Rentrée : Le désespoir de « MonsieurLeProf », l’enseignant le plus célèbre des réseaux sociaux

Le tableau noir du prof le plus célèbre des réseaux sociaux avant la rentrée (William Lafleur dans sa bande dessinée en ligne)
@Catsass Le tableau noir du prof le plus célèbre des réseaux sociaux avant la rentrée (William Lafleur dans sa bande dessinée en ligne)

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Le tableau noir du prof le plus célèbre des réseaux sociaux avant la rentrée (William Lafleur dans sa bande dessinée en ligne)

POLITIQUE - Tableau noir. Très noir. « MonsieurLeProf » s’est fait connaître sur les réseaux sociaux au milieu des années 2010, peu après le début de sa carrière. Son credo à l’époque : raconter, sur Twitter en particulier, les petits moments de classe, les anecdotes amusantes vécues avec ses élèves ou ses collègues. Le mardi, il se moque des profs de maths et de leur rigueur, le mercredi ce sont les techniques de triche naïves de ses jeunes étudiants qu’il brocarde gentiment.

Dix ans plus tard, ses mots ont changé et les blagues se font plus rares. William Lafleur, de son vrai nom, le « Hussard noir », du nom de son roman publié en 2019, s’apprête à faire sa douzième et dernière rentrée. Après avoir enseigné l’anglais de la sixième à la terminale, en région parisienne ou dans le sud-ouest de la France, il veut rendre son tablier pour un nouvel avenir professionnel, loin des lycées. Comme lui, ils sont nombreux, dans l’Éducation nationale, à désirer prendre le large. Des profils jeunes ou expérimentés démunis face aux évolutions du métier et désespérés par le manque d’appui de leur hiérarchie.

« En salle des profs, le sujet de conversation numéro un, c’est la reconversion, l’envie de partir », nous explique l’enseignant, qui ne « reconnaît plus » le métier qu’il « adorait » à ses débuts, et qui a cessé d’attirer les foules. Entre bas salaire, sentiment d’abandon ou perte de sens, « MonsieurLeProf » explique au HuffPost, les facteurs qui, selon lui, plongent l’Éducation nationale dans une crise profonde. Entretien.

Le HuffPost : Vous venez d’annoncer à vos 450 000 followers sur Twitter votre intention de quitter l’Éducation nationale avec « lassitude et dégoût ». Pourquoi ces mots-là ?

MonsieurLeProf : J’aurais pu me mettre colère également. J’aime enseigner, j’adore faire cours, être face aux élèves, mais tout ce qu’il y a autour, je n’en peux plus. Je suis fatigué de devoir constamment lutter pour avoir des informations, même les plus essentielles, pour savoir, par exemple, dans quelles zones je vais enseigner, si mes cours sont répartis sur un ou plusieurs établissements. Chaque année, c’est la quête aux informations, la même incertitude, malgré dix ans d’ancienneté. Je suis las, donc, et dégoûté… Parce que je ne reconnais plus vraiment le métier que j’adorais à mon début de carrière.

Vous êtes devenu populaire sur les réseaux sociaux il y a une dizaine d’années en racontant les saynètes quotidiennes qui se déroulaient dans vos classes. Sur un ton bien plus léger que le vôtre aujourd’hui. Qu’est ce qui a changé en dix ans ?

J’ai eu envie de raconter ces anecdotes car j’aimais aller au travail, c’était léger, drôle. J’ai changé de ton au moment de la réforme du bac de Jean-Michel Blanquer courant 2018. Il y a eu ensuite le phénomène #pasdevague suite à l’agression d’une enseignante à Créteil (un mouvement lancé à l’automne 2018 pour dénoncer la solitude des professeurs face aux violences, NDLR). À chaque fois que je partageais le témoignage d’un collègue victime d’une agression, ou de la maltraitance de l’institution, j’en recevais 10 nouveaux.

« J’ai vu la détresse, la fatigue grandissante, chez mes collègues »

J’ai vu la détresse, la fatigue grandissante, chez mes collègues, certains exploser en larme en salle des profs, partir en burn-out. Ce fut mon cas en 2020. Quand c’est votre quotidien, les blagounettes sur Enzo qui arrive en retard ne sont plus vraiment la priorité. Je me suis dit qu’il était temps de profiter des réseaux sociaux pour faire passer des messages, des informations, expliquer ce qui est en train de se jouer.

Vous voyez le dernier quinquennat et le passage de Jean-Michel Blanquer à l’Éducation nationale comme une rupture ?

Les réformes auxquelles nous avons eu droit ces dernières années, que ce soit la réforme du collège en 2016 (sous François Hollande) ou la réforme du lycée en 2019, ont complètement changé le métier, elles les ont vidé de sa substance. Nous avons alerté sur les dérives potentielles de la réforme du bac, la dernière en date. Tout ce que l’on dénonçait est arrivé peu à peu, avec un stress permanent, une perte de sens de l’enseignement, ce côté clientéliste de l’éducation avec l’intervention des parents.

C’est-à-dire ?

