Russie: le Français Laurent Vinatier a été placé en détention provisoire jusqu'à son procès

Un tribunal de Moscou a ordonné vendredi le placement en détention provisoire jusqu'au 5 août du Français Laurent Vinatier, accusé d'avoir violé la loi sur les "agents de l'étranger".

La Cour a prononcé cette décision, à la demande des enquêteurs, bien que l'accusé ait présenté des "excuses" pour ne pas s'être enregistré comme agent de l'étranger, et avoir affirmé avoir "porté la position de la Russie" dans son travail.

Cette affaire tombe en plein accroissement des tensions entre la Russie et la France, Moscou étant soupçonnée d'une série d'actes de déstabilisation et désinformation et Paris se voyant reproché son soutien croissant à l'Ukraine.

Jusqu'à cinq ans de prison pour ce délit

Le tribunal Zamoskvoretski de Moscou a ordonné, à la demande des enquêteurs, le placement en détention de Laurent Vinatier au moins jusqu'au 5 août, en vue d'un éventuel procès, ont constaté des journalistes de l'AFP sur place. Le Français, qui est apparu les traits tirés et vêtu d'une chemise noire dans la cage réservée aux accusés ce vendredi, est soupçonné de ne pas s'être enregistré comme "agent de l'étranger" alors qu'il recueillait des informations sur les activités militaires de la Russie.

La législation sur les "agents de l'étranger" est utilisée par les autorités russes pour réprimer ou surveiller leurs détracteurs et adversaires. Le délit en question est passible de cinq ans de prison.

Son avocat Alexeï Sinitsyne a assuré que son client "ne savait pas" qu'il était obligé de s'enregistrer sous ce label infâmant. Il demandait son placement en résidence surveillée à Moscou, chez son épouse, et non en centre de détention. L'AFP n'a vu aucun représentant de l'ambassade de France à l'audience.

"Sécurité de l'État"

Le Comité d'enquête, puissant organe russe, a lui affirmé jeudi que les informations collectées par Laurent Vinatier, "si elles sont obtenues par des sources étrangères, pourraient être utilisées contre la sécurité de l'État" russe, ce qui pourrait théoriquement conduire à d'autres poursuites.

Selon des sources interrogées par l'AFP, l'intéressé, âgé de 47 ans, travaillait depuis de longues années sur le conflit entre la Russie et l'Ukraine, avant même l'assaut de février 2022, dans le cadre de discrets efforts diplomatiques en parallèle des États.

L'employeur de ce Français, l'ONG suisse Centre pour le dialogue humanitaire (HD), a demandé jeudi sa "libération". Et le président français Emmanuel Macron a martelé que l'intéressé n'était "en aucun cas (...) quelqu'un qui travaillait, qui travaille pour la France".

Les médiateurs d'ONG comme HD travaillent dans la confidentialité et hors des carcans de la diplomatie classique, ce qui permet des contacts informels entre adversaires mais cela peut aussi exposer ces acteurs à des accusations d'espionnage.

L'arrestation du Français intervient en pleines tensions russo-françaises, justement du fait de l'Ukraine. Paris s'efforce de convaincre ses alliés de dépêcher des instructeurs militaires dans ce pays pour former les soldats ukrainiens, en difficulté face aux forces russes. Emmanuel Macron a également évoqué l'envoi de troupes, suscitant la colère du Kremlin et de nouvelles menaces d'escalade.

Tensions avec Paris et Berne

En outre, cette arrestation est intervenue au lendemain de l'interpellation en région parisienne d'un Russo-Ukrainien soupçonné d'avoir projeté une action violente en France, à moins de deux mois du début des Jeux olympiques à Paris.

La Russie est aussi soupçonnée de multiples actions d'ingérence, d'intimidation ou de désinformation, des accusations qu'elle rejette.

La Russie détient plusieurs Américains dans ses prisons et est accusée de procéder à de telles arrestations pour ensuite négocier des échanges afin de libérer ses agents. C'est le cas du journaliste américain Evan Gershkovich, accusé d'espionnage malgré ses dénégations, celles de ses proches, de son pays et de son employeur. Moscou semble vouloir l'échanger contre un homme condamné en Allemagne pour avoir commis un assassinat pour le compte des services secrets russes.

La Suisse et la Russie entretiennent aussi des relations difficiles du fait de l'Ukraine. Le Kremlin considère que la Confédération helvétique ne respecte pas sa sacro-sainte neutralité car elle a adopté les sanctions européennes et accueille les 15-16 juin un sommet de la paix, à la demande de Kiev, tout en en excluant la Russie.

Les responsables russes accusent la Suisse d'"avoir perdu toute crédibilité en tant que pays neutre et vilipendent la conférence du Bürgenstock. Faut-il voir un lien avec cette arrestation ?", s'interroge le quotidien suisse Le Temps.

Article original publié sur BFMTV.com