Le retour des trains de nuit se fait-il sur de bons rails ?
Début 2016, Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, annonçait la suppression progressive de la plupart des liaisons ferroviaires de nuit. La principale raison invoquée était l’absence de rentabilité. Sur fond de préoccupations environnementales, une dynamique inverse a depuis été enclenchée par les pouvoirs publics : le Paris-Nice revenait sur les rails le 21 mai 2021 et le Paris-Tarbes-Lourdes le 12 décembre.
Ils ont rejoint les Paris-Gap-Briançon et Paris-Rodez/Latour de Carol/Cerbère qui subsistaient encore tant bien que mal. Une dizaine d’ouvertures de lignes est promise d’ici 2030, à commencer par celle du Paris-Aurillac attendue pour la fin de l’année. Il s’agit essentiellement de lignes radiales depuis Paris, le schéma différant finalement assez peu de celui qui avait cessé d’exister en 2016.
Après un retour très médiatisé, les premiers bilans de la relance semblent positifs malgré des dysfonctionnements réguliers. Le train de nuit reste cependant encore menacé par des contraintes économiques et organisationnelles, tandis que l’État et la SNCF peinent à concevoir un véritable réseau aux échelles nationale et européenne. C’est ce que nous avons exploré dans nos recherches, nourries d’entretiens avec divers acteurs et de consultations d’archives.
Un saut de nuit
Il faut tout d’abord insister sur la particularité du train de nuit : il s’agit de trajets longs, sans desserte pendant toute une plage horaire que l’on nomme le « saut de nuit », puis avec de nombreux arrêts en fin de parcours. Le Paris-Briançon, par exemple, ne marque aucun arrêt entre son départ de Paris Austerlitz à 20h51 et Crest dans la Drôme à 4h45. Huit gares sont ensuite desservies avant d’atteindre le terminus à 8h26. À vol d’oiseau, Crest et Briançon sont distantes de 130 kilomètres.
Cela place d’emblée le train de nuit dans une forme d’ambiguïté. Est-ce un service dont la gestion dont se faire à l’échelle nationale du fait de la grande distance parcourue ou bien doit-elle revenir aux régions en raison du maillage de desserte dans un territoire en particulier ? Avant l’arrêt du service, la SNCF semble avoir ainsi, à plusieurs reprises, avoir suggéré des suppressions de lignes avec dans l’idée que les annonces pousseraient pour un transfert de compétences aux régions ou à l’État.
Entre 1951 et 1980, les trains de nuit empruntaient près de 15 000 kilomètres de lignes, s’arrêtant dans 256 gares. Avec cet effet « saut de nuit », la réduction du service entre 1981 et 2007 tient davantage de la réduction des dessertes que du kilométrage de voies parcourues (400 km de moins seulement). C’est après 2007 que la rupture semble prononcée à leur sujet.
Victime d’un manque d’investissement
La quasi-disparition annoncée en 2016 tenait ainsi à un faisceau de facteurs aux origines bien différentes.
En premier lieu intervient le fait que le train de nuit comporte des coûts d’exploitation plus importants que ceux du TER ou du TGV. Compte tenu des horaires du voyage, ce service requiert en effet plusieurs équipes d’agents et de conducteurs et parfois plusieurs locomotives pour un même trajet, des diesels relayant des électriques selon la nature du réseau ou bien quand le parcours se divise en plusieurs branches. Les voitures ne servent de plus qu'une seule fois par jour quand le matériel TER, TGV et Intercités peut effectuer plusieurs trajets quotidiennement.
Un rapport public de 2015 intitulé « Trains d’équilibre du territoire : agir pour l’avenir » jugeant le modèle « à bout de souffle », recommande ainsi à l’État de maintenir seulement deux lignes (Paris-Briançon et Paris-Rodez/Toulouse-Latour de Carol) au nom de l’aménagement du territoire.