On nous a présenté la réforme, le contrôle continu, comme un système moins stressant pour les élèves. Mais c’est totalement faux pour l’avoir vécu de l’intérieur. Désormais, les épreuves ont lieu en première et en terminale. Toutes les notes comptent pour le bac. Et c’est l’enfer. Les élèves sont sous pression et n’apprennent plus pour eux, les parents sont extrêmement tendus et font bien plus de réclamations pour essayer de modifier les notes… Tout ceci transforme notre métier. Nous devenons des évaluateurs constants, à défaut d’être des enseignants.

C’est cette « perte de sens » qui explique les démissions en cascade au sein de l’éducation nationale, et les envies d’ailleurs de nombreux professeurs ?

C’est un des facteurs. L’autre très important, est la baisse de notre pouvoir d’achat. Notre point d’indice a été dégelé (de 3,5 %) en 2022 après dix ans de blocage. C’est bien, mais cela ne rattrape même pas l’inflation pour cette seule année. Avant cela, le coût de la vie, l’essence, l’électricité, la nourriture n’a cessé d’augmenter… Au contraire de notre salaire, qui est resté gelé une décennie durant.

Pour pallier le manque de prof, on fait appel à des contractuels, des gens recrutés sur la base d’une licence, moins payés, plus précaires, pour la plupart sans formation, lâchés en pleine nature.

Pour ma part je vais donner cours à une heure et demie de chez moi à partir de la rentrée. Je l’ai appris à la mi-août. Trois heures de route par jour… Je ne sais même pas si c’est financièrement tenable avec le prix de l’essence. Comment peut-on motiver les enseignants à continuer dans ces conditions ? Et ces situations, couplées à la perte de sens et à une hiérarchie méprisante, les collègues n’en peuvent plus. Non seulement les profs en ont marre et claquent la porte mais en plus en plus, les concours ne font pas le plein. Le taux de chômage est encore élevé dans notre pays, notre métier est censé attirer eh bien non… On ne parvient pas à recruter.

Avec 4 000 postes non pourvus aux derniers concours, la pénurie de prof risque de se faire sentir dès le mois de septembre dans certaines académies. Comment envisagez-vous la rentrée ?

Moins de profs induit plus de monde par classe. Plus grave encore, cela implique que beaucoup d’élèves vont se retrouver sans enseignant. J’étais remplaçant l’année dernière et je suis arrivé sur poste en octobre parce que les élèves n’avaient pas de professeur d’anglais depuis septembre. Dans pleins d’établissements les élèves n’auront personne en techno, en musique ou autre.

Pour pallier cette situation aberrante, on fait appel à des contractuels, des gens qui sont recrutés sur la base d’une licence ou parfois d’un L2 (bac +2). Ils peuvent très bien faire le travail, mais ils sont moins payés, plus précaires, pour la plupart sans formation, lâchés en pleine nature. Et c’est l’avenir de l’éducation : Des contractuels corvéables que l’on peut placer un peu partout, que l’on peut virer n’importe quand.

Vous avez lancé un appel à témoignage pour documenter le « malaise » au sein de l’Éducation nationale…

(Il coupe.) J’ai quand même reçu 2 000 témoignages de collègues en quelques heures, dont la moitié en une après-midi… Et sans trop en faire la promo.

Que vous disent vos collègues ?

« J’ai adoré mon métier mais j’en peux plus... » Pour telles ou telles raisons. Ce ne sont pas des gens qui s’en fichent, au contraire. Ils me font part de leur détresse. Ce sont des professeurs mutés loin de chez eux depuis des années, des professeurs agressés, accusés par leur hiérarchie de mal gérer leur classe… Des professeurs impliqués – on veut bien faire, on travaille pour les élèves, les générations futures – qui se sentent méprisés.

Côté salle des profs, c’est le cafard (...) Le sujet de conversation numéro un, c’est la reconversion.

Ils sont tellement démunis qu’ils se tournent vers un type connu sur les réseaux sociaux parce que personne ne peut vraiment les aider au sein de l’Éducation nationale. On sait très bien qu’on ne peut pas avoir de soutien de notre hiérarchie, du rectorat. Cela n’arrive pas.

Vous conseillez à vos élèves de devenir enseignant ? Que leur dîtes-vous ?

Je leur donne la réalité du terrain, pour qu’ils aient les clefs. Je n’ai pas envie de les dégoûter parce que c’est un beau métier, c’est important que des jeunes reprennent le flambeau mais je les préviens pour qu’ils ne soient pas surpris et claquent la porte à leur tour. Il est préférable de savoir par exemple que 90 % des jeunes professeurs sont envoyés en région parisienne après leur concours, loin de leurs académies.

Avez-vous quelques motifs d’espoir avant cette rentrée pour atténuer ce tableau noir ?

(Il pousse un long soupir). Honnêtement, non, je n’ai pas d’espoir. Et c’est pour cela que je quitte le navire. Côté salle des profs, c’est le cafard. C’est triste, je me souviens de mes premières années, on se marrait, on échangeait des petites anecdotes… Là, le sujet de conversation numéro un, c’est la reconversion, l’envie de partir. L’espoir n’est pas au goût du jour, hélas. Quand j’annonce à mes collègues que je vais démissionner, on me répond « ah j’aimerais trop », « tu as trop de chance, si seulement… ». Quand on dit que le métier est en crise, ce n’est pas une hyperbole. C’est le cas.

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