"Le sec", "Diabolik": qui était Matteo Messina Denaro, ce mafieux arrêté après 30 ans de cavale?

Matteo Messina Denaro à son arrestation à Palerme le 16 janvier 2023.  -  ITALIAN CARABINIERI PRESS OFFICE
Matteo Messina Denaro à son arrestation à Palerme le 16 janvier 2023. - ITALIAN CARABINIERI PRESS OFFICE

C'est la fin d'une cavale de 30 ans. C'est surtout la fin d'une spirale infernale de crimes et de sang. Ce lundi, les carabiniers ont arrêté Matteo Messina Denaro - 60 ans - dans la clinique palermitaine où il se faisait soigner.

Le sexagénaire est l'une des figures majeures du crime organisé sicilien depuis les années 1980, et passait pour le successeur de Toto Riina et Bernardo Provenzano à la tête de "Cosa Nostra". Ses activités de trafiquant, les enlèvements et meurtres perpétrés ou commandités lui ont valu plusieurs condamnations par contumace à la perpétuité.

"Par contumance" car, jusqu'à ce lundi, les autorités n'avaient pu mettre la main sur lui et, en fuite depuis 1993, Matteo Messina Denaro était l'homme le plus recherché d'Italie.

Une arrestation sous les applaudissements

Pour mieux cerner le personnage, peut-être faut-il commencer par la fin de son histoire. C'est-à-dire raconter son arrestation ce lundi matin, selon les éléments rapportés par le Guardian. Il est 9h35 lorsqu'une escouade de carabiniers pénètre les locaux de La Maddalena, une clinique de Palerme où Matteo Messina Denaro a été admis pour traiter un cancer du côlon. D'après le journal britannique, l'homme le plus traqué du pays y vit même depuis un an, sous le nom d'emprunt un brin ironique d'Andrea Bonafede (qui rappelle l'expression latine "bona fide" ou "de bonne foi").

Rien encore d'avéré sur ce point cependant, tant la vie de Matteo Messina Denaro est pleine de bruits et de fureurs. Ce qui est certain, en revanche, c'est que voyant sa cavale de 30 ans arriver à sa fin, le mafieux essaie quand même d'échapper aux agents. Mais, encerclé, il se laisse finalement interpeller sans résistance. Les gendarmes ont alors pu lui passer les menottes sous les applaudissements des autres patients.

L'homme qui a "rempli un cimetière à lui seul"

Son pedigree explique pourquoi l'homme est si peu populaire, et pourquoi sa chute paraissait si attendue. Né à Trapani en Sicile en 1962, Matteo Messina Denaro est le fils d'un ponte de "Cosa Nostra". Lui-même baigne depuis une quarantaine d'années dans le sang. Ouest France a rappelé qu'en plus d'être le criminel le plus recherché d'Italie, le FBI le tenait pour l'un des plus grands trafiquants de drogues du monde.

En plus des stupéfiants, il n'a pas non plus dédaigné la vente d'armes. Ses activités s'étendent encore à la gestion des déchets, à l'éolien, et à des commerces de détail. Au registre des homicides, on lui attribue au moins 50 meurtres avant ses trente ans, dont le premier commis à 18 ans, selon Le Parisien.

Il est d'ailleurs impliqué dans le sidérant attentat perpétré contre le juge Giovanni Falcone, magistrat héros de la lutte anti-mafia dont la vie - ainsi que celle de son épouse et de trois gardes du corps de l'escorte - a été emporté lors d'une attaque à l'explosif sur la portion d'autoroute où il circulait le 23 mai 1992. Une vantardise de Matteo Messina Denaro, et relayée ici par le Guardian, plante le personnage: "J'ai rempli un cimetière à moi tout seul".

779 jours de séquestration et un meurtre

En 1993, il est encore à l'origine d'une série d'attentats menés à Florence, Milan, Rome. Millésime particulièrement détestable dans une trajectoire qui ne manque pas de bas, c'est également en 1993 qu'il organise l'enlèvement du jeune Giuseppe Di Matteo, raconté ici par La Nuova Sardegna.

En novembre, il lance le rapt de cet enfant de 13 ans, fils d'un "repenti", surnom tiré du vocabulaire chrétien et qui qualifie en Italie ces cadres de la mafia qui dénoncent les agissements de leurs collègues. L'idée est de forcer le père à renier les confidences qu'il a livrées à la police. 779 jours de séquestration plus tard, il fait étrangler l'adolescent et dissoudre son corps dans l'acide.

