Sanctionner les "parents défaillants"? C'est prendre "le problème dans le mauvais sens" pour ces acteurs de terrain

Aurore Bergé, ministre des Solidarités et des familles, a annoncé dans La Tribune du dimanche du 10 décembre des travaux d'intérêt général (TIG) pour les "parents défaillants" ainsi que le paiement d'une contribution financière pour les parents d'enfants coupables de dégradations. La ministre a également évoqué une amende pour ceux ne se présentant pas aux audiences qui concernent leurs enfants. Mais ses propositions sont loin de susciter l'adhésion.

Pour Béatrice Bayo, directrice de la Fédération nationale des écoles des parents et des éducateurs (Fnepe) qui soutient au quotidien familles et professionnels de la parentalité, la dénomination même pose problème. "C'est quoi un 'parent défaillant'?" s'interroge-t-elle. "Quand son enfant ne va pas en classe trois jours? Quand il commet un vol? On a tous des loupés. Dans l'absolu, on est tous des parents défaillants."

"Le cadre légal existe déjà"

Quant aux mesures annoncées, Sarah Pibarot, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, s'interroge sur leur pertinence. "Le cadre légal existe déjà", pointe-t-elle pour BFMTV.com, citant notamment l'article 227-17 du code pénal qui désigne le fait "par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation de son enfant mineur".

Des annonces ministérielles qui manquent par ailleurs de précision, dénonce encore Sarah Pibarot. "Il y a une section entière du code pénal sur la mise en péril des mineurs", ajoute-t-elle, évoquant des infractions qui peuvent déjà entraîner TIG, amendes ou stages de responsabilité parentale.

"Qu'est-ce que cela signifie? Est-ce la création d'un nouveau délit?" se demande-t-elle.

Sanctionner les parents pour des faits commis par leurs enfants semble même faire débat au sein du monde judiciaire. "Un TIG ne peut être prononcé que s'il y a déjà une infraction pénale poursuivie et réprimée. Laquelle?" s'interroge pour BFMTV.com Cécile Mamelin, vice-présidente de l'Union syndicale des magistrats (USM).

Sans compter que l'une des mesures annoncée par Aurore Bergé serait même contraire aux lois de la République. "On ne peut pas condamner pénalement les parents pour un acte commis par leurs enfants, ils sont seulement responsables civilement", juge Cécile Mamelin.

"Une amende aux parents pour dégradations commises par les enfants, c'est inconstitutionnel."

"Pas de sens ni à court ni à long terme"

En plus de ces questions de droit, la vice-présidente de l'USM s'interroge sur le bien-fondé de ces mesures lorsque les relations parents-enfants sont déjà compliquées. "Quel intérêt de mettre en plus une amende? Ces familles sont souvent sans gros moyens financiers et plus démunies que défaillantes."

"Pénaliser les difficultés éducatives et familiales n'a de sens ni à court ni à long terme", considère Cécile Mamelin.

Une analyse que partage Béatrice Bayo, la directrice de Fnepe. "Du travail d'intérêt général, non seulement c'est stigmatisant mais cela assimile des parents dit défaillants à des délinquants. Est-ce que ça va vraiment rétablir leur autorité parentale? On va enfoncer le parent et renforcer l'éloignement avec l'enfant."

Aurore Bergé, qui a entamé "un tour de France de la parentalité", a pourtant déclaré qu'il y avait "clairement un enjeu d'autorité à restaurer", voulant "redonner aux parents la place qui leur revient".

Même mise en garde pour Delphine Théaudin, psychologue clinicienne et psychothérapeute. "On va dire aux parents: 'si vous ne faites pas votre job, vous serez punis'. Mais encore faut-il qu'ils aient les moyens d'accompagner leurs enfants d'un point de vue éducatif." Pour cette psychologue spécialiste de la parentalité, "avant la question de la sanction se pose d'abord celle de la prévention par le soutien à la parentalité".

"Il vaudrait mieux donner les moyens aux éducateurs et juges des enfants", abonde Cécile Mamelin, la vice-présidente de l'USM, qui regrette que les mesures d'assistance éducative en milieu ouvert -c'est-à-dire l'intervention à domicile d'un travailleur social- ne soient souvent pas exercées "avant des mois" faute de moyens.

"Ce n'est absolument pas la solution"

Autre élément à prendre en compte: ces mesures risqueraient de pénaliser les mères en particulier, s'en inquiète sur BFMTV Fatimata Sy, la fondatrice du collectif de mères Les Gilets roses. "Les papas, vous n'allez pas les trouver (...), ce sont les mamans que vous allez condamner." Lors des émeutes de l'été dernier, un tiers des émeutiers étaient mineurs et quelque 60% avaient grandi dans des familles monoparentales.

"Ce sont souvent des mères qui se lèvent très tôt pour aller travailler et rentrent très tard. Mais cela ne veut pas dire qu'elles sont démissionnaires ou défaillantes", abonde pour BFMTV.com Mohamed Mechmache, éducateur de rues et coordinateur de l'association ACLeFeu -association créée à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) au lendemain des émeutes de 2005.

Il déplore une vision "simpliste" du problème. "Il faut regarder la situation globale de ces familles qui ont déjà la tête sous l'eau: l'environnement social, le contexte économique. On ne réglera rien avec des amendes ou des heures de TIG."

"La responsabilité est collective."

"Pénaliser, c'est complètement inadapté, ce n'est absolument pas la solution", tranche Sarah Pibarot, la secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature. Elle va même plus loin et accuse l'État et les départements de "défaillances", notamment dans le cadre de la protection de l'enfance. "On prend le problème dans le mauvais sens."

Article original publié sur BFMTV.com