Le train de nuit a également été la première victime du manque d’investissement pendant plusieurs décennies dans l’entretien du réseau ferré national. Rattraper le retard implique des travaux qui s’effectuent essentiellement la nuit. Le matériel roulant ne semble d’ailleurs pas avoir reçu davantage d’attention : la plupart des wagons avait plus de 40 ans au moment où le service prenait fin. Le rôle de l’État reste loin d’être neutre. Un manque de stratégies et moyens sur ce segment de service explique en grande partie son déclin.
Il faut aussi souligner l’important de la concurrence : la grande vitesse ferroviaire matérialisée par le TGV et le nécessaire raccourcissement des distances-temps ont pris des parts de marché au service de nuit, de même que, dans une certaine mesure, les dessertes aériennes métropolitaines, les cars dits « Macron » ou le covoiturage. La SNCF a ainsi manifesté à maintes reprises son désintérêt pour ce service jugé peu rentable. Préférant se concentrer sur la desserte de territoire à haut potentiel, elle a laissé quelque peu sur la touche un service desservant principalement des territoires composés de villes petites et moyennes.
Une relance contrariée
Pourtant quasi enterré, ce service va renaître grâce à la concordance de trois catégories de facteurs, qui ont trait à l’environnement, à l’affection pour le train de nuit et à l’aménagement du territoire, utilisés à tour de rôle par l’État et l’exploitant.
L’un des socles de la relance tient sans nul doute à la promotion du train de nuit comme solution pour décarboner les transports de moyenne et longue distance. Pour mémoire, en France, le secteur des transports est responsable de près de 29 % des émissions de gaz à effet de serre. Les préoccupations environnementales se déploient dans les discours et actions d’association, dont le leitmotiv est le développement du train de nuit, associations qui mettent en avant un rapport original à la vitesse. Au moment où beaucoup de wagons rejoignaient les voies de garage en 2016, le collectif « Oui au train de nuit » défend ainsi :
« Le train de nuit, c’est Paris à une heure de Perpignan : une demi-heure pour s’endormir, une demi-heure pour se réveiller ! »
Ces inquiétudes accrues s’incarnent dans certains segments de la politique environnementale française. La loi Climat-résilience de 2021, elle-même issue de propositions de la convention citoyenne, instaure par exemple la réduction des vols intérieurs inférieurs à 2h30, même si les effets en sont limités.
Le caractère affectif du produit train de nuit se vérifie, lui, dans sa présence dans la culture populaire. Cadre de l’action du Crime de l’Orient-Express d’Agatha Christie, du roman plus récent Paris-Briançon publié en 2022 par Philippe Besson ou encore de la publicité Chanel avec Audrey Tautou sur le même trajet, c’est aussi sur cette dimension sentimentale que joue la communication de la SNCF :
« Au petit matin (8h35), le contraste est assuré à Briançon : on passe de la grande ville à l’air pur de la montagne, niché entre cinq vallées des Hautes-Alpes. »
Enfin, en réponse à un rapport de la Cour des comptes en défaveur du train de nuit, l’État semble désormais assumer l’argumentaire faisant du train de nuit un outil d’aménagement du territoire. Dans son revirement de politique, il puise son inspiration dans l’expérience autrichienne Nightjet, portée par l’exploitant ÖBB dont le réseau s’est développé bien au-delà des frontières de l’Autriche.
Les régions, néanmoins, pourtant incontournables étant donné les spécificités du modèle, sont restées le plus souvent attentistes dans la relance du service, à l’exception de la région Occitanie qui s’est positionnée tôt en fer de lance.
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Le succès à long terme de la relance du train de nuit tient encore à trois facteurs. Vient tout d’abord la constitution d’un réseau européen qui se heurte à la concurrence de nouveaux services de longues distances low cost. La qualité du réseau intervient ensuite : l’État et SNCF Réseau se sont certes engagés dans des travaux de grande ampleur, mais ils restent souvent insuffisants et trop lents. Enfin, la qualité de service sera décisive : dans un contexte de pénurie de wagons, la rénovation du matériel existant ne suffit pas pour pallier les délais de livraison de voitures neuves.
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un site d'actualités à but non lucratif dédié au partage d'idées entre experts universitaires et grand public.
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Christophe Mimeur ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.