Comment les sécheresses changent le contenu de nos assiettes

Certaines céréales et légumineuses remplaceront nos traditionnels plats de pâtes.
AFP Certaines céréales et légumineuses remplaceront nos traditionnels plats de pâtes.

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Certaines céréales et légumineuses remplaceront nos traditionnels plats de pâtes.

SÉCHERESSE - Patates de la taille d’une balle de ping-pong, feuilles de maïs flétries et fleurs de tournesol décrépites : les cultures souffrent de la canicule cumulée à une sécheresse qui n’en finit plus et les agriculteurs voient leurs rendements s’écrouler. Une catastrophe amenée à se répéter presque tous les étés avec le réchauffement climatique. Dans ce contexte, sera-t-il possible de trouver des solutions pour sauver les cultures les moins résistantes à la chaleur ? Ou faut-il nous faire à l’idée que dans les prochaines années certains aliments disparaîtront de nos assiettes ?

« On est plus sur un aléa climatique tous les dix ans. Ces dernières années, tous les ans, un événement nouveau affecte l’agriculture », remarque Philippe Debaeke, directeur de recherche à l’Inrae (Institut nationale de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) contacté par Le HuffPost.

De fait, le bilan des trois dernières années est parlant. 2022 est l’année de la sécheresse record avec le mois de juillet le plus chaud depuis 1959 avec pour corollaire une baisse de la production : -21 % pour le blé dur, -16 % pour l’orge de printemps, selon les données de l’Agreste, service de statistique agricole. L’année dernière, ce sont les gelées tardives qui ont détruit les récoltes, alors qu’en 2020, les productions céréalières ont été touchées par des épisodes de pluie et de sécheresse marqués.

Frites de patate douce et pain à la farine de sorgho

Les plantes sont déjà obligées de s’adapter à ces dérèglements du climat et ce sont nos assiettes qui en pâtissent. Nos patates sont cette année assoiffées et n’ont pas pu pousser correctement. Trop petites pour en faire des frites, c’est un pan de l’industrie agroalimentaire qui est impactée. Leslie Camus, vice-présidente agriculture pour McCain interrogée par Europe 1, estime la baisse à 6 % pour 10 ans pour son entreprise de frites. Même si ce n’est pas non plus la fin des patates, il va falloir trouver des alternatives, « il y a des féculents et légumineuses moins gourmands en eau comme les patates douces et les pois chiches », soumet Philippe Debaeke.

Moins de frites mais aussi moins de pâtes ? « Le blé est la culture qui a le plus souffert de cette sécheresse, qui a été particulièrement intense en avril et mai, période où les grains se mettent en place, se remplissent et grossissent », déplore Serge Zaka, agroclimatologue pour ITK, une entreprise d’aide à la décision pour l’agriculture. Dans les années à venir, le sorgho pourrait ainsi venir remplacer les parcelles de blé. Originaire d’Afrique, la céréale a besoin de « trois voire quatre fois moins d’eau que des cultures comme le maïs », poursuit Philippe Debaeke. La farine de sorgho peut être utilisée pour faire du pain, des crêpes et même des pâtisseries !

Un vin plus sucré et chargé en alcool

Le changement climatique s’attaque aussi à nos fruits, devenus plus petits et plus sucrés ces dernières années. Les arboriculteurs constatent une floraison précoce, ce qui rend des arbres comme les poiriers ou pommiers plus vulnérables aux gels tardifs.

Pour y faire face, les calendriers des agriculteurs sont chamboulés et les récoltes sont avancées. Les vignerons vendangent par exemple deux semaines plus tôt qu’en 1990. Avec la chaleur, nos raisins sont plus sucrés et moins acides, faisant aussi évoluer les saveurs de nos vins. « L’équilibre acide, arôme, sucre est déséquilibré par la hausse des températures, le vin est plus confituré et plus chargé en alcool », détaille pour Le HuffPost Jean-Marc Touzard, spécialiste des innovations pour l’adaptation de l’agriculture au changement climatique.

Autres ennemis des fruits en pleine progression : les maladies et parasites qui profitent des conditions climatiques qui leur sont de plus en plus favorables. Dans les vergers, la mouche asiatique prolifère notamment sur les cerisiers.

Face au changement climatique, aucun végétaux n’est épargné. Même les plus friands d’aridité sont menacés. La betterave sucrière, par exemple, aime le chaud et le sec mais s’arrête de pousser au-delà de 35 °C. Alors pas le choix, les scientifiques doivent dorénavant réfléchir à comment soutenir la nature et l’aider dans sa transition.

Vers un exil des cultures

Certaines solutions sont simples comme le fait de semer plus tôt. Cette technique déjà adoptée par les agriculteurs a contribué à l’augmentation du rendement du maïs depuis une dizaine d’années en France. Mais après 2050, cela ne suffira pas selon les chercheurs de l’Inrae alors que les canicules s’intensifient et que la demande en eau des cultures augmente pour compenser l’évaporation par les feuilles et la diminution des précipitations.

Arroser plus pour compenser le déficit pluviométrique ? Difficile à envisager dès lors que les ressources aquifères sont sous pression. Des pistes pour une irrigation plus raisonnée comme le goutte-à-goutte ou l’utilisation des eaux usées sont en réflexion, et pourront un temps limiter les dégâts.

Seulement, il faut déjà envisager des mesures encore plus fortes comme le déplacement des cultures du Nord vers le sud. « On tente de remonter le sorgho vers le centre de la France et le soja vers le nord. Il est d’ailleurs déjà cultivé en Normandie », illustre Philippe Debaeke. Chez certains de nos voisins européens, les fruits exotiques font même leur apparition sur les parcelles. Bananiers et litchiers chassant les orangers et citronniers des paysages.

Ce grand remplacement des cultures ne peut être suffisant sans action sur les causes du réchauffement et sans changement d’habitude alimentaire, rappelle au HuffPost Rachid Mrabet, auteur du Giec : « c’est l’une des mesures d’atténuation les plus efficaces, il faut aller vers un régime alimentaire méditerranéen avec plus de fruits, légumes et légumineuses et moins de produits d’origine animale comme la viande ou le lait ».

À voir aussi sur Le HuffPost : Quelles alternatives pour faire face à la pénurie d’eau potable ?

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