Retraites: le deal "secret" avec les LR au Sénat qui embarrasse la gauche

La gauche sénatoriale s'est mise d'accord avec la droite pour ne pas examiner la retraite à 64 ans dans l'hémicycle avant la mobilisation sociale du 7 mars. En échange, les débats s'accéléreront ensuite pour parvenir à faire voter la réforme avant la date limite fixée par le gouvernement.

"C'est censé rester secret". La confidence est signée de l'entourage de l'un des poids lourds au Sénat. La gêne est palpable après les échanges entre la gauche de la chambre haute et la droite autour d'un petit-déjeuner mercredi, à la veille de l'arrivée de la réforme des retraites ce jeudi après-midi dans l'hémicycle.

Et pour cause: les sénateurs socialistes, communistes et écologistes se sont mis d'accord avec Les Républicains qui détient la majorité avec les centristes sur la tournure des débats au Sénat.

"Un gentleman's agreement"

Leur position ne pourrait pourtant pas être plus opposée. La droite sénatoriale défend depuis plusieurs années le recul de l'âge de départ à la retraite tandis que la gauche y est farouchement opposée.

"Ce qui a été dit, c'est que jusqu'à l'article 7 qui reporte la retraite à 64 ans, nous aurions une méthode de débat normal et qu'après, nous irions sur une méthode qui va s'accélérer", explique à BFMTV.com Guillaume Gontard, le président du groupe écologiste.

Une partie de la gauche estime ainsi avoir tenu l'un de ses principaux objectifs: ne pas débattre des 64 ans avant la mobilisation sociale du 7 mars prochain avec l'espoir qu'un fort taux de grévistes puisse faire basculer les sénateurs centristes qui hésitent à voter pour la mesure.

"Ce gentleman’s agreement permettra de laisser le peuple s’exprimer en premier", a ainsi avancé mercredi Patrick Kanner, le patron des sénateurs socialistes.

"On va faire un cadeau au gouvernement"

Mais la contrepartie est claire: parvenir à examiner les vingt articles de la réforme d'ici le 12 mars - suivant le calendrier fixé par le gouvernement - et voter le projet de loi. Pour s'assurer de la bonne volonté de la droite à aller au bout du texte, l'exécutif est prêt à lâcher du lest.

Que ce soit sur la carrière des femmes qui pourrait bénéficier d'une surcote à partir de deux enfants, l'index senior ou le CDI senior, le gouvernement devrait accepter l'immense majorité des propositions de la droite sénatoriale. De quoi faire grincer des dents à gauche.

"C'est vraiment dommage. Si le projet de loi n'est pas voté, on prive le gouvernement de toute légitimité parlementaire pour sa réforme à l'Assemblée et au Sénat. On va faire un cadeau au gouvernement en adoptant ce texte", regrette la sénatrice communiste Marie-Noëlle Lienemann.

"On ne s'en sort pas si mal"

Mais certains de ses collègues banalisent cet accord. Il faut dire que la droite sénatoriale dispose de certains atouts dans sa manche pour accélérer les débats comme l'article 38 du règlement du Sénat.

Il limite ainsi à deux orateurs "d’avis contraire" les prises de parole "sur l’ensemble d’un article ou dans les explications de vote portant sur un amendement".

"Chacun a montré ses muscles dans les discussions entre les groupes. Le Sénat avance systématiquement par la négociation. On a procédé d'une façon assez classique finalement", avance de son côté le sénateur communiste Pierre Ouzoulias.

Autre son de cloche d'un socialiste: "la droite va utiliser les outils à sa disposition. Autant que ça nous serve un peu aussi. On a négocié sur l'article 7 et obtenu quelque chose. Dans une maison autant à droite, on ne s'en sort pas si mal".

"C'est bien normal"

Dans les rangs des LR, on valide en tout cas la méthode retenue qui a l'avantage de laisser la main à la droite sur le ton et le rythme des débats.

Mal-aimé des Français qui s'interrogent régulièrement sur son coût et son utilité, la manœuvre a également l'avantage de redorer le blason du Sénat qui compte bien apparaître comme le lieu du débat sur les retraites, après les échanges parfois chaotiques à l'Assemblée nationale.

"Ce ne sont pas les circonstances qui vont faire le débat. On utilise le règlement à notre disposition et c'est bien normal. Et je me fous de coller ou non au calendrier des syndicats", lâche ainsi le sénateur Marc-Philippe Daubresse, l'un des ténors de la droite sénatoriale.

Une demande de référendum à gauche

Avec un risque cependant pour la droite: apparaître comme la béquille du gouvernement en apparaissant comme un allié d'une réforme très largement contestée par les Français.

"Ce n'est pas nous qui allons voter la réforme d'Emmanuel Macron, c'est la majorité qui va voter la réforme que le Sénat vote depuis quatre ans tous les automnes", a tenté de contrer Bruno Retailleau, patron des sénateurs LR sur notre antenne ce jeudi matin.

À gauche, on espère bien capitaliser médiatiquement sur ce vendredi, où les sénateurs vont déposer une demande de référendum qui n'a cependant quasiment aucune chance d'aboutir.

Article original publié sur BFMTV.com

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