En Russie, la rébellion d’Evguéni Prigojine a affaibli Vladimir Poutine et son clan comme jamais

 Après la rébellion éclair des paramilitaires de Wagner samedi 24 juin, Vladimir Poutine n’a jamais été aussi affaibli en 23 ans au pouvoir, selon des experts.
Après la rébellion éclair des paramilitaires de Wagner samedi 24 juin, Vladimir Poutine n’a jamais été aussi affaibli en 23 ans au pouvoir, selon des experts.

RUSSIE - Un Tsar aux pieds d’argile ? Après la rébellion éclair des paramilitaires de Wagner samedi 24 juin, « Poutine n’a jamais été autant affaibli en 23 ans au pouvoir », estime Nicolas Tenzer, directeur de la publication de Desk Russie et enseignant à Sciences-Po, interrogé par Le HuffPost. Cette insurrection a non seulement sérieusement écorné l’image de chef suprême qu’incarnait Vladimir Poutine, mais il pourrait également voir son clan se retourner contre lui.

Premier échec pour le chef du Kremlin : Evguéni Prigojine, le chef de la milice Wagner, est entré comme dans du beurre au cœur du quartier général de l’armée russe à Rostov. Avant d’appeler ses hommes à reculer pour « éviter un bain de sang », Prigojine a effectivement réussi, en moins de 24h, à prendre le contrôle d’une partie d’une ville de plus d’un million d’habitants, et à s’approcher à moins de 400 kilomètres de Moscou. Le patron du groupe paramilitaires a assuré ce lundi que ses hommes s’étaient heurtés à peu de résistance pendant leur marche vers la capitale.

Négociation avec l’ennemi

« Prigojine a complètement échappé à son contrôle. Poutine n’a pas su gérer le conflit entre le chef de Wagner et son ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, et ça lui est revenu à la figure », analyse Carole Grimaud, chercheuse spécialiste de la Russie, au HuffPost. Evgueni Prigojine réclamait en effet depuis des semaines la destitution du ministre de la Défense et du chef d’état-major, Valeri Guerassimov, jugés responsables des défaites militaires en Ukraine. Poutine lui avait répondu par la défensive en réduisant les pouvoirs de Prigojine sur le front, et en liant, via un contrat, Wagner avec l’armée régulière russe.

Après la rébellion du chef de Wagner, le président russe apparaît ainsi incapable d’affronter les dangers qui menacent sa survie politique. « Après cet épisode, on peut même se poser la question du pouvoir de Poutine, contrôle-t-il encore la Russie ou est-il lui-même sous le contrôle des élites qui l’entourent ? », questionne Carole Grimaud.

Preuve supplémentaire de son affaiblissement, Poutine a négocié avec celui qui a menacé son pouvoir, en signant un accord dimanche avec son ennemi Prigojine par le biais d’Alexandre Loukachenko, le dictateur biélorusse. « Le samedi il avait pourtant désigné Prigojine comme un ’traître’, normalement, dans le langage de Poutine, un traître ne survit pas. Pour preuve : les nombreuses tentatives d’empoisonnements de ses dissidents ces dernières années », abonde Nicolas Tenzer.

Mais le président russe peut-il néanmoins faire oublier cet échec et renouer avec son aura d’antan ? Il y a deux hypothèses, selon l’enseignant de Sciences-Po. Soit Vladimir Poutine va reprendre le contrôle dans les prochaines semaines « en déclarant que l’accord pris avec Loukachenko est nul et non avenu, en décidant de finalement se débarrasser de Prigojine, et de réintégrer de force le groupe Wagner à l’armée régulière russe ». Ou, au contraire, il va continuer dans la voie de la « compromission », et laissera Prigojine poursuivre ses activités, ce qui marquerait un coup sévère à son pouvoir.

Un clan qui se délite

Le chef du Kremlin n’aura sans doute même pas le choix entre ces deux hypothèses, et son avenir politique dépend surtout de son entourage qui pourrait bien se rebeller. « Il y a contrat tacite entre Poutine et les élites. Il leur garantit la protection, le pouvoir, et la richesse, contre leur loyauté », explique Carole Grimaud. Or, si les élites n’obtiennent pas ce qu’elles veulent, et ne se sentent plus protégées par un chef au pouvoir déclinant, Poutine perdra leur soutien.

Tous les « hommes forts » de Poutine, tels que Serguei Narychkine, le patron du renseignement extérieur ou Valeri Guerassimov, le chef d’état-major des armées, dont certains estiment qu’ils n’ont rien à gagner financièrement avec la guerre en Ukraine, pourraient lui tourner le dos, juge Nicolas Tenzer. « Pour l’heure, ce ne sont que des hypothèses, et rien ne dit que son clan va chercher à le renverser », nuance-t-il cependant rapidement.

Outre ce combat politique pour garder ses piliers, Poutine devra également remobiliser ses troupes sur le front ukrainien. Car si Mosou affirme que la mutinerie menée par Wagner n’affectera « en aucun cas » l’intervention militaire russe en Ukraine, ces troubles pourraient au minimum avoir un effet sur le moral des soldats russes au moment où ils font face à des vagues d’assauts ukrainiens depuis des semaines, souligne Carole Grimaud. Et même si l’armée russe est moins dépendante de Wagner depuis la prise de Bakhmout en mai, la milice représentait tout de même l’une des forces les plus aguerries dans les rangs russes.

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