"Je me retourne, elle n'est plus là" : au procès de l'incendie de la rue Erlanger, la "sidération" des rescapés

L'incendie dans l'immeuble situé au 17 bis de la rue Erlanger à Paris a fait 10 morts dans la nuit du 4 au 5 février 2019. - Benoît Moser / BSPP - Brigade de sapeurs-pompiers de Paris
L'incendie dans l'immeuble situé au 17 bis de la rue Erlanger à Paris a fait 10 morts dans la nuit du 4 au 5 février 2019. - Benoît Moser / BSPP - Brigade de sapeurs-pompiers de Paris

La cour d'assises de Paris a entendu vendredi les premiers témoignages des rescapés de l'incendie de la rue Erlanger. 10 personnes sont mortes dans le sinistre.

"J'ai entendu plusieurs témoignages qui m’ont encore plus fait réaliser ce que j’ai fait." Après une première semaine d'audience, Essia B. a demandé ce vendredi après-midi en toute fin d'audience à prendre la parole. "Ça fait une semaine que le procès a commencé, je suis très abattue, je ne dors plus, je ne mange plus. (...) Je veux redire que ce geste n’était pas dirigé contre les gens, ce geste qui a mené à une catastrophe et j’en suis vraiment désolée."

Ces remords, les deuxièmes exprimés depuis l'ouverture lundi devant la cour d'assises de Paris du procès de l'incendie de la rue Erlanger, font écho aux premiers témoignages des rescapés de ce sinistre qui a fait dix morts dans la nuit du 4 au 5 février 2019. "J’étais en train de dormir, j’ai été réveillé en pleine nuit par une sorte de petite explosion, j’entendais mes voisins crier par l’extérieur", se souvient Mathieu, premier résidant du 17 bis de la rue Erlanger à prendre la parole.

"Les flammes m'ont cramé les cheveux"

Le jeune homme avait 22 ans au moment des faits, il travaillait dans l'hôtellerie. Il vivait au 6ème étage depuis quatre ans. Qund il entend les premiers cris, Mathieu se penche à la fenêtre, il entend que l'immeuble est en feu. "J'ouvre la porte de l’appartement, les flammes me crament les cheveux, je referme rapidement la porte", témoigne d'un ton calme le jeune homme aux cheveux roux.

De son récit, on peine à croire le sang-froid dont il a fait preuve. Alors qu'une fumée noire et dense commence à pénétrer dans son appartement, Mathieu entend les cris de ses voisins, "pas des gens qui ont peur mais des gens qui sont en train de souffrir". Lui ne prend pas le temps d'enfiler des vêtements, "toujours en sous-vêtements", il se réfugie sur un balconnet d'à peine "un mètre de large".

"J’ai fermé les volets de l’extérieur et j'ai enjambé la rambarde pour me mettre une fois de plus le plus loin possible de l’appartement", poursuit-il.

Mathieu reste dans cette position plusieurs minutes. Il regarde à sa gauche. "Je vois ma voisine qui tente de descendre, accrochée à une corde de fortune. Je la vois tomber au sol", souffle-t-il.

"Je vois le feu consommer l'escalier"

Cette voisine, c'est Radia. Elle a 40 ans. Un "pilier", un "rayon de soleil" pour sa famille. Une belle femme "généreuse", "tournée vers les autres", selon ses proches. Cette nuit du 4 au 5 février 2019, elle est seulement de passage à Paris dans cet appartement auquel elle est particulièrement attaché et qu'elle partage avec son mari. Alors que de nouveaux projets professionnels l'attendent à Grenade en Espagne, quelques mois auparavant son époux lui avait proposé de déménager. "Elle aimait beaucoup cet appartement, elle avait la vue sur la Tour Eiffel", souffle Nadjib devant la cour d'assises.

Ce soir-là, vers 23 heures, le mari de Radia a entendu les cris de dispute entre Essia B. et Quentin L. "On a cette courette qui amplifie le son quand quelqu’un rouspète", explique cet homme à la voix grave que l'on peine à entendre parfois. Un peu plus tard, une sirène puis une alarme l'alerte. "Je me lève pour voir, j’ouvre la fenêtre et en face je suis sidéré, je vois le feu consommer toute la cage d’escalier", poursuit le quadragénaire.

"On est conscient qu’il n’y a pas d’autre issue (que la fenêtre, NDLR) qui nous permette de sortir", poursuit-il.

Dans cet appartement du 6ème étage, Nadjib est "silencieux", "sidéré" au point d'avoir oublié le 18, le numéro à composer pour appeler les pompiers, qu'il est allé chercher sur Internet. Radia "panique", "elle n'arrêtait pas de parler". "Elle n'arrêtait pas de me répéter que c’était fini, qu’on allait mourir, je refusais de l’entendre", soupire l'homme face à la cour d'assises.

"Je cherchais une solution, je n'avais aucune solution. (...) On voyait les voisins en face de nous. On voit un voisin en face tomber devant nous. (...) Elle me sort l’idée absurde de faire une corde."

"Quand je l'ai vu sauter..."

Ce vendredi, la cour d'assises pouvait encore sentir la culpabilité de cet homme de ne pas avoir su trouver un "argument" pour "contredire" sa femme. Aujourd'hui, il lui arrive de se questionner encore et encore sur les "solutions" qu'il aurait pu proposer à Radia. "Ca aurait été moins stupide que d’essayer de sortir par la fenêtre", se reproche-t-il. Mais cette nuit-là, "Radia m’a demandé de commencer à préparer les draps, j’enlève la housse", poursuit Nadjib. Puis l'homme part à la recherche de son passeport, sur lequel il ne mettra jamais la main.

"Quand j’ai décidé de m’en foutre et d’accepter la situation telle quelle je me retourne et elle n’était plus là", souffle-t-il.

La corde de fortune a cédé au niveau du deuxième drap, celui que lui avait tendu son mari. "J’ai tout de suite crié 'Radia, Radia', on ne pouvait pas voir le fond. J’étais sidéré, je ne savais pas quoi faire. Je n’avais toujours pas de visuel sur les pompiers. Je craignais que notre voisin lâche prise de son balcon, il faisait froid, il était en sous-vêtement, il disait qu’il n’arrivait plus à tenir."

Pourtant les pompiers sont bel et bien là, ils sont d'ailleurs arrivés cinq minutes après le début de l'incendie. Impossible du 6ème étage de les voir tant la fumée est dense. Impossible de les voir, ils n'ont pas pu approcher les engins dans la courette où se trouve l'immeuble. "J’ai vu le pompier arriver par le balcon, il m’a demandé de le suivre, se remémore Nadjib. Je l'ai suivi. Il m’a fait descendre un étage avec cette échelle avec des crochets."

Trois personnes se sont défenestrées lors de cet incendie. Mathieu a vu à sa droite son jeune voisin, âgé de 16 ans, se jeter dans le vide. "Je pense vraiment qu’il était acculé. Quand je l’ai vu sauter, il y avait une sorte de détermination dans son regard, je pense qu’il n’avait plus de choix, témoigne-t-il interroger par l'avocat du père du jeune garçon. Quand je l'ai vu plonger dans le vide, j’ai vraiment cru que c’était mon tour...

"Je regrettais à ce moment-là de ne pas avoir pris mon téléphone portable pour pouvoir appeler mon père et lui dire que je l’aime avant de mourir", continue le jeune homme de 26 ans.

Nadjib confie avoir "perdu l'amour de sa vie". "J’ai perdu un être cher, rien ne peut changer ça. C’est un drame qui s’est passé, j’essaie de l’accepter", conclut-il les épaules basses.

Article original publié sur BFMTV.com

VIDÉO - "C'était comme envoyer nos hommes presqu'à la mort" : les témoignages des pompiers au cours du procès de l'incendie de la rue Erlanger