Sept BD à lire pour le 50e Festival d’Angoulême

ANGOULÊME - Le Festival international de la Bande dessinée d’Angoulême est pour les amateurs du neuvième art un moment privilégié. En plus d’offrir des expositions, des rencontres avec les auteurs et des dédicaces, c’est un temps de communion. C’est aussi le seul moment de l’année où tous les médias s’intéressent à la bande dessinée, offrant une visibilité accrue aux albums et aux auteurs de la programmation.

En 2023, édition du cinquantième anniversaire du festival, cette visibilité devrait être accrue. Que lire pour accompagner cet événement, parmi les innombrables nouveautés ? Voici une sélection de sept bandes dessinées incontournables en ce début d’année.

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Âmes Publiques, de Marcello Quintanilha (éditions ça et là)

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Âmes Publiques est le nouvel album de Marcello Quintanilha, lauréat de la plus prestigieuse récompense lors de la dernière édition du festival : le Fauve d’Or du meilleur album. Ce prix aussi mérité qu’inattendu a honoré un auteur brésilien qui, bien qu’installé à Barcelone depuis vingt ans, continue de mettre en scène des histoires dans son pays natal. Son nouvel album n’y déroge pas et compile sept histoires courtes autour de personnages issus des classes populaires du pays.

De formats très différents, en noir et blanc ou en couleurs, ces nouvelles portent la marque d’un auteur qui aime à célébrer l’humanité des personnages simples. Une couturière, un footballeur, un compositeur de samba et un conducteur de camionnette sont les héros modestes de Marcello Quintanilha, virtuose du dessin dont le sens du cadrage continue, album après album, de surprendre pour son audace.

Les Chefs d’œuvre de Junji Ito, deux volumes (Mangetsu)

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Pour sa cinquantième édition, le Festival d’Angoulême a choisi de célébrer le manga, actant le fait qu’aujourd’hui presque une BD sur deux vendue en France est japonaise. Trois immenses auteurs nippons sont invités cette année et font l’objet d’expositions rétrospectives. Parmi eux, Junji Ito est un mangaka dont l’importance reste sous-estimée malgré une œuvre immense. Maître de l’horreur, il est l’auteur de nombreuses histoires courtes très inspirées par Lovecraft et de quelques séries plus longues.

Son principal éditeur Mangetsu vient de réunir dans une nouvelle anthologie en deux volumes une vingtaine de ses meilleures histoires, commentées par l’auteur. Elles constituent une excellente introduction à l’œuvre du maître, étalée sur plus de trente ans. Chez Ito, l’horreur vient de l’intime, faisant surgir des cauchemars dépassant l’imagination : maladie provoquant des trous traversant le corps, femme dont la langue se transforme en limace, voyeur fusionnant avec les canalisations d’une maison qu’il épie, chanson hantée enregistrée par une morte… Ito développe un sens du macabre très original, aussi évocateur qu’il montre peu des horreurs racontées.

Pour aller plus loin, Mangetsu propose par ailleurs, pour célébrer l’exposition consacrée à l’auteur, un artbook inédit proposant de nombreux dessins en couleurs d’une grande beauté.

Madones et putains, de Nine Antico (Dupuis)

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La canadienne Julie Doucet a été désignée Grand Prix par ses pairs lors de la dernière édition du festival. Si cette autrice underground possède un style très singulier et ne ressemble à personne, la française Nine Antico pourrait être considérée à certains égards comme l’une de ses héritières.

Comme Julie Doucet, Nine Antico partage un goût pour l’autobiographie et l’humour un peu trash, aime à brosser le portrait de femmes fortes et aborde sans fard les sujets liés à la sexualité. Les deux partagent aussi un même éditeur français : l’Association, qui revendique farouchement son indépendance et la défense de la marge. Le nouvel album de Nine Antico, Madones et Putains - qui paraît chez un autre éditeur : Dupuis - creuse la veine féministe de l’autrice en racontant trois histoires de femmes martyres, victime du patriarcat en Italie au XXe siècle.

La jeune Agata, cachée dans un sanatorium après l’assassinat de sa mère par son amant. Lucia, tondue à la Libération pour avoir couché avec un Allemand. Rosalia, menacée pour avoir brisé l’omerta mafieuse. Chacune de ces trois histoires, inspirées de faits réels, raconte le destin brisé d’une femme innocente, victime du regard des hommes et de leur sens de l’honneur qui semble ne pouvoir exister qu’à leurs dépends.

Duke, tome 7, Ce monde n’est pas le mien, d’Hermann et Yves H. (Le Lombard)

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Hermann est un auteur classique au sens noble du terme, dont l’œuvre pléthorique dépasse aujourd’hui les cent albums. Moebius le considérait comme l’un des plus grands dessinateurs européens. Grand Prix à Angoulême en 2016, Hermann est alors l’auteur le plus âgé à être consacré ainsi dans l’histoire du festival. Une célébration tardive car l’artiste n’a pas toujours fait l’unanimité en raison de sa personnalité peu consensuelle. Pourtant, l’œuvre est magistrale, et comme souvent les détracteurs de l’auteur sont ceux qui ne l’ont pas lu !