In absentia

Est-ce pour cet assassinat, ou l'un des innombrables fait-divers l'ayant précédé, qu'on l'appelle "Diabolik"? Non, d'après Le Parisien, qui souligne que le sobriquet vient d'une bande-dessinée italienne dont Matteo Messina Denaro est grand lecteur. Il hérite d'un autre surnom, sicilien: "U Siccu", "Le Sec" qui renvoie à sa silhouette haute et maigre.

Son vrai nom, quant à lui, apparaît pour la première fois en toutes lettres dans les registres de la justice en 1989, précise encore La Nuova Sardegna. Les chefs d'accusation se multiplient: association mafieuse, vol, détention d'explosifs, et évidemment meurtres. Des dossiers pour lesquels il a donc fini par écoper, au fil des années, de plusieurs condamnations in absentia à perpétuité. Car, quand il sent les pièges tendus par la justice et les enquêteurs, Matteo Messina Denaro fuit, au terme de sa si chaotique année 1993.

Une disparition qui n'est pas une retraite, puisqu'après Toto Riina et Bernardo Provenzano - derniers représentants de l'influence des mafieux venus du village de Corleone, qui inspirera à l'écrivain Mario Puzo le nom du clan au centre du Parrain, adapté sur grand écran par le cinéaste Francis Ford Coppola - morts en prison respectivement en 2016 et 2017, il reprend le flambeau de "Cosa Nostra".

L'obsession de la police

Mais où vit le reclus? Et est-il si reclus d'ailleurs? Matteo Messina Denaro a beau obséder la police italienne, il lui échappe encore et encore. Pendant des décennies, détaille à nouveau La Nuova Sardegna, la stratégie des autorités consiste à l'isoler, coup de filet après coup de filet, arrêtant ses collaborateurs, ses proches et jusqu'à sa sœur. Ses biens sont également saisis à de multiples reprises.

La tactique semble d'abord rester vaine, et on le voit partout. En 2010, un indic' affirme qu'il a assisté à un match de l'équipe de football de Palerme au stade, en profitant pour se coordonner avec d'autres dignitaires de la mafia. En 2015, Radio Onda Blu diffuse des images satellite d'une maison située à Baden en Allemagne, dont on dit qu'elle est la sienne. D'après le Guardian, on le voit encore en Espagne, au Royaume-Uni, en Amérique du Sud, où il entretient des contacts.

Du moins, on croit le voir. En effet, les arrestations s'enchaînent mais c'est toujours au mauvais collet qu'on met la main. Comme en septembre 2021 où un Liverpuldien, retrace le quotidien britannique, de 54 ans attablé dans un restaurant de La Haye aux Pays-Bas est immobilisé, encagoulé puis extirpé de l'endroit - devant toute la clientèle - et emmené au poste par des policiers, au comble d'une erreur qu'ils reconnaissent au bout de quelques jours.

Un portrait-robot en évolution permanente

À la décharge des investigateurs, Matteo Messina Denaro est, lui, devenu bien difficile à reconnaître. Des informateurs jurent qu'il a eu recours à la chirurgie et même qu'il s'est arrangé pour effacer ses empreintes digitales. Aussi, les policiers, travaillant à partir de rares photos remontant aux années 1980 ou début 1990, les croisant à divers éléments, font évoluer son portrait-robot tout au long de l'enquête. Ci-dessous, on peut ainsi contempler son cliché vieilli.

Sur celui présenté ci-dessous, les experts l'ont imaginé travesti en femme.

Pour d'autres spécialistes du banditisme sicilien, Matteo Messina Denaro n'est pas parti bien loin et ne se cache pas tant que ça. Dans la biographie qu'il lui a consacrée en 2020, le journaliste Lirio Abbate affirme qu'il a toujours l'habitude de se balader dans Palerme en voiture de sport, avec sa maîtresse du moment.

La question des complicités

La nasse se referme pourtant sur cet amateur de cylindrées, de costumes de prix, et qui aime visser des lunettes Ray-Ban sur son nez. Il ne communique plus avec l'extérieur - remarque ici Ouest-France - que par pizzini, des petits bouts de papier qu'il noircit de ses instructions et qu'il transmet à ses destinataires grâce à des coursiers de confiance avec mille précautions: au point que le message atteint parfois sa cible au terme de plusieurs mois.

Maintenant que la justice a son homme sous les verrous, elle aura d'ailleurs à charge de faire la lumière sur les ultimes amitiés et complicités dont Matteo Messina Denaro a bénéficiées. Et surtout sur les appuis qui auront permis à l'un des commanditaires présumés de l'attentat contre le juge Falcone, meurtrier de Giuseepe Di Matteo et de dizaines d'autres personnes, de la narguer 30 ans durant.

Article original publié sur BFMTV.com