Les grenouilles qui se prennent pour des bœufs ne seraient pas seules à éclater si leurs bêtises faisaient la loi. » Voilà ce qu’écrit Jean-Luc Mélenchon dans un billet de blog publié ce samedi 6 août, au sortir de deux jours de débats et de déchirements quant à la position du troisième homme de la dernière présidentielle sur la relation entre la Chine, Taïwan et la France.

Une manière pour Jean-Luc Mélenchon de tancer une fois de plus les partisans de la visite de Nancy Pelosi à Taïwan, qui risquent selon lui de précipiter -en soutenant les États-Unis jusqu’à irriter au plus haut point la Chine- le monde vers une inquiétante escalade. Et de poursuivre : « Qu’on ne vienne pas me dire que mon propos revient à approuver tout ce que fait le gouvernement chinois. »

« Une seule Chine » pour signifier « une seule dictature » ?

Les suites d’un débat qui dure donc depuis le mercredi 3 août, et la publication d’un premier billet sur le blog de Jean-Luc Mélenchon. À ce moment-là, en réaction à la venue de la présidente démocrate de la Chambre des représentants des États-Unis à Taïwan, le fondateur de la France insoumise écrivait : « Taïwan est un sujet tendu depuis la libération de la Chine. Mais, pour les Français depuis 1965 et le général de Gaulle, il n’y a qu’une seule Chine. » Cela avant d’ajouter : « Depuis, chacun s’en tient à une volonté de coexistence pacifique, en attendant mieux. Quoi ? Les Chinois régleront le problème entre eux. Il n’y a pas d’autre issue raisonnable possible. »

Or dans ces propos, une notion fréquemment utilisée est convoquée : l’idée « d’une seule Chine ». Une expression bien connue des étudiants en relations internationales comme des professionnels de la politique et de la diplomatie derrière laquelle tout le monde ne met pas franchement la même chose. « ’Une seule Chine’, c’est d’abord ’une seule dictature’ », a par exemple réagi Yannick Jadot, pourtant allié des Insoumis au sein de la NUPES à l’Assemblée.

Pour comprendre l’origine du débat, il faut remonter à la fondation de la Chine actuelle, à savoir depuis qu’elle est gouvernée par le Parti communiste. Depuis la fin des années 1940 donc, le PC chinois a imposé un « principe » : il n’y a qu’une seule Chine dans le monde. Cela signifie que Taïwan, Macao, le Tibet ou Hong Kong par exemple, soit tous les territoires dont Pékin considère qu’ils lui appartiennent même si des aspirations indépendantistes peuvent y exister, font partie d’un seul pays gouverné donc par les communistes. Ce qui exclut de fait la possibilité pour un pays étranger d’entretenir des relations diplomatiques avec l’un de ces territoires.

Un héritage historique

Un principe d’autant plus fermement envisagé dès lors que l’on évoque Taïwan. Car c’est bien au moment où les nationalistes vaincus de Tchang Kaï-chek ont été mis en déroute par les communistes et se sont réfugiés à Taïwan que la doctrine a émergé. À l’époque, l’idée pour le PC était de dire à la communauté internationale qu’il serait impossible de dialoguer à la fois avec la Chine continentale et avec les rebelles de Taïpei. D’autant que ces derniers, eux, déclaraient alors vouloir reconquérir militairement l’ensemble du territoire.

Depuis, les États nations ont donc la possibilité d’entretenir des relations diplomatiques avec ce qui est devenu l’une des plus grandes puissances mondiales et le pays le plus peuplé du monde ou avec Taïwan, c’est-à-dire la République populaire de Chine ou la République de Chine, mais aucunement avec les deux. Et c’est aussi pour cela qu’il n’existe qu’un seul siège à l’ONU pour la Chine, occupé par les communistes de Pékin au Conseil de sécurité.

En France, cela s’est traduit en janvier 1964 par l’instauration par Charles de Gaulle de relations diplomatiques avec la Chine communiste, au grand dam des Américains, alors engagés dans une Guerre froide face au bloc de l’Est. Un choix qui est toujours appliqué depuis et qui exclut de fait, des relations officielles avec Taïwan. Il n’y a par exemple pas d’ambassade de Taïwan en France ni de visite présidentielle sur place.

« Politique » contre « principe »

Comme le rappelle le chercheur spécialiste de la Chine et enseignant à Sciences Po Antoine Bondaz, c’est à ce titre que la diplomatie française évite depuis des décennies d’évoquer la situation à Taïwan ou la situation géopolitique sur place.

En revanche, et c’est bien là que viennent se nicher le diable et la controverse, cette application du principe d’une seule Chine n’empêche pas pour autant la France d’entretenir des relations officieuses avec Taïwan. Il y a ainsi une représentation du pays à Paris et des délégations parlementaires peuvent s’y rendre.

En ce sens, Paris comme le reste du monde occidental mène une « politique d’une seule Chine » sans accepter in extenso le « principe » comme le réclame Pékin. Ce qu’a encore rappelé jeudi la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna dans une interview à Libération. C’est ainsi que des parlementaires français se sont déjà rendus dans l’archipel, que Paris et Taïpei coopèrent à plusieurs niveaux etc.

Une différence sémantique autour de laquelle s’est cristallisé le débat des derniers jours, mettant au jour un écart idéologique important entre les Insoumis et une partie de la classe politique, de la macronie aux écologistes notamment. Ainsi, les premiers voient dans l’acceptation de la visite de Nancy Pelosi le risque de déclencher un conflit sino-américain quand les seconds voient dans la reconnaissance du « principe » d’une seule Chine une acceptation totale de la politique menée par Pékin.

Y compris en ce moment, où la Chine mène une vaste opération de menace et de pression pour isoler toujours plus Taïwan, placer ses pions militaires dans la zone et peut-être, un jour, aller jusqu’à menacer concrètement l’archipel, qui bénéficie pour l’heure d’une protection américaine.

À voir également sur le HuffPost : Nancy Pelosi est arrivée à Taïwan malgré les mises en garde de la Chine

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