Après les célèbres sagas Bernard Prince, Comanche et Jeremiah, l’ultime série d’Hermann : Duke, arrive à sa conclusion avec un septième et dernier tome qui paraît en janvier. Riche en séquences d’actions spectaculaires, cet album restera en mémoire pour ses magnifiques scènes en extérieur dans le grand ouest américain. Qu’il dessine des paysages brumeux ou de grands ciels bleus, Hermann est un maître de la couleur. Âgé de 84 ans, le dessinateur aurait légitimement pu aspirer à une retraite méritée et en rester à cette œuvre crépusculaire. Mais tel Clint Eastwood, son art l’occupera jusqu’à son dernier souffle : Hermann vient d’annoncer qu’il se consacre déjà à une nouvelle série : un péplum.

Friday, d’Ed Brubaker, Marcos Martin & Muntsa Vicente (Glénat)

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La jeune Friday Fitzhugh revient passer les vacances de Noël dans la petite ville de son enfance où elle retrouve son meilleur ami, Lancelot Jones. Ce résumé d’un grand classicisme respire l’ennui. Et pourtant, tout dans cet album surprend, explose et réjouit. Chaque page réserve son lot de surprises, aussi bien narratives que visuelles, dans un album qui mélange les genres comme dans un shaker : au récit d’initiation adolescent se mêlent mystères, vieilles légendes et éléments fantastiques.

Il faut dire que l’album est signé de deux des plus grands auteurs américains contemporains : le scénariste Ed Brubacker (Criminal, Fatale, Fondu au noir), plusieurs fois sélectionné à Angoulême mais jamais récompensé, et le dessinateur Marcos Martin, dont l’album The Private Eye reste l’une des plus enthousiasmantes découvertes de ces dernières années en provenance du continent américain. Leur association fait des étincelles. La promotion autour de la BD évoque la série Stranger Things, sans doute à cause de ses personnages adolescents. Mais en termes d’atmosphère, Friday évoque plutôt une série plus ancienne : Twin Peaks, pour son cocktail d’angoisse et d’humour et son ton insaisissable à mi-chemin entre cultures américaine et européenne.

Indians, album collectif sous la direction de Tiburce Oger (Grand Angle)

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Les albums collectifs sont rarement des réussites mais celui-ci fait exception. Tiburce Oger, fin connaisseur de l’histoire américaine, a réuni seize dessinateurs autour d’un projet d’anthologie qui retourne les clichés du western : ici, ce sont les indiens qui sont au cœur des histoires, jamais les cowboys. Le casting est impressionnant : les familiers du genre Derib et Christian Rossi sont rejoints par des pointures comme Corentin Rouge, Mathieu Lauffray, Ronan Toulhoat et Dominique Bertail.

Malgré la diversité de leurs styles, l’album gagne en cohérence grâce à son unique scénariste (Oger). Celui-ci ne cherche pas à imposer un fil conducteur ou une thématique. Il s’autorise une amplitude temporelle de plusieurs siècles, mélange personnages historiques avec d’autres issus de son imagination, joue avec la symbolique associée à la culture indienne (animaux totémiques, mystique), mais retombe toujours sur ses pattes en évitant les clichés. Le succès commercial est déjà au rendez-vous, complètement mérité.

Révolution tome 2 : Égalité - livre 1, de Florent Grouazel et Younn Locard (Actes Sud)

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En 2019, Liberté, premier tome de cette grande saga consacrée à la Révolution française, a obtenu le Fauve d’Or du meilleur album. La suite, Égalité, paraît quatre ans plus tard, juste à temps pour l’édition 2023 du festival qui accueillera les deux auteurs. Les événements de cette suite démarrent en 1791, au moment où les députés travaillent sur notre première Constitution. Comme Tardi et Vautrin l’avaient fait autour de la Commune de Paris dans le Cri du Peuple, Grouazel et Locard mélangent histoire et fiction autour de quelques personnages de leur invention qui forment de parfaits archétypes pour évoquer l’époque : un membre du bas-clergé, un député du tiers-état, un lieutenant de la garde nationale, une jeune domestique, une enfant des rues et un médiocre pamphlétaire royaliste dont le visage rappelle celui d’Eric Zemmour font partie de ces personnages qui emportent le récit collectif.

Plutôt qu’un déroulé didactique des événements révolutionnaires, les auteurs préfèrent dresser un portrait de Paris à travers ses différentes strates sociales dans un moment d’intense bouillonnement, tout en traitant l’Histoire avec rigueur. Le dessin, qui évoque par endroits les gravures d’époque, donne à certaines séquences une dimension épique. Révolution comptera quatre volumes et plus de mille pages quand les auteurs en seront venus à bout. À mi-chemin de la publication, il est déjà acquis que cette œuvre ambitieuse marquera l’histoire de la bande dessinée, tant pour sa narration trépidante et ses qualités graphiques que sa pertinence historique faisant subtilement écho aux soubresauts de notre époque.

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