Royaume-Uni: pourquoi Liz Truss pourrait être la Première ministre la plus éphémère de l'histoire

Royaume-Uni: pourquoi Liz Truss pourrait être la Première ministre la plus éphémère de l'histoire

À peine six semaines et déjà sur la sellette. Depuis son intronisation le 6 septembre dernier, le mandat de Liz Truss à la tête du gouvernement britannique semble marqué du signe indien. En effet, après avoir eu l'infortune de voir la reine mourir deux jours après son intronisation, la Première ministre entend déjà la classe politique, les observateurs et l'opinion planifier son propre enterrement politique.

Le tabloïd Daily Star s'amuse à comparer, en direct sur YouTube, sa longévité à son poste à celle d'une laitue (dont la date de péremption est fixée à 10 jours). En-dehors de cette comparaison potagère, sa position est si fragile qu'on imagine mal Liz Truss parvenir à égaler les 118 jours de pouvoir de George Canning en 1827, Premier ministre britannique le plus éphémère au 10 Downing Street à ce jour. BFMTV.com explique ce mardi comment Liz Truss a pu tomber si bas si vite.

La "grave erreur" de Liz Truss

"Liz Truss a commis une grave erreur. Elle a cru pouvoir présenter son programme afin de gagner la compétition interne aux Tories comme un programme électoral, et aborder son début de mandat comme si elle avait elle-même remporté des élections législatives", analyse auprès de BFMTV.com l'essayiste expert des thématiques européennes, Patrick Martin-Genier.

À la fin de l'été, Liz Truss a pris de vitesse ses adversaires dans la course au remplacement de Boris Johnson, évincé par les Conservateurs, avec une recette libérale aussi simple que corsée. Elle a bâti son succès sur l'élaboration d'un "mini-budget" aux airs de choc fiscal. L'idée était de diminuer les dépenses publiques, tout en baissant l'impôt pour les plus riches et les taxes sur les sociétés. Sauf que tout a dérapé dès le 23 septembre lorsque le "mini-budget" en question a été dévoilé devant les députés.

Le tollé suscité au sein de l'opinion et de la classe politique par ce remède de cheval l'a conduite à avaler son chapeau à de multiples reprises. Liz Truss entendait baisser de 45 à 40% l'impôt au-dessus de 172.000 livres par an? Ce sera non. Elle comptait annuler la hausse de 19 à 25% de la taxation sur les sociétés décidée par l'exécutif précédent? Elle va finalement la maintenir.

Des désaveux économiques à la tourmente politique

Ces mesures n'étaient pas seulement impopulaires auprès de la population britannique. Elles ont également affolé les marchés financiers: le FMI a fustigé une politique "non ciblée" et non financée, et la livre sterling s'est effondrée à son niveau le plus bas historiquement face au dollar. Dans le même temps, les intérêts des emprunts britanniques ont grimpé en flèche.

Ces désaveux économiques ont entraîné l'intéressée dans une grave crise politique. Lundi soir, Liz Truss s'est dite désolée des "erreurs commises", affirmant à la BBC avoir voulu aller "trop loin, trop vite". Vendredi dernier, elle avait déjà dû sacrifier son Chancelier de l'Echiquier (ministre des Finances) et ami, Kwasi Kwarteng, et promouvoir Jeremy Hunt à sa place.

Le "pilotage politique" lui échappe

Et ce dernier ne cherche pas à jouer les bons camarades. S'exprimant lundi devant la Chambre des Communes, il n'a pas hésité à balayer la politique financière portée par sa Première ministre et ce, sous les yeux de celle-ci. "C'est un camouflet, une humiliation", a égrené Patrick Martin-Genier qui a noté que Jeremy Hunt a pris à contre-pied la programme de sa patronne sur un dernier point: "Il se réserve le droit de mettre des impôts extraordinaires sur les entreprises pétrolières, soit l'inverse de ce qu'elle voulait".

Résultat: Liz Truss semble déjà ne plus exercer la réalité du pouvoir d'après les observateurs. "La presse dit qu'elle n'est plus que Première ministre en titre, et Jeremy Hunt apparaît comme le Premier ministre dans les faits", pointe l'essayiste spécialiste du Royaume-Uni qui remarque encore:

"Il n'y a plus de pilotage politique de sa part. Beaucoup de conservateurs jugent que son départ n'est plus qu'une question de jours. Pour eux, elle ne peut plus tenir parce qu'elle n'en a plus la force politique, parce que son programme n'existe plus et en raison de sa malhonnêteté politique".

Malentendu chez les Tories

En effet, si naturellement l'opposition n'a jamais cautionné sa politique d'austérité, ses propres soutiens ne tolèrent pas son revirement à 180°. "Les Tories ne lui pardonnent pas d'avoir été élue sur un programme qu'elle a déjà renié", ajoute Patrick Martin-Genier.

Au fond, d'après l'expert, un départ de Liz Truss ne ferait que corriger un malentendu originel, sa désignation ne découlant que d'un profond malentendu ou, selon son expression, d'un "double divorce". Liz Truss a misé sur la base, de plus en plus droitière, du Parti conservateur afin de vaincre la concurrence lors de la campagne interne. Or, cette base est en décalage non seulement avec le reste du pays, peu pressé de voir arriver une nouvelle Margaret Thatcher à sa tête alors que ses factures de gaz et d'électricité, à présent gelées, ont déjà doublé depuis 2021, mais aussi avec le groupe parlementaire du mouvement. "Le groupe parlementaire conservateur est plus centriste et lui préférait Rishi Sunak" lors de la primaire, met ainsi en exergue Patrick Martin-Genier.

Emballé, c'est pesé: il reviendrait donc au Parti conservateur de se débarrasser d'une Première ministre dont il ne veut plus et dont il n'a peut-être jamais voulu. Hélas pour lui, il est bloqué à deux enseignes. Tout d'abord, ses statuts lui interdisent en principe de renverser son chef dans l'année suivant son intronisation. De surcroît, il n'y a aucun intérêt électoralement parlant.

Impossibles élections

Le premier point n'est pourtant pas rédhibitoire. Le Parti conservateur dispose d'une instance chargée de l'organisation d'un éventuel vote de défiance, le "comité 1922", regroupant les députés de la formation. "Si le comité estime qu'une majorité des députés ne veulent plus de Liz Truss, il peut changer les règles en vigueur en quelques jours", pose l'expert des questions européennes qui poursuit: "Le meilleur choix serait alors de convoquer des élections générales anticipées (le prochain scrutin devant en principe attendre 2024, NDLR)".

C'est ici que le bât blesse. Car les Tories s'exposeraient à une sévère déculottée au cas où ils devraient en repasser par les urnes ces temps-ci. Deux sondages réalisés lundi esquissent l'ampleur du désastre: une enquête opérée par l'institut Deltapoll accorde 55% des projections actuelles aux Travaillistes, les Conservateurs n'en recueillant que 23%. C'est pire encore du côté de l'étude dirigée par Redfield & Wilton avec un Labour jaugé à 56% contre des Tories tassés à 20%. Un écart de 36 points qui est tout simplement le plus vaste fossé sondagier dans l'histoire des deux mouvements.

"Le Parti conservateur a exaspéré la population car il est apparu comme le parti des riches, surtout depuis le Brexit. Les Travaillistes remporteraient leur plus large victoire depuis celle de Tony Blair en 1997 et reprendraient même les 'circonscriptions rouges' perdus lors des dernières élections", explique Patrick Martin-Genier, récapitulant: "Le Parti conservateur joue sa survie politique".

Sunak, Hunt... ou Johnson: qui pour remplacer Liz Truss?

Pour survivre, les Tories ont donc à résoudre la quadrature du cercle: retarder l'échéance des élections, et changer tout de même de capitaine. Londres bruisse déjà de remplaçants putatifs de Liz Truss. Outre le Chancelier de l'Echiquier Jeremy Hunt, on évoque logiquement Rishi Sunak, rival le plus sérieux de la Première ministre lors de la récente campagne interne. D'autres hypothèses circulent, plus extravagantes mais pas forcément moins fondées:

"On parle d'un retour de Boris Johnson qui est un animal politique, est toujours populaire et a dit qu'il ne renonçait pas à revenir un jour au 10, Downing Street. Certains pensent même à Theresa May", sourit Patrick Martin-Genier qui suggère une ultime hypothèse: "On pourrait encore choisir ce qu'on appelle là-bas un 'caretaker Prime minister', c'est-à-dire un Premier ministre par intérim".

Tout sauf Liz Truss donc? C'est bien ce que ces différents scénarios ont en commun en tout cas. Une tendance à l'unisson de la cote personnelle de la cheffe du gouvernement auprès des Britanniques. Celle-ci atteint ainsi des abysses inédits pour un Premier ministre. Un sondage YouGov publié ce mardi par The Independent ne la crédite que de 10% de bonne opinion, contre 80% d'hostilité. Un seul personnage est plus mal famé au sein de la population: le prince Andrew, mêlé dans le scandale sexuel soulevé par l'affaire Epstein, qui ne trouve grâce qu'aux yeux de 5% de ses concitoyens. Liz Truss est décidément au 36e dessous.

Article original publié sur BFMTV